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Bien que l’augmentation du nombre de famille sans-domicile ait été observée en France dès les années 2000 (Marpsat et Firdion 2000) et médiatisée à partir de 2010 (Guyavarch et Le Méner 2010; Yaouancq et Duée 2014a), ce phénomène était déjà décrit aux Etats-Unis dès les années 1980 (Bassuk et al. 1986; Bassuk et Rosenberg 1988).

1. Aux Etats-Unis et au Canada : une population largement étudiée

depuis les années 1980

Aux Etats-Unis, depuis la fin des années 1970, il a été observé une forte croissance du nombre de personnes sans-domicile (Bassuk 1984) expliquée principalement par l’augmentation du chômage et de la pauvreté (Peterson 1991), la diminution du stock de logements bon marché (Wright et Rubin 1991) et la décentralisation des grandes industries vers les périphéries citadines (Wilson 1996). Dès les années 1980, on voit apparaître dans la littérature, des études américaines sur les familles sans-domicile (Grant et al. 2013), des femmes (Bassuk et al. 1996) et des jeunes (Skocpol 1994).

Les études Nord-américaines sur les familles monoparentales sans logement dévoilent que ce sont principalement des femmes à la tête de ces familles (Bassuk 1990, 1991) et que les familles sans-domicile ressemblent davantage aux familles pauvres et/ou mal logées qu’aux personnes sans-domicile isolées (Shinn et al. 2005). Comparés aux personnes sans-domicile isolées, les adultes composant ces familles sans-domicile sont plus jeunes, plus souvent issus de minorités ethniques, ont un niveau d’études plus faible, et ont moins d’addictions (Burt et Cohen 1989). Avant de devenir sans-domicile, les adultes de ces familles ont souvent vécu des événements de vie difficiles (agressions physiques ou sexuelles, perte d’un parent lors de l’enfance) (Fertig et Reingold 2008), et elles ont souvent été touchées par le chômage (Bassuk et al. 1986).

2. Etat de santé des familles sans-domicile

Les études nord-américaines indiquent que les familles sans logement sont affectées par des problèmes de santé importants, notamment de santé mentale (Vostanis et al. 1998), de pathologies différentes que celles des adultes isolés (Bassuk et al. 1986)) et d’insécurité alimentaire (Weinreb et al. 2002b; Lee et Greif 2008). Egalement, ces

29 adultes sans-domicile, principalement des femmes, souffrent plus fréquemment de maladies chroniques et infectieuses. Elles sont ainsi plus nombreuses à être atteintes du VIH/sida, d’infections sexuellement transmissibles et de problèmes gynécologiques que la population générale (Beijer et al. 2011).

Pour ces familles, les conditions de vie difficiles (promiscuité, instabilité, isolement), leur éloignement des services sociaux et de santé ainsi que leurs problèmes de langues constituent de véritables barrières à l’accès aux soins et à la prévention (Kushel et al. 2001; Lim et al. 2002; Lewis et al. 2003; Stein et al. 2007). Bien qu’elles bénéficient de plus d’aides que les adultes sans-domicile isolés, ces familles ont moins de structures d’hébergement et de services dédiés. Par ailleurs, les conditions d’hébergement peuvent parfois amener la famille à se séparer pour pouvoir être hébergée (Shinn et al. 2005).

3. En France : émergence des familles dans l’espace public depuis 10

ans

En France, ces familles constituent une population largement invisible des statistiques publiques françaises, exclues des enquêtes épidémiologiques en population générale (conduites en « ménage ordinaire ») et peu représentées dans les rares enquêtes spécifiquement conduites auprès des personnes sans-domicile (Laporte A. and Chauvin P. 2010).

La première enquête auprès des personnes sans-domicile, réalisée en 1995, indiquait que les femmes représentaient 17% de la population enquêtée et que 8% des adultes – hommes et femmes – étaient en familles (Marpsat et Firdion 1998, 2000). L’enquête « domicile 2001 » indiquait que 21% des adultes franciliens francophones sans-domicile vivaient avec au moins un enfant (Marpsat et De Perreti 2009). La même enquête réalisée en 2012 indiquait une proportion proche avec 24% des adultes vivant en famille. Les acteurs de terrain travaillant auprès des personnes sans-domicile font le constat de l’augmentation fulgurante des familles au sein de la population sans-domicile (Guyavarch et Le Méner 2010; Méner et Guyavarch 2014). L’Observatoire du Samusocial de Paris a mis en lumière cette augmentation, grâce à l’analyse des données du 11510

10 Le 115 est la plateforme téléphonique du Samusocial de Paris, destiné à répondre aux demandes d’hébergement d’urgence des personnes sans abri, et à les orienter vers les autres dispositifs du Samusocial.

30 700 550 400 250 100 50 200 350 500 650 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80+ femmes hommes 700 550 400 250 100 50 200 350 500 650 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80+ en famille isolés hommes femmes

Note : source : 115 de Paris – Aloha-4D.

(Guyavarch et Garcin 2014). En 1999, les usagers du 115 sont principalement représentés par des hommes âgés de 25 à 40 ans en moyenne (Figure 2). En 2011, on observe une symétrie dans la pyramide démographique où les femmes deviennent aussi représentées que les hommes (Figure 2). En revanche, les femmes, contrairement aux hommes, sont pour la plupart d’entre elles en famille. Le constat le plus marquant est l’écrasement de la pyramide des âges vers le bas indiquant la présence d’un grand nombre d’enfants de moins de 5 ans.

Comme ce qui était constaté au niveau européen, l’analyse des données du 115 indiquait également que ces familles semblaient être nées à l’étranger (Méner et Guyavarch 2014). Les enquêtes sans-domicile précédentes, conduites en français, excluaient une part importante de ces familles, celles dont les adultes n’étaient pas francophones. Ces familles étaient donc invisibles de l’espace public - puisqu’elles étaient dans le système d’hébergement - et invisibles des enquêtes statistiques françaises puisque non francophones. C’est dans ce contexte que l’Observatoire du Samusocial a mené en 2013 Figure 2 – Evolution de la pyramide des âges par genre des usagers du 115 de

31 une enquête auprès des familles sans logement en Île-de-France (que nous décrirons plus loin puisque celle-ci sera notre sujet d’étude).

On peut faire l’hypothèse qu’en France – et particulièrement dans l’agglomération parisienne où les inégalités sociales de santé sont fortes (Chauvin et Parizot 2009) – ces femmes sans-domicile sont confrontées à une difficulté supplémentaire dans la mesure où nombre de services s’adressant à la population sans logement ont été conçus pour les hommes et ne peuvent répondre de façon adéquate aux besoins des femmes (et de leurs enfants), en particulier à leurs besoins en terme de santé gynéco-obstétricaux (contraception, dépistage des cancers féminins, suivi de grossesse) (Burt et Cohen 1989; Bassuk et Weinreb 1993; Wenzel et al. 2001; Bloom et al. 2004; Riley et al. 2007).

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III. La mortalité des personnes sans-domicile