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Synthèse de la première partie

Dans le document DOSSIERS THÉMATIQUES (Page 48-52)

Si l’on se fie au profil des répondants pour décrire celui de l’ensemble des formateurs et des RF, le profil type de ces acteurs de formation correspond à celui d’un homme de 45 ans possédant au moins le baccalauréat et dont l’ancienneté dans l’univers pédagogique de l’administration pénitentiaire s’élève à 7 ans. Majoritairement issu du corps de personnel de surveillance, il occupe une position moyenne dans l’échelle hiérarchique et exerce ses fonctions dans un pôle de formation.

Tous ne se reconnaîtront pas dans ce profil type et il demeure à ce titre essentiel de rappeler les grandes tendances observées ces dernières années. Si la création de la fonction de responsable de formation a eu pour effet d’augmenter l’âge de ces personnels, elle a également eu comme impact l’élévation de leur niveau de diplôme avec notamment l’arrivée de CPIP, qui possèdent fréquemment un diplôme du supérieur. L’accueil de personnels d’insertion et de probation dans la communauté pédagogique a également eu comme effet de féminiser une spécialité jusque-là très majoritairement investie par les hommes. Globalement, on peut ainsi observer une tendance à l’hétérogénéisation du profil des formateurs et des RF depuis dix ans.

À l’image de ce personnel qui se diversifie, les activités qu’ils exercent au quotidien affichent une grande variété. D’une part, du fait des lieux d’exercice qui requièrent des singularités locales et régionales ; d’autre part, du fait que parallèlement aux activités socle de la fiche métier, d’autres tâches liées au domaine administratif, à la nécessité

67 Pauline Castaing, Laurent Gras, Élèves surveillants 2008, 2019, Profils, Motivations et perspectives, Observatoire de la formation, Direction de la recherche, Énap, 2019, p.24. http://e-nap.enap.intranet.justice.fr/IMG/UserFiles/Files/

SVT_2008_2019_etude_sept2019.pdf

de se former, au rôle de conseiller, à l’utilité de communiquer et enfin à l’encadrement d’équipe et au management, se sont progressivement greffées à ses fonctions.

Les déclarations des répondants nous ont également appris que les activités vouées à la formation continue tenaient une place aussi importante que celles concernant la formation initiale. L’exercice de réseautage et celui de conseiller carrière auprès des collègues en représentent d’ailleurs la singularité. Tandis que la formation vise essentiellement l’accompagnement des personnels pénitentiaires venant d’être recrutés ou dans le cadre de leur évolution de carrière, un pan de la formation consiste également à intervenir auprès de publics extérieurs au monde pénitentiaire, au profil extrêmement varié.

Ces définitions du profil des formateurs/RF et de leurs activités nous ont ensuite servi à traiter de la dynamique dans laquelle ces éléments de connaissance s’inscrivent dans leur carrière professionnelle. Devenir formateur implique l’acquisition d’une expérience solide et de l’assimilation d’une bonne connaissance du monde carcéral.

Ce corpus de savoirs légitime ainsi l’exercice de leurs nouvelles fonctions, tout autant d’ailleurs que les motivations qui les animent. L’intérêt porté à ces dernières révèle effectivement que les personnels pénitentiaires cherchant à rejoindre la communauté pédagogique ne sont pas tant portés par des objectifs classiques de carrière – montée dans la hiérarchie, gains financiers - que par les valeurs du métier et une revalorisation symbolique de leurs fonctions.

Nous soulignions qu’il paraissait complexe à première vue de parler véritablement de passage au travers du miroir et qu’à ce titre, devenir formateur ou RF, ne pouvait pas s’assimiler à un changement radical. Le recours à la théorie des ruptures/continuités qui accompagnent cette conversion s’est révélé fécond pour rendre compte de cette transition professionnelle.

Les nombreuses expériences dans la formation déclarées par les répondants indiquent que cette nouvelle orientation professionnelle s’inscrit dans une logique de continuité. Cette ancienneté dans l’administration pénitentiaire et ces expériences de formation pondèrent de fait les effets de découverte liés à ce tournant dans la carrière.

Formateurs et RF continuent d’exercer leurs fonctions dans la même administration, un même univers de travail, et ne changent ni de statut ni de grilles indiciaires. D’une certaine manière, il est également possible d’ajouter que les activités professionnelles des formateurs et des RF reposent sur un socle d’activités communes avec celles des personnels de surveillance et des CPIP. Tous ont à faire à un public qu’ils prennent en charge, sur lequel ils exercent un certain pouvoir, dans un objectif de changement.

En outre, toutes ces fonctions requièrent des compétences relationnelles que l’expérience professionnelle et la maturité leur ont permis d’acquérir. Les savoirs antérieurs et l’expérience constituent de fait un socle essentiel de la socialisation professionnelle qui accompagne ce glissement identitaire68 et pondère quelque peu les changements radicaux, voire les désillusions, qui accompagnent parfois la phase du passage au travers du miroir69.

La rupture s’exprime quant à elle dans la nature même des activités investies. Qu’elles relèvent de l’ingénierie ou du face à face pédagogique, considéré par les formateurs

68 Bach Lionel, Une affaire de carrière, op. cit., p.126.

69 Telle que nous l'avions constatée pour exemple chez les CPIP. L. Gras, La socialisation professionnelle des conseillers d’insertion et de probation, Profil et représentations du métier des élèves de la 12e promotion, Énap, direction de la recherche, pp.34-36.

comme « le fil conducteur de leur implication »70. De même, rejoindre des groupes de travail en tant qu’expert et conseiller ou encore accueillir des publics extérieurs à l’univers pénitentiaire marquent une discontinuité avec le quotidien des personnels de surveillance71. La nature des prises en charge et leurs objectifs formatifs, le profil des publics concernés demeurent également des points de rupture avérés.

Mais la scission la plus nette concerne probablement la question du positionnement professionnel dans la division du travail pénitentiaire. Abordé à partir de la notion de centralité, ce tournant professionnel occasionne un déplacement des activités prioritaires de surveillance, d’insertion et de probation, vers des activités de formation, considérées comme secondaires, dans une administration où les missions de garde, de réinsertion et de lutte contre la récidive sont prioritaires. En devenant formateur et RF, ces personnels se décentrent de l’activité principale de l’organisation, quand bien même il est essentiel de rappeler l’importance grandissante du domaine de la formation et de la nécessité de pourvoir les besoins en personnels sur le terrain.

Au vu de ces résultats, il n’est donc pas surprenant que le sentiment d’appartenance professionnelle des répondants soit partagé, entre la référence au corps de métier d’origine et le groupe faisant dorénavant office de groupe de référence. Ces résultats doivent toutefois être relativisés dans la mesure où les réponses recueillies varient selon les profils de répondants. Tandis que les personnels de surveillance gradés se distinguent par un sentiment d’appartenance plus fort dans le corps d’origine, surveillants et CPIP s’identifient quant à eux autant au métier d’origine qu’à celui de formateur et de RF. Le grade, pour les personnels de surveillance se révèle ainsi comme l’indicateur phare de ce ressenti, tandis que pour les CPIP, l’attrait du monde de la formation pourrait provenir de leur niveau scolaire élevé qui les prédisposerait à exercer ces nouvelles fonctions.

Il demeure essentiel de souligner que l'offre de formation indique depuis plusieurs années de nets progrès, tant en quantité qu'en qualité. Infrastructures, personnels, contenus de formation et méthodes pédagogiques ont effectivement subi de nombreuses mutations. Ces changements émanent notamment de l’explosion d’effectifs d’élèves et de stagiaires en trois décennies, de nouvelles méthodes pédagogiques qui se sont développées dans notre société et des défis lancés à l’administration pénitentiaire dans la prise en charge de nouveaux profils de PPSMJ.

Ces multiples challenges démontrent ainsi clairement l’importance de la formation, de ses acteurs, et ses liens étroits avec les problématiques de terrain. Cette interactivité entre les multiples services de formation, mais aussi entre la formation et la réalité des terrains, présente des spécificités que nous allons maintenant présenter.

70 Bach Lionel, Ibid., p. 138.

71 Soulignons ici que cette rupture est inexistante pour les CPIP puisque dans le cadre de leurs fonctions, ces professionnels entretiennent de très nombreux liens avec le monde extérieur.

L’

InstaLLatIon dans La duaLIté

La définition de ce en quoi consiste le métier de formateur étant posée, il convient maintenant de s’intéresser à la seconde étape du processus de socialisation professionnelle définie par Hughes, à savoir l’installation dans la dualité. L’installation dans la dualité implique la découverte d’un écart entre ce qui caractérise « le modèle idéal », « la dignité de la profession », incarnée par ses valeurs les plus élevées et « le modèle pratique », lié aux tâches quotidiennes, polluantes et peu attractives, et donc bien éloigné du premier72.

À l’instar de toutes les professions, l’enjeu est de préserver, voire développer les pratiques et les valeurs du modèle idéal, ce qui fait la noblesse du groupe professionnel, en dépit d’un quotidien occupé par des tâches subalternes. Ce qu’il est intéressant d’observer est qu’au cours de cette étape de la carrière, la distance entre le modèle sacré et les pratiques quotidiennes auxiliaires devient l’objet de débats, de controverses, sur ce que le métier doit être et ne pas être. Ces sujets font ainsi l’objet de discussions entre pairs, entre groupes professionnels, faisant l’objet d’accords et de tensions, dans la mesure où les conceptions individuelles varient selon les personnels.

C’est ainsi que l’approche interactionniste dans laquelle s’inscrit Hughes présente la particularité de concevoir l’activité professionnelle comme la résultante d’interactions ayant pour objectif la préservation du contrôle de ce qui est considéré comme les tâches nobles. À titre d’illustration, la recherche d’une organisation autogérée et de l’autonomie constituent des objectifs partagés par un grand nombre de métiers, ceci afin d’éviter, sinon limiter, toutes formes de domination et de dépendance73 et d’optimiser les marges de manœuvre. « C’est dans la tension entre ces deux points de vue, dans la mise en évidence de processus d’interactions, que l’on peut le mieux comprendre la vie des groupes et celle des individualités qui la composent »74. Du fait qu’il soit construit à partir des témoignages de formateurs et de RF, les propos qui suivent ne prétendent aucunement à leur exhaustivité. Pour exemple, les interactions entre la direction de l’Énap et l’administration centrale ne feront l’objet d’aucun développement, du fait que les positions occupées par les professionnels étudiés ne les inscrivent pas ou peu dans le circuit de ces échanges. Très peu de témoignages y ont d’ailleurs fait allusion75. À l’inverse, nous verrons que les interactions entre les formateurs et les RF de terrain et l’Énap sont celles qui ont été le plus mentionnées. Ce constat provient du caractère nécessaire des échanges entre l’école et les terrains pour le bon déroulement des formations initiales et continues. Comme nous le verrons, notamment au travers du rassemblement annuel des formateurs, la communauté pédagogique se présente comme le groupe de référence auquel nous faisions allusion dans l’introduction de cette recherche, dans le sens où elle apparaît comme le principal vecteur de ce que doit être la formation, de l’idéal vers lequel il faut se tourner et des changements qui doivent pour cela y être apportés. Il n’en demeure pas moins l’existence d’autres groupes, dont l’activité peut également se révéler très active. Nous pensons ici aux filières et aux départements de l’Énap, aux

72 La socialisation, Claude Dubar, op.cit., p.140.

73 Dubar Claude, Tripier Pierre, Boussard Valérie, Sociologie des professions, op.cit., p.100.

74 Dubar Claude, Tripier Pierre, Boussard Valérie, Ibid., p.103.

75 Il n'en demeure pas moins que des analyses très intéressantes pourraient être produites sur la manière dont l'Énap cherche à s'assurer d'une certaine autonomie en tant qu'établissement public administratif. À titre d'illustration, le thème du recrutement, organisé par l'administration centrale, en représente l'un des points symboliques les plus forts.

services de la direction de l’administration pénitentiaire travaillant sur le recrutement et la formation, aux URFQ et aux pôles de formation qui sont également à l’origine de nouvelles impulsions. Comme nous le soulignions, toutes les propositions ayant trait aux avancées possibles de la formation sont rarement admises spontanément. Elles font le plus souvent l’objet de discussions et de débats au sein de la communauté pédagogique et, par extension, de l’administration pénitentiaire. Malgré ces échanges, parfois source de tensions et de luttes, les différents partis peuvent convenir d’un accord, comme c’est le cas pour l’harmonisation de pratiques.

L’intégration dans un triptyque relationnel : les

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