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1. Motivation, traitement de la récompense et système mésolimbique

1.3. Les troubles de la motivation

1.3.1. Symptomatologie des désordres motivationnels

Chez l’Homme, les troubles de la motivation sont communs et prévalent dans de nombreuses conditions médicales (American Psychiatric Association, 2013; Chong and Husain, 2016; World Health Organization, 1992). Ils peuvent contribuer à l’apparition d’autres symptômes psychiatriques tels que le retrait social ou les déficits cognitifs (Brébion et al., 2009) devenant ainsi incapacitants et réduisant la qualité de vie des patients (Barch and Dowd, 2010; Simpson et al., 2012). Il existe en conséquence un grand nombre de symptômes décrivant des déficits motivationnels (Tableau 2) qui se recoupent et parfois se superposent.

Le terme d’anhédonie décrit un état d’incapacité à ressentir le moindre plaisir (Ribot, 1897). L’anhédonie est depuis longtemps considérée comme symptôme de certaines pathologies comme la dépression majeure, la maladie de Parkinson ou la schizophrénie (Olney et al., 2018) mais ce terme à lui seul ne permet pas d’étudier l’ensemble des altérations des processus neurologiques de récompense et de motivation. Il en résulte une Figure 4 Développement thérapeutique idéal. Les deux stratégies translationnelles sont ici représentées : de l’animal à l’Homme et de l’Homme à l’animal (Phillips et al., 2018)

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incapacité à dissocier les processus d’anticipation d’une récompense, d’attribution de la valeur de celle-ci, d’évaluation des coûts associés, d’activation du comportement à effectuer dans le but de l’obtenir, de plaisir ressenti par sa consommation et d’apprentissage permettant de reproduire le comportement dans le futur (Der-Avakian et al., 2015). Le dysfonctionnement d’un seul de ces processus entraine la diminution des comportements dirigés vers un but sans nécessairement impliquer la notion de plaisir.

Termes cliniques Définitions

Aboulie Altération de la spontanéité de l’action et de la parole, réduction des possibilités de mouvement, ralentissement mental, diminution de l’attention et apathie et cela sans perturbations intellectuelles

Mutisme akinétique

Diminution des activités mentales et motrices auto-initiées, indifférence aux stimuli biologiques pertinents (douleur, faim ou soif…)

Anergie Baisse d’énergie ressentie Anhédonie Incapacité à ressentir du plaisir

Apathie Diminution des comportements volontaires et dirigés vers un but et altérations des processus cognitifs et émotionnels

Déficit d’auto-activation

Déficit d’activation spontanée des processus mentaux comportementaux, cognitifs ou affectifs, déficit réversible par stimulation externe entrainant l’activation de réponses normales

Avolition Réduction de la capacité à initier ou maintenir un comportement dirigé vers un but

Fatigue Perte d’énergie physique ou mentale liée à des perturbations des mécanismes motivationnels

Retard

psychomoteur

Ralentissement des mouvements, ou tendance générale à la réduction à initier une activité motrice

Il est d’ailleurs proposé que ces processus ne sont pas toujours régulés par les mêmes substrats neurobiologiques (Der-Avakian and Markou, 2012) ce qui fait de chacun d’eux, un potentiel symptôme permettant de mieux comprendre les points communs et différences entre les pathologies concernées. Aujourd’hui, les mesures cliniques traditionnelles, sous forme de questionnaire, ne séparent pas réellement le « liking » du « wanting » mais les associent bien souvent. Par exemple, la dernière version du manuel diagnostique et Tableau 2 Définitions des différents termes qualifiant les troubles de la motivation (adapté de Chong et Husain, 2016)

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statistique des troubles mentaux (DSM-V) définie l’anhédonie comme « un manque de plaisir pour, ou d’engagement dans, une expérience donnée » (Diagnostic and statistical manual of mental disorders : DSM-5, n.d.) qui prend en compte tous les processus précédemment cités (Figure 5) et représente donc un chevauchement entre la véritable anhédonie et l’apathie, terme que nous définirons par la suite (Husain and Roiser, 2018). Il est également à noter que le DSM-V propose deux définitions distinctes de l’anhédonie en fonctions du contexte pathologiques (Dépression versus Schizophrénie par exemple). Celle citée ci-dessus réfère à l’anhédonie dans la dépression (DSM-V, p. 163) et pour la schizophrénie, elle réfère à une « diminution de la capacité à ressentir du plaisir provenant d’un stimulus positif ou une dégradation d’un souvenir précédemment expérimenté » (DSM-V, p. 88), définition qui là aussi englobe différents symptômes dont l’ensemble est caractérisé de « symptômes négatifs » (Cooper et al., 2018).

L’apathie est un des troubles caractérisé par une diminution de la motivation pour un effort physique, cognitif ou émotionnel (Lanctôt et al., 2017; Starkstein and Leentjens, 2008) entrainant une réduction des comportements dirigés vers un but (“Apathy,” 1991). C’est un symptôme non unitaire, ou syndrome, fréquemment rencontré dans de nombreux troubles psychiatriques et neurologiques comme la maladie de Parkinson, la dépression majeure, la schizophrénie, les troubles bipolaires, la démence ou même les accidents vasculaires cérébraux et il est en général mal reconnu et sous-traité (Chong et al., 2016). L’apathie Figure 5 Superposition des symptômes cliniques de l’apathie et de l’anhédonie tel qu’ils sont définis aujourd’hui (Husain et Roiser 2018). Le comportement dirigé vers un but est composé de différents processus, dont la dysfonction d’un seul peut résulter en un déficit comportemental, incluant les dimensions motivationnelle et/ou hédonique.

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comprend des éléments comportementaux, cognitifs et émotionnels dont la curiosité intellectuelle, l’initiation de l’action, la conscience de soi, l’enthousiasme et l’intérêt. Les critères qui le composent sont donc cliniquement hétérogènes mais se traduisent plus généralement par une réduction de la capacité et de la volonté à engager un effort important dans le but d’obtenir une récompense (Chong, 2018). Pour citer un exemple intéressant, il existe une auto-évaluation récemment mise au point, l’« Apathy Motivation Index », qui a été spécialement conçue pour mesurer les déficits motivationnels et, en particulier, pour distinguer les différentes composantes de l’apathie (Ang et al., 2017).

L’avolition est également un symptôme représenté par un déficit motivationnel, autrement dit, une capacité réduite à initier et maintenir un comportement dirigé vers un but mettant particulièrement en jeu les processus d’anticipation de la récompense. Il est utilisé dans le contexte de la schizophrénie, notamment comme l’un des symptômes négatifs (Foussias and Remington, 2010; Kraepelin, 1921). Plus précisément, les patients atteints d’avolition n’ont pas d’altération du « liking » pour la récompense, mais échouent à évaluer et anticiper la valeur d’une récompense à venir, y allouant en conséquence moins de ressources (Olney et al., 2018).

La fatigue, mentale ou physique, est associée à une difficulté à initier une activité volontaire, probablement due à l’excès de fatigue ressenti lors d’efforts préalables. C’est un symptôme commun dans le contexte de dysfonction des processus immunologiques et inflammatoires (Morris et al., 2016) mais aussi utilisé, parfois, pour la dépression majeure (Husain and Roiser, 2018).

Ces symptômes caractérisant une perte de la motivation sont, malgré quelques différences subtiles, très similaires et mettent en jeu des processus neurobiologiques communs. Ils sont par ailleurs déterminés en fonction du questionnaire utilisé, qui prédéfinit le terme final à employer si le patient est statistiquement différent du groupe contrôle (Apathie, Avolition, Fatigue, …) (Husain and Roiser, 2018).