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1. Motivation, traitement de la récompense et système mésolimbique

1.3. Les troubles de la motivation

1.3.2. Les pathologies associées aux troubles de la motivation

Les paradigmes comportementaux adaptés chez l’Homme ont permis de caractériser la motivation dans différentes populations de patients dont les symptômes les plus communément décrits sont l’apathie et l’anhédonie (Tableau 3). Ces deux symptômes (ainsi

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que l’avolition) vont souvent se retrouver corrélés entre eux, témoignant de leur étroite similitude, ou tout du moins des similitudes dans la manière de les évaluer (Bischof et al., 2016; Hartmann et al., 2015).

Pathologie Apathie dans la

population (%)

Anhédonie dans la population (%)

Accident vasculaire cérébrale 36 -

Alzheimer 49 61

Démence fronto-temporale 72 -

Démence vasculaire 65 -

Dépression majeure 38 37

Huntington 47 -

Lésion cérébrale traumatique 61 22

Parkinson 40 46

Schizophrénie 47 45

Tableau 3 Mesure de la prévalence de l’apathie et de l’anhédonie dans différentes pathologie neurologiques (Husain et Roiser, 2018). ‘-’ l’anhedonie n’a pas été estimée dans ces population de patient

La schizophrénie est caractérisée par des symptômes positifs, (ou psychotiques) et cognitifs, ainsi que des symptômes négatifs qui représentent la diminution de comportements, pensées ou sentiments normalement présents (Husain and Roiser, 2018). Au-delà de l’anhédonie proposée (Horan et al., 2006; Meehl, 1962), ils incluent des dysfonctions motivationnelles, reconnues depuis longtemps (Kraepelin, 1921) et qualifiées d’avolition (Messinger et al., 2011) ou d’apathie (Gard et al., 2009; Hartmann et al., 2015; Kaiser et al., 2017; Kirkpatrick, 2014; Sagen et al., 2010; Yazbek et al., 2014). Certaines équipes proposent même qu’il n’y a pas de déficit hédonique chez ces patients mais uniquement des troubles de la motivation (Foussias and Remington, 2010; Kraepelin, 1921). Cette avolition observée chez le patient atteint de schizophrénie (par questionnaire) est en forte relation avec des diminutions de performances en tâches comportementales

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d’évaluation de la motivation (Barch et al., 2014; Bismark et al., 2018; Adam J Culbreth et al., 2018; Fervaha et al., 2013; Gold et al., 2013; Green et al., 2015; Horan et al., 2015; Huang et al., 2016; McCarthy et al., 2016; Moran et al., 2017; Serper et al., 2017; Strauss et al., 2016; Treadway et al., 2015; Wang et al., 2015; Wolf et al., 2014), dans lesquelles les patients schizophrènes sont moins à même de fournir un effort ou de choisir l’option coût élevé / bénéfice élevé en comparaison aux individus contrôles et ce pour la plupart des tâches comportementales existantes (5 tâches comparées au sein d’une même cohorte) (Reddy et al., 2015). Dans 50% des études, ces déficits ont été associés à un déclin cognitif (Adam J Culbreth et al., 2018), qui est également robuste chez le schizophrène (Barch and Sheffield, 2017). D’autres études ciblent particulièrement l’incapacité de ces patients à anticiper un plaisir à venir conduisant à la réduction de l’effort investi sans modification du plaisir ressenti au moment de l’obtention de la récompense (Kring and Moran, 2008; Strauss and Gold, 2012).

L’anhédonie chez les patients dépressifs a été précocement décrite (Klein, 1974). Elle est souvent mal interprétée par les cliniciens (Treadway and Zald, 2011) puisque au-delà du déficit à ressentir du plaisir, il apparait également que ces patients ont des difficultés à déclencher un comportement, à exercer un effort et à le maintenir, qui en plus d’être masqué par le diagnostic d’anhédonie, sera défini comme de l’apathie, de l’anergie, de la fatigue ou encore un retard psychomoteur (Demyttenaere et al., 2005; Marin et al., 1993; Salamone et al., 2006; Stahl, 2002; Yuen et al., 2015). Une inhabilité de ces patients à exercer un effort a cependant pu être mise en évidence (Cléry-Melin et al., 2011; A. J. Culbreth et al., 2018; Sherdell et al., 2012; Michael T. Treadway et al., 2012; Yang et al., 2016, 2014), altération qui persiste après rémission (Pechtel et al., 2013). De plus, certaines études mettent en avant l’inconsistance de la perte de plaisir induite par la dépression dans certaines cohortes de patient, renforçant ainsi l’hypothèse d’un déficit sélectif de la motivation chez certains patients (Pizzagalli, 2014; Treadway and Zald, 2011) et suggérant l’existence de différents types de dépression.

Les patients bipolaires ont également été diagnostiqués anhédoniques (Leibenluft et al., 2003). Il est plus spécifiquement rapporté que les patients unipolaires et bipolaires en

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phase dépressive ont une réduction des performances en PR de manière similaire aux patients atteints de dépression majeure (Hershenberg et al., 2016), l’une des rares études transdiagnostique. Chez les bipolaires de type 2, avec des phases dépressives majoritaires et des phases dites hypomaniaques, il semble que l’anhédonie soit associée à un déficit d’anticipation de la récompense (Caseras et al., 2013; Fletcher et al., 2013; Whitton et al., 2015).

Le même type de symptômes est observé lors des périodes d’abstinence de drogue d’abus chez l’Homme (Volkow, 2001) et l’animal (Thompson et al., 2017) également qualifié d’anhédonie par certains (Markou, 1998). De manière plus précise, les dysfonctions motivationnelles sont un élément clef des processus de mise en place de l’addiction (Venugopalan et al., 2011; Vezina et al., 2002), puisque les personnes dépendantes aux substances d’abus vont considérablement augmenter leurs efforts pour obtenir la substance d’abus au détriment de tout autre forme de récompense, se traduisant par un déficit généralisé de la motivation en faveur d’une impulsivité accrue dirigée vers la substance d’abus. Autrement dit, le patient dépendant agit dans le but d’obtenir une faible récompense immédiate plutôt qu’une plus grosse récompense, plus tardive ou moins concrète (Groman and Jentsch, 2012; Trifilieff et al., 2017; Trifilieff and Martinez, 2014). De plus, l’impulsivité est un potentiel phénotype prédictif de l’addiction (Belin et al., 2008; Dalley et al., 2011).

L’anhédonie et l’apathie sont des symptômes également classiquement décrits chez les patients atteints de la maladie de Parkinson (Isella et al., 2003; Lemke et al., 2005). Plus spécifiquement, il a pu être observé une réduction de leur capacité à fournir un effort pour obtenir une récompense (Chong et al., 2015; Friedman et al., 2011; Porat et al., 2014; Shore et al., 2011). La maladie d’Alzheimer va aussi mettre en jeu une potentielle dérégulation du système de récompense et de motivation puisque des symptômes anhédoniques (Starkstein et al., 2005) ainsi que des déficits motivationnels et autres symptômes apathique (Lopez et al., 2003; Siafarikas et al., 2018; Zhao et al., 2016) y ont été décrits. Cependant, la prévalence de l’apathie chez ces patients est très variable (entre 19% et 88% selon une méta-analyse) supposément à cause de la difficulté d’isoler ce symptôme des symptômes de démence (Zhao et al., 2016). Mais l’apathie est tout de même considéré comme un marqueur important de la

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progression de cette maladie (Spalletta et al., 2015). Une étude transdiagnostique montre que les troubles associés à l’apathie sont similaires entre les patients atteints d’Alzheimer et de Parkinson (Dario et al., 2013). Des troubles du maintien de l’effort chez les patients atteints du cancer sous traitement entrainant une forte réaction inflammatoire (Dantzer et al., 2012) ou lors d’infections ou de maladies inflammatoires (Dantzer et al., 2008; Miller, 2009) ont également pu être observés. Pour finir, la perte de motivation est décrite suite à un AVC ou une lésion cérébrale traumatique, lors d’une démence vasculaire et dans les maladies de Huntington et de Pick (Husain and Roiser, 2018). A l’inverse, de manière intéressante, les patients atteints d’autisme ont plus de volonté à travailler pour une récompense (Damiano et al., 2012) et cela sans prendre en compte le niveau de contingence entre la récompense et le comportement à effectuer et malgré la présence du même diagnostique d’anhédonie chez ces patients (Chevallier et al., 2012).

Enfin, comme abordé plus tôt, il apparait que le terme clinique d’anhédonie, tel qu’il est diagnostiqué dans toutes les pathologies susmentionnées, ne correspond réellement pas à sa définition première. En effet, un test préclinique permettant de cibler plus précisément la véritable hédonie, c'est-à-dire le plaisir perçu par la consommation de la récompense, a été adapté chez l’Homme. Il s’agit du test de préférence au sucrose classiquement utilisé chez l’animal bien qu’il existe des tests plus spécifiques encore (Delamater et al., 1986; Johnson, 2018). Cette translation de l’Homme à l’animal a pour l’instant démontré que, pour certaines pathologies citées ci-dessus comme la dépression majeure, les troubles bipolaires, la schizophrénie ou l’autisme, il n’existe pas de déficit de la réactivité hédonique pour le sucrose en comparaison aux contrôles (Berlin et al., 1998; Damiano et al., 2014; Dichter et al., 2010). Cela veut dire que, soit ce test n’est pas valide chez l’Homme pour mesurer le plaisir, soit ces maladies psychiatriques ne sont pas associées à ce déficit. Ce dernier point se confirme au fil des études, en particulier pour la schizophrénie (Barch et al., 2015; Gard et al., 2007; Heerey and Gold, 2007).

Collectivement, ces études démontrent que les déficits motivationnels face à un effort à fournir ne sont spécifiques à aucune des pathologies citées ci-dessus. Pourquoi ces différentes pathologies, qui conduisent dans leur ensemble à des troubles distincts,

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entrainent-elles des conséquences phénotypiques similaires telles qu’une réduction de la motivation face à l’effort ? Cela sous-entendrait que ces altérations des processus motivationnels pourraient être sous-tendues par des perturbations de circuits cérébraux communs.