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ii Sommeil et réactivité émotionnelle

5. Synthèse de la revue de la littérature

La réactivité émotionnelle et les perturbations du sommeil sont deux entités au cœur des troubles bipolaires. Qu’il s’agisse de périodes thymique ou intercritique, elles sont impactées et marquent l’évolution chronique de ce trouble. Leur intégration dans l’évaluation clinique pour une meilleure prise en charge thérapeutique globale est nécessaire aux vues des travaux réalisés à ce jour.

Les évaluations objectives et subjectives mettent en évidence une interaction de ces deux dimensions. Les études de neuroimagerie et neuroanatomie appuient ce constat bien que les mécanismes sous-jacent soient inconnus à ce jour. Ces observations nous ont amené à explorer le lien entre la réactivité émotionnelle et les perturbations du sommeil chez les patients souffrant de troubles bipolaires en période intercritique.

6. Etude clinique

a. Problématique et objectif de l’étude

Comme nous l’avons vu précédemment, les troubles bipolaires sont la 6éme cause de handicap dans le monde (1).

Néanmoins les mécanismes physiopathologiques sous-jacents aux troubles de l’humeur sont méconnus et alimentent les recherches actuelles. Il en résulte un défaut de prise en charge et un donc coût important faisant de cette pathologie à un problème de santé publique. Pour exemple, le coût annuel des hospitalisations pour épisode maniaque à l’hôpital St Anne de Paris est estimé à 1,3 milliard d’euros environ (253). Les troubles affectifs bipolaires sont aujourd’hui considérés comme une pathologie multi systémique pouvant impacter différents champs cliniques. Les périodes

intercritiques ne sont pas indemnes symptomatologiquement. L’impulsivité (2), le fonctionnement cognitif (3) et le fonctionnement global (5) sont perturbés. Deux grandes entités ont un rôle majeur dans l’évolution des troubles affectifs bipolaires : La réactivité émotionnelle et les perturbations du sommeil. Comme mis en évidence récemment, les troubles affectifs bipolaires peuvent être mieux caractérisés par l’intensité des émotions perçues que par leur tonalité (triste, euphorique etc.) (51). La dysrégulation émotionnelle sous tend une instabilité affective qui est à l’origine de conséquences négatives sur le fonctionnement habituel de l’individu (5). Pour Phillips et ses collaborateurs, il s’agit d’un « symptôme clef » des troubles affectifs (72).

D’autre part, la qualité du sommeil est un critère diagnostique mais également pronostique de l’évolution des troubles. Concernant les épisodes maniaques et hypomaniaques, il a été démontré que la diminution du sommeil est un marqueur d’épisode thymique (135-142), que la réduction de la quantité de sommeil peut déclencher un épisode maniaque ou hypomaniaque (152-153-155), que la qualité du sommeil est un prédicteur de rechute thymique (160-161) et qu’il s’agit d’une cible thérapeutique principale (163-164). Concernant les épisodes dépressifs, l’altération du sommeil fait partie des critères diagnostiques (16) et fait partie des symptômes les plus souvent retrouvés, jusqu’à 100% pour l’insomnie (161). Fort de ce constat et de l’évolution chronique des troubles, les périodes intercritiques ont fait l’objet de recherche plus récemment. Il est retrouvé que la persistance de symptômes résiduels est très fréquente et qu’euthymique n’est pas synonyme d’asymptomatique. Des troubles du sommeil sont retrouvés jusqu’à 70% des échantillons évalués et le profil de sommeil est comparable aux sujets souffrant d’insomnie (166). Enfin, un lien entre la réactivité émotionnelle et les troubles du sommeil a été mis en évidence de manière significative dans la population générale (237 ; 238-240). Du fait de l’importance de ces deux dimensions, l’objectif de notre étude est d’étudier le lien entre la réactivité émotionnelle et la qualité du sommeil chez les patients souffrant de troubles affectifs bipolaires en période intercritique.

Dans un premier temps nous qualifierons les troubles bipolaires selon le fonctionnement émotionnel. Nous étudierons les caractéristiques du sommeil en

fonction de la perturbation ou non du fonctionnement émotionnel. Les données de la littérature laisse présager qu’une mauvaise régulation des émotions est en lien avec un sommeil altéré. Si un dysfonctionnement émotionnel s’accompagne d’un sommeil de mauvaise qualité, nous affinerons la description clinique selon le type de dysrégulation afin d’explorer si un profil hyperréactif ou hyporéactif sur le plan émotionnel est associé à un profil particulier de sommeil. Une hyperréactivité émotionnelle laisse-t-elle présager une excitation globale des émotions et du sommeil et une hyporéactivité émotionnelle d’une inhibition globale de ces dimensions ?

b. Méthode

i. Recrutement de l’échantillon

Le recrutement de la population de cette étude est réalisé au sein des patients consultant au Centre Expert Bipolaire de Bordeaux et bénéficiant d’un bilan complet en hospitalisation de jour, de la période de Mars 2009 à Juin 2014. L’évaluation diagnostique est faite par un médecin psychiatre via la SCID-I version 1.0 (254). Seuls les patients ayant un diagnostic de trouble bipolaire de l’humeur de type 1, 2 ou non spécifié, en période intercritique, (absence d’épisode dépressif, hypomaniaque ou maniaque actuel) sont inclus.

La sévérité des symptômes thymiques est objectivée par la MADRS (Montgomery et Asberg, 1979) et la YMRS (Young, 1978). Nous retiendrons les critères de Tohen (Berk, 2008) (MADRS ≤ 7 et YMRS ≤ 8) afin d’exclure les patients présentant des symptômes thymiques sévères. La population d’étude est majeure, une lettre d’information concernant l’évaluation est remise aux patients.

ii. Evaluation clinique

1) De la réactivité émotionnelle

La réactivité émotionnelle est évaluée par l’échelle MAThyS (19).

La MAThyS est une échelle visuelle analogique ayant pour objectif de qualifier la réactivité émotionnelle des différents types d’épisodes thymiques par rapport au fonctionnement de base du sujet et selon un continuum allant de l’inhibition à l’excitation. Elle est composée de 20 items se rapportant à différentes dimensions impactées dans les troubles bipolaires dont la réactivité émotionnelle, mais aussi les cognitions, la perception sensorielle, la motivation et la motricité. Chaque item est coté de 0 à 10 aboutissant ainsi à un score total variant de 0 à 200. Concernant la réactivité émotionnelle, elle est qualifiée de dysfonctionnelle si le sous- score (allant de 0 à 40) est strictement inférieur à 16 ou supérieur à 24. Pour un score compris entre 16 et 24 inclus, le sujet est considéré comme normo réactif au point de vue émotionnel (255).

Le dysfonctionnement émotionnel peut être mieux qualifié entre hyporéactivité émotionnelle (strictement inférieur à 16) et hyperréactivité émotionnelle (strictement supérieur à 24). L’échelle MAThyS a démontré une bonne validité externe ainsi qu’une bonne cohérence interne (coefficient alpha de Cronbach = 0.95) (19). Deux autres échelles permettent d’analyser le profil émotionnel. L’ALS (« Affective Lability Scale ») mesure la labilité des affects, la perception qu’ont les sujets de leur proportion à alterner entre des affects infra cliniques et des émotions tels que la colère, la joie, l’anxiété etc. Il s’agit d’un auto-questionnaire de 54 items. Chaque item est rangé sur une échelle de 0 à 3 allant de "absolument pas caractéristique de moi" (=0) à "très caractéristique de moi" (=3). Le score total permet d’identifier les sujets dont l’humeur de base est très fluctuante (21).