• Aucun résultat trouvé

ii. Caractéristiques physiopathologiques

Harvey et ses collaborateurs ont comparé de manière subjective (agenda du sommeil) et objective (actigraphie) la qualité du sommeil de patients bipolaires euthymiques avec des patients souffrant d’insomnie et des témoins, durant 8 jours et nuits consécutifs (175). Au total, 70% des patients bipolaires rapportent des troubles du sommeil, dont 55% remplissent les critères d’insomnie (à l’exclusion du critère D). En comparaison aux autres groupes, les patients bipolaires ont une efficience de sommeil moindre, un niveau d’anxiété et de peur concernant leur qualité de sommeil plus élevée et une activité diurne moindre. Les représentations du sommeil (ici altérées) sont comparables aux sujets insomniaques et diffèrent significativement des sujets sains.

Ces résultats se recoupent en partie avec l’étude de St Amand et ses collaborateurs (176). Dans cette étude, les groupes de patients souffrant de troubles bipolaires et d’insomnie sont comparables sur de nombreux points. Les patients souffrant de troubles bipolaires se rapprochent cliniquement des patients insomniaques quant à la diminution de l’activité diurne, la variabilité des activités réalisées au jour le jour plus importante et une somnolence diurne majorée. Néanmoins, le recueil des paramètres du sommeil (agenda, questionnaires et actigraphie) ne montrent pas de différence significative avec les sujets sains, à l’inverse des sujets insomniaques.

Talbot et ses collaborateurs (177), confirment les similitudes entre les patients bipolaires et les patients insomniaques. A cela, ils démontrent que la durée totale d’éveil un jour est suivie d’une « humeur négative » le lendemain. Réciproquement, une « humeur négative » le soir est suivie d’une durée d’éveil supérieure le lendemain. Ce cercle vicieux peut aboutir, lors d’un épisode aigu, à une issue fatale comme décrit par Bell au milieu du XIXème siècle (178). Ses rapports d’observations cliniques font le constat de décés suite à un mois et demi d’évolution d’un épisode maniaque où l’insomnie était presque totale.

Quelques études polysomnographiques ont été réalisées chez des patients bipolaires. Knowles et al (179) mesurent chez 10 patients euthymiques durant 5 nuits les caractéristiques du sommeil. Les seules différences retrouvées sont davantage de stade 1, plus d’éveil nocturne et de temps passé au lit. Sitaram et al (180) rapportent une augmentation de la densité de sommeil paradoxal à sa première survenue ainsi qu’un pourcentage de sommeil paradoxal supérieur à la population générale. Cette étude fait un lien entre une perturbation du système cholinergique observée dans les dépressions et les perturbations du sommeil paradoxal.

Concernant les différents types de perturbation, les données de la littérature sont parfois contradictoires du fait de faible échantillon. Nous nous appuierons sur deux méta-analyses, parues récemment, qui font le point sur les études des troubles du sommeil durant les périodes euthymiques.

La première, réalisée par Geoffroy PA et ses collaborateurs, regroupe toutes les études réalisées par actimétrie chez des patients bipolaires euthymiques. Les critères étudiés devaient être présents dans deux études au moins. De cette méta-analyse ainsi qu’après méta-régression, les auteurs retrouvent, de manière significative en comparaison à des témoins, une augmentation de la durée totale de sommeil ; une augmentation de la latence au sommeil ; d’avantage d’éveils après endormissement ; une diminution de l’efficience du sommeil (181).

La deuxième méta-analyse (182) intègre tous les instruments de mesure du sommeil, qu’ils soient objectifs ou subjectifs (polysomnographie, actimétrie, auto-questionnaires, journal de sommeil). Les groupes comparés sont au nombre de quatre : des patients souffrant de trouble bipolaire en période euthymique ; des sujets à haut-risque individuel de trouble bipolaire ; des sujets contrôles ; des patients souffrant d’insomnie primaire. Si l’on compare les sujets bipolaires avec les sujets sains, les mesures par actimétrie retrouvent de manière significative une durée de sommeil avec un temps passé au lit plus long, une latence à l’endormissement majorée, davantage d’éveils précoces. Ces analyses suggèrent que les patients souffrant de trouble bipolaire ont un sommeil plus altéré que les sujets contrôles dans la plupart des variables mesurées. Les

études par actigraphie mettent en évidence une augmentation de la durée totale de sommeil, de la latence à l’endormissement, du nombre d’éveil nocturne et du temps passé au lit. Ces paramètres sont aussi plus variables au fil des jours. L’activité globale sur 24h est diminuée. Le journal du sommeil retrouve également une augmentation de la latence à l’endormissement, du nombre d’éveil nocturne et du temps passé au lit ainsi qu’une variabilité clinique augmentée. Les études par polysomnographie retrouvent uniquement une augmentation du pourcentage du stade 1 du sommeil. Les questionnaires retrouvent une augmentation au score du PSQI (Pittsburgh Sleep Quality Index), ISI (Insomnia Severity Index), ESS (Epworth Sleepness Scale), traduisant une mauvaise qualité subjective du sommeil de façon globale.

En comparaison aux sujets souffrant de trouble du sommeil primaire, les sujets souffrant de trouble bipolaire ont une durée de sommeil plus importante, une activité globale moindre mais néanmoins une efficience du sommeil supérieure et moins d’éveil nocturne. Des perturbations chez les sujets à risque de développer un trouble bipolaire sont aussi retrouvées. Ces variations sont essentiellement une variabilité accrue des paramètres du sommeil au fil des jours.

De plus, dans une étude chez le sujet jeune (<18ans) souffrant de troubles bipolaires, les perturbations du sommeil sont rapportées par environ la moitié des parents comme étant le symptôme le plus précoce (183) d’épisode thymique. L’évaluation du sommeil chez les sujets à hauts risques de développer un trouble bipolaire retrouve des perturbations du sommeil antérieures à l’expression de la maladie (184).

iii. Conséquences cliniques et pronostiques

Au vu de cette comorbidité évidente, différents auteurs s’attachent à mesurer l’impact de ce symptôme trait. Dans une étude incluant une population importante de patient (73 TB1 et 483 TB2), la présence de problèmes du sommeil est significativement associée à la présence de caractéristiques psychotiques par le passé, davantage de tentatives de suicide et un risque de rechute thymique précoce, quel qu’en soit la

polarité (185). Eidelman et ses collaborateurs précisent qu’au sein d’un groupe de patients souffrant de troubles bipolaires, une moindre efficience et une variabilité accrue du sommeil sont associés à davantage d’épisodes dépressifs vie entière. Il en est de même en cas de variabilité de la durée totale d’éveil (186). L’étude de Becker et ses collaborateurs confirme ces résultats, précisant qu’au sein même de patients bipolaires euthymiques, les perturbations du sommeil sont associés à d’avantage de symptômes résiduels. De plus, indépendamment des symptômes résiduels, plus le sommeil est perturbé plus les rechutes seront précoces (187).

La privation de sommeil chez des patients souffrant de troubles bipolaires est associée au début d’un épisode maniaque ou hypomaniaque pour une grande proportion (160). Dans une étude incluant 206 sujets souffrant de dépression bipolaire, la privation totale de sommeil durant une nuit suivie d’une nuit de récupération ou traitée (amineptine, fluoxetine, lithium ou pindolol) 4,85% initie un épisode maniaque et 5,83% un épisode hypomaniaque (157).

Au delà des symptômes cliniques, il est démontré que les troubles du sommeil entrainent une altération de la qualité de vie et du fonctionnement général (188-191), ce qui en fait un axe de travail primordial.

Plusieurs paramètres du sommeil ont été étudiés afin de préciser les mécanismes sous- jacents et d’orienter les interventions thérapeutiques. Ainsi une durée totale de sommeil plus court serait associée à une augmentation de la sévérité des épisodes maniaques et une plus grande variabilité du sommeil serait associée à une augmentation de la sévérité des épisodes maniaques et dépressifs. Un suivi prospectif sur 1 an confirme les mêmes résultats. Ces résultats mettent en évidence l’importance des perturbations du sommeil en périodes intercritiques dans l’évolution des troubles bipolaires (192).

De manière intéressante, une combinaison d’évaluations à l’aide de 4 paramètres (durée moyenne du sommeil, latence moyenne d’endormissement, variabilité́ de l’index de fragmentation sur les 21 jours et score moyen au PSQI du retentissement

diurne) permet dans 90% des cas d’identifier les sujets ayant un TB et les sujets sains (193).

D’un point de vue thérapeutique, une étude compare la prise en charge spécifique des troubles du sommeil (TCC de l’insomnie) à une psychoéducation globale (194). Elle met en évidence l’intérêt d’intégrer le sommeil au cœur des prises en charge. La TCC de l’insomnie est associée avec une réduction du risque de rechute, améliore la qualité de sommeil et le fonctionnement global. Ces résultats sont significativement supérieurs à une psychoéducation isolée.

f. Troubles bipolaires, sommeil, et rythmes circadiens : une