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Synthèse de la troisième partie

Dans le document DOSSIERS THÉMATIQUES (Page 106-110)

La seconde phase de l’installation dans la dualité a été abordée avec les points de satisfaction exprimés. Si les témoignages sur l’usure professionnelle n’ont pas été abondants pour expliquer l’orientation vers le métier de formateur/RF, les propos renvoyés rendent compte d’un véritable ressourcement professionnel exprimé autour d’un discours passionné. C’est ainsi que les termes de « passion » et de « vocation », ont été employés à de nombreuses reprises par les répondants pour exprimer la satisfaction qu’ils ressentaient à exercer leurs fonctions. Il semble de fait primordial de souligner combien cette perception s’inscrit en nette rupture avec les motivations, plus utilitaires, déclarées par les élèves surveillants dès leur entrée en formation et par les personnels dont l’ancienneté est plus importante109. Des formateurs déclarent se sentir bien dans leur environnement, qu’ils n’hésitent pas à comparer à une seconde maison, ce qui rompt assez clairement avec l’univers de la détention. D’autres évoquent le principe de « la seconde chance » du fait de leur souhait initial de travailler dans l’enseignement. Sans doute est-ce pour cela que leur cœur de mission se positionne en première position des satisfactions citées, mais il serait réducteur d’en rester là, tant l’enthousiasme exprimé envers d’autres activités participe d’un élan collectif.

Si le savoir et l’enrichissement intellectuel occupent une place privilégiée, celle du savoir-être, incarné dans la prédisposition à s’interroger et à se remettre en question, favorise la compréhension de la manière dont se construit l’identité de formateur.

Dans un chapitre intitulé « l’identité biographique pour soi »110, C. Dubar associe cette prédisposition à « s’intéresser », à comprendre, s’interroger, se documenter, à l’expression d’un acte d’appartenance à l’entreprise, ici l’administration pénitentiaire.

Dans le cadre de leur trajectoire, ces personnels mettent d’autant plus en avant l’importance de ces savoirs liés à leur organisation, qu’ils sont constitutifs de leur identité sociale et professionnelle. La nature de ces savoirs n’est d’ailleurs pas exclusivement pratique, mais véritablement professionnelle, dans la mesure où elle combine savoirs théoriques avec les savoirs acquis sur le terrain et les savoirs d’organisation. Pour les formateurs et les RF, les illustrations les plus parlantes demeurent probablement la disposition à acquérir de nouveaux savoirs, à se retrouver dans les starting-blocks de la course aux nouveautés de la formation, à s’interroger sur les pratiques, mais aussi à se référer aux valeurs déontologiques définies supra.

Finalement, ces savoirs leur permettraient ainsi de saisir les grandes évolutions à venir et d’orienter les carrières de manière plus judicieuse. Ils représentent également le gage de leur autonomie qui est un bénéfice notable dans l’organisation de leurs actions. Si ce bénéfice s’est essentiellement exprimé dans la capacité à définir et à orienter des actions de formation, il n’en demeure pas moins qu’il reste le symbole d’une position professionnelle revalorisée, non pas tant par une montée hiérarchique ou un avantage matériel, mais par l’acquisition de marges de manœuvre. Autrement dit, l’activité de formation présente la singularité de conférer une position d’acteur dans l’organisation des tâches qui leurs sont attribuées.

109 Se référer aux plaquettes sociodémographiques produites par l’observatoire de la formation de l’Énap et aux travaux menés par Georges Benguigui sur la socialisation professionnelle des surveillants. Benguigui Georges, Guilbaud Fabrice, Malochet Guillaume, La socialisation professionnelle des surveillants de l’Administration Pénitentiaire, op.cit., p. 17. Pour les CPIP, cette observation appelle quelques réserves, dans la mesure où ces derniers déclarent davantage entrer en formation pour des raisons professionnelles liées au métier. Éléments de connaissances sociodémographiques, Observatoire de la formation, Direction de la recherche, Énap. http://e-nap.enap.intranet.justice.fr/l-ecole/les-eleves/profils-socio-demographiques-des/article/donnees-socio-demographiques-733

110 Claude Dubar, La socialisation, op.cit., pp 212-213.

Les satisfactions pour autrui sont en premier lieu définies au travers de ceux qui logent dans cette seconde maison, à savoir les collègues formateurs, essentiellement.

« Équipes dynamiques », engagées dans des projets communs », « échanges fructueux », « esprit d’équipe », « implication », « engagement », sont des vocables mentionnés qui ne trompent pas. L’ambiance, d’une manière générale, est appréciée, ce qui peut certes paraître secondaire, et pourtant essentiel pour travailler dans de bonnes conditions. Nombreux sont également les répondants à avoir exprimé leur enthousiasme à intervenir auprès de publics totalement étrangers au monde carcéral afin de leur expliquer son organisation et la place qu’y occupent ses personnels.

Accessibilité, confiance, attribution de tâches valorisées, telle que l’activité de conseil auprès de la direction ou de contribution au recrutement, figurent également parmi les bienfaits que les formateurs et les RF tirent de leurs activités quotidiennes. Ces bienfaits consacrent la reconnaissance ressentie envers leurs activités professionnelles.

Un dernier point concernant le retour sur investissement s’ajoute à la liste des domaines d’activités qui caractérisent les activités appréciées par les formateurs et les RF. À l’inverse des missions de garde, de réinsertion et de lutte contre la récidive, l’évaluation de l’action des formateurs et des RF requiert un certain nombre d’indicateurs significatifs qui leur permettent de mesurer l’impact de leurs actions auprès des publics : la note, l’appréciation, la titularisation, le classement final, le changement de grade, représentent autant de possibilités d’évaluer leur accompagnement111. Cette capacité à observer les résultats concrets du travail réalisé, de manière bien plus ostensible que dans le métier de surveillant et celui de CPIP, apparaît ainsi essentielle pour les acteurs de formation. Conseiller un collègue au cours de sa carrière, l’accompagner dans la préparation d’un concours, délivrer une formation lui donnant accès à un examen, l’orienter vers les procédures à suivre, le soutenir dans la rédaction d’un dossier RAEP… représentent autant d’activités qu’il est possible d’évaluer dans leurs aboutissements112.

Les principales difficultés rencontrées par les formateurs et les RF de l’administration pénitentiaire se résument en trois grandes catégories, liées à l’organisation et aux conditions de travail, à l’absence ou au manque de reconnaissance professionnelle et aux carences de communication. Il n’est d’ailleurs pas surprenant de constater qu’afin d’y parer, de nombreux répondants mettent en avant leur engagement dans la formation, qu’ils utilisent comme un bouclier qui les protégerait de ces facteurs de démotivation. « Heureusement que nous sommes (pour la plupart d’entre nous) passionnés par ce que nous faisons », souligne ainsi un formateur, pour signifier qu’en dépit des difficultés rencontrées, l’implication dont il fait preuve finit par l’emporter.

De fait, il s’avère que l’accomplissement pour soi qu’ils expriment apparaît comme le gage de la réussite de cette transaction professionnelle.

Pour les raisons présentées dans l’introduction de cette deuxième partie, la réalisation d’un focus sur la reconnaissance professionnelle est apparue essentielle. Cette analyse a été établie en deux temps, la reconnaissance de ce que les formateurs sont et celle de ce qu’ils font.

111 Ce résultat avait également été observé pour les moniteurs de sport pour qui le fait de rejoindre cette fonction s'apparentait à la possibilité d'évaluer le résultat de leur pratique professionnelle dans la présentation des bilans annuels, de la reconstruction corporelle des pratiquants, la mesure des progrès enregistrés, l'abandon de consommation de médicaments, de psychotropes Gras Laurent, Le sport en prison, op.cit., p.94.

112 En outre, nous n’omettrons pas de signaler combien ces nombreuses interactions contribuent à la socialisation professionnelle en permettant d’apprendre des autres.

Avant d’être reconnus, les formateurs et RF se doivent d’être connus. Globalement, les témoignages apportés rendent compte de bilans plutôt positifs sur ce point, du fait du caractère officiel de leur place dans l’administration pénitentiaire, validée par une sélection et une formation, et de la connaissance de leur présence sur le terrain par leurs collègues. La validation de leur légitimité et les valeurs qui leur sont rattachées portent davantage à discussion, principalement en raison du positionnement qu’ils occupent dans la division du travail pénitentiaire.

Dans un contexte où un intérêt spécifique est porté à la formation, du fait de recrutements massifs, la constitution d’une charte de valeurs déontologiques prête aux formateurs et aux RF un savoir-être teinté de loyauté, d’exemplarité et de respect.

Leur passé dans le milieu carcéral, au vu de leur ancienneté, les positionne comme des professionnels expérimentés. Bien qu’elle fasse l’objet de quelques distinctions, la reconnaissance interne, entre formateurs et RF, indique une tendance plutôt positive, que le rassemblement des formateurs met en scène annuellement. Par ailleurs, la reconnaissance de leur présence s’exprime via la sollicitation de chefs d’établissements, à titre d’experts, et de collègues, à titre de conseillers carrière. Dès lors, cette découverte invite les collègues formés à revoir les perceptions négatives et les préjugés dont ils sont parfois porteurs.

Toutefois, le caractère non prioritaire de leurs missions de formation, au regard de celles auxquelles doit avant tout répondre l’administration pénitentiaire, tend à sectoriser leur présence dans l’organisation, tandis que la formation continue se heurte à l’indisponibilité des agents dont la présence en détention demeure nécessaire à son fonctionnement. Le fait que la majorité des répondants relèvent un désintérêt pour la formation, que près de la moitié d’entre eux constatent l’existence de préjugés à leur encontre, agrémentés d’une vision très négative de leur métier, apporte une vision moins enthousiaste à ces premiers signes de reconnaissance exprimés.

Peu de témoignages ont été rendus sur la reconnaissance comme récompense et faveurs accordées, stade ultime de la reconnaissance de l’individu au travail. Malgré tout, les signes de confiance accordés et l’autonomie dont ces acteurs de formation bénéficient sont constitutifs de gratifications et rejoignent ainsi ce qu’il est possible de considérer comme la dignité de la profession.

La reconnaissance du travail de formation semble d’emblée plus problématique à valider du fait des nombreux témoignages avançant une méconnaissance générale de leurs activités. Cette lisibilité opaque de ce qu’ils font, issue en partie d’une forme de désintérêt, proviendrait également de la création de pôles qui les ont décentrés et éloignés physiquement de la détention. Malgré tout, la découverte du travail fourni par les collègues renverse cette tendance ; de même, les satisfactions exprimées par les élèves envers les formateurs et RF en fin de formation indiquent d’excellentes appréciations.

En outre, le sentiment de ne pas faire valoir leurs évaluations de fin de formation laisse planer un vent d’amertume quant à la reconnaissance renvoyée par l’administration.

Amertume également ressentie en raison de l’inexistence de reconnaissance envers une lourde charge de travail et des heures supplémentaires impayées. L’absence de primes spécifiques, de marques de reconnaissance envers les compétences acquises, et le sentiment d’avoir mis sa carrière en suspens, du fait des difficultés à passer les échelons hiérarchiques, viennent achever ce tableau peu reluisant que les mails de remerciements envoyés par les formés en continu et les témoignages de satisfaction

publiés dans les évaluations de fin de formations initiales ne sauraient totalement redorer.

Si le débat est loin d’être clos et les satisfactions dépourvues d’une approbation totale, les luttes engagées pour surmonter les difficultés avancées participent à souder la communauté pédagogique autour de problématiques communes et de solutions à trouver collectivement. La définition et l’harmonisation de bonnes pratiques en fournissent une bonne illustration. Le partage de ces ressentis constitue pour cela un véritable vecteur de la socialisation professionnelle. Comme nous l’avons observé, tout autant que la formulation de problématiques communes, les propositions apportées présentent la spécificité de présenter une forte homogénéité dans les réponses. Ce constat laisse ainsi entendre que l’identité professionnelle des formateurs et des responsables de formation se construit également dans le regroupement autour de situations complexes à résoudre et de solutions partagées. Nous irons ainsi dans le sens de Moore, avançant que « l’identification principale est celle qui relie l’individu à son collectif de travail qui constitue une véritable « communauté professionnelle » avec son langage particulier, ses normes informelles, ses joies et ses souffrances profondément intériorisées113 ».

113 Moore W.E. (1969), « Occupationnal socialization » in Goslin D.A. (eds), Handbook of Socialization. Theory and Practice, Beverly Hills, Russel Sage, cité par Claude Dubar, La socialisation, op.cit., p.156

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