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4.1. Spécificités régionales des AGPI

Dans la mesure où les dMSNs et iMSNs sont des neurones très semblables, on peut se demander pourquoi les iMSNs – ou la signalisation du RD2 - seraient plus sensibles aux modifications des taux d’AGPI. Les membranes lipidiques sont des compartiments hétérogènes dans lesquels de nombreux mécanismes de régulation vont contribuer à la modulation des processus cellulaires. Cependant, les potentielles spécificités cellulaires et/ou subcellulaires de la composition lipidique membranaire, ainsi que les fonctions associées, restent peu connues et ce en grande partie à cause de limites techniques. Nous savons, de manière indirecte, que les AGPI n-3 vont impacter le système monoaminergique, et dopaminergique en particulier. A l’inverse, le système glutamatergique, principal système de neurotransmission excitatrice, semble moins sensible aux modulations des taux d’AGPI membranaires. Par exemple, la déficience en AGPI n-3 n’entraine pas de modifications de gènes impliqués dans la transmission glutamatergique (Kitajka et al., 2004), de la transmission glutamatergique elle-même (Latour et al., 2013) ou de la plasticité dépendante du glutamate (Lafourcade et al., 2011; Thomazeau et al., 2016). De ce constat né l’hypothèse que les différents types synaptiques existants pourraient être également ségrégés de par leur composition lipidique, ce qui expliquerait la sensibilité variable de ces différents systèmes de neurotransmission aux manipulations des taux d’AGPI. Il serait alors intéressant de trier différents types de neurones et de synapses (synaptosomes) pour en comparer les contenus lipidiques - projet en cours au sein de l’équipe - afin de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Si elle est validée, alors cela impliquerait que la composition membranaire en AG, et notamment en AGPI, modulerait les fonctions cérébrales en agissant spécifiquement sur certains types de neurotransmission, types cellulaires ou compartiments cellulaires. Il est

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cependant peu probable que cette spécificité, si elle existe, soit la seule cause des effets d’une déficience en AGPI n-3. En effet, la composition protéique est un autre facteur qui rend chaque cellule et synapse différentes.

4.2. Les AGPI n-3 et les RCPG de classe A

L’hypothèse que nous proposons est qu’en complément de la modulation de la composition en AGPI membranaires particulière, un autre facteur intervient : la présence d’une classe de récepteur particuliers : les RCPG de classe A. Il existe un certain nombre d’études démontrant le rôle direct des AG sur les fonctions protéiques, en particulier les RCPG. L’activité des RCPG de classe A, incluant la rhodopsine, les récepteur adrénergique β2 et β1, le récepteur à l’adénosine RA2A, le RD1 et le RD2, est fortement influencée par la présence de cholestérol à la membrane. Une déplétion en cholestérol, composant majoritaire des radeaux lipidiques, modifie le recrutement de voies de signalisations associées (Celver et al., 2012; Jastrzebska et al., 2011; Pontier et al., 2008), et ceci est à mettre en relation avec la présence putative d’un site de liaison au cholestérol sur ces récepteurs, mis en évidence par cristallographie (Hanson et al., 2008; Jaakola et al., 2008; Jastrzebska et al., 2011). Il est important de noter que l’excès de cholestérol va cependant entrainer une altération des propriétés membranaires en réduisant de manière importante la fluidité de celle-ci (Cooper, 1978; Dumas et al., 1997; Morita et al., 1997). Notons d’ailleurs que notre modèle de déficience en AGPI n-3 va, entre autres, induire une augmentation des taux de cholestérol dans le Str pouvant résulter en une réduction de la fluidité membranaire. Comme décrit dans l’introduction, l’implication des AGPI dans la fonctionnalité des radeaux lipidiques (Ravacci et al., 2013; Shaikh, 2012; Villar et al., 2016) ainsi que le rôle des AGPI n-3 dans l’interaction avec la rhodopsine et son activation ont par ailleurs été démontrés (Grossfield et al., 2006; Lauwers et al., 2016; Sánchez-Martín et al., 2013). Un des mécanismes possible est que la déficience en DHA entrainerait une diminution du recrutement de la protéine G induite par la lumière (Jastrzebska et al., 2011; Mitchell et al., 2003; Niu et al., 2004) conduisant à une altération des fonctions visuelles chez l’animal (SanGiovanni and Chew, 2005). Toutes ces données indiquent que les AGPI, et le DHA en particulier, peuvent agir comme régulateur de la fonction des RCPG de classe A. Pour ce qui est du RD2, sa structure cristal complète n’ayant été determinée que très récemment (Wang et al., 2018), aucune étude de modélisation des

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interactions de ce récepteur avec les AGPI n’a été réalisée. Il a cependant été montré que son affinité pour un antagoniste dépendait de la présence des PE et PC environnant et diminuait en présence d’AG saturés uniquement (Srivastava et al., 1987). Des données non publiées obtenues au laboratoire et par des collaborateurs de l’équipe montrent que les AGPI vont différentiellement moduler les propriétés fonctionnelles du RD2. In vitro, l’affinité du RD2 pour ses ligands (l’antagoniste spipérone, qui par ailleurs est un antipsychotique, et l’agoniste quinpirole) est significativement augmentée quand les phospholipides sont enrichis en DHA. Cet effet est moins important lorsque la membrane est enrichie avec de l’AA et absent avec le DPA, les deux principaux AGPI n-6 à chaine longue. Néanmoins, des modifications d’affinité de liaison d’un récepteur pour ses ligands ne se traduisent pas forcément par une altération des différentes voies de signalisation en aval de ce récepteur. Nous avons mis en évidence que le recrutement de la protéine G au RD2 suite à son activation par le quinpirole dans des extraits de NAc provenant d’animaux équilibrés ou déficients en AGPI n-3 n’était pas modifié dans notre modèle. De plus, les données obtenues pas V. De Smedt-Peyrusse au laboratoire confirment ce résultat puisque la modulation des taux d’AGPI membranaires in vitro n’induit pas de modification de la diminution d’AMPc en réponse au quinpirole.

Nous observons cependant que la déficience en AGPI n-3 a un effet en particulier sur la voie indépendante de la protéine G, la voie β-arrestine. En effet, bien qu’insuffisant pour conclure, nous constatons une réduction des taux de base de la β-arrestine 2 chez les animaux déficients en AGPI n-3 ainsi qu’une tendance à la diminution de l’état basal phosphorylé (donc inactif) de la GSK3β, mise en jeu dans cette voie de signalisation. Cela, en en complément de données préliminaires de BRET obtenues par l’équipe montrant que le DHA augmente l’efficacité du recrutement de la β-arrestine 2 au RD2, suggère que ce modèle de déficience en AGPI n-3 a un impact sur la fonctionnalité de cette voie. De plus, les effets comportementaux obtenus, affectant principalement la durée de la session et reflétant la composante activatrice de la motivation, ont été récemment démontrés comme dépendants de cette voie de signalisation spécifiquement (Donthamsetti et al., 2018). Il faut ajouter à cela que nous observons une réduction de l’effet du quinpirole sur la locomotion des animaux déficients en AGPI n-3 ainsi qu’une absence d’effet d’une faible dose d’aripiprazole, agoniste partiel du RD2 proposé comme étant biaisé vers la voie β-arrestine 2 (Allen et al., 2011; Pan et al., 2015), sur la motivation en comparaison au groupe contrôle. Enfin, une étude

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démontre que l’effet de l’amphétamine sur la locomotion dépend majoritairement de l’activation de la voie β-arrestine 2 dépendante du RD2, par rapport à la voie dépendante de la protéine G (Peterson et al., 2015), ce qui peut expliquer pourquoi les animaux déficients en AGPI n-3 ne répondent pas à l’amphétamine au cours d’un PR en comparaison aux animaux contrôles.

Nous proposons alors l’hypothèse que la déficience en AGPI n-3, en induisant une altération de la voie β-arrestine 2 sélectivement, entrainerait un déficit motivationnel via l’augmentation de la transmission GABA des iMSN sur les dMSN réduisant ainsi l’excitabilité de la voie directe. Cependant, la limite majeure de cette hypothèse est que la voie β-arrestine 2 n’est pas connue pour moduler directement la libération vésiculaire mais plutôt pour rélguler l’expression génique. Comment pourrait-elle alors moduler la libération vésiculaire de GABA au niveau de la synapse ? Les mécanismes induits par l’activation de cette voie de signalisation restent cependant assez méconnus, nous ne pouvons donc pas exclure le potentiel effet causal proposé ci-dessus. Il est également possible que la réduction de la signalisation dépendante de la β-arrestine 2 ait lieu en parallèle de l’altération d’un autre facteur, encore inconnu, responsable de l’effet sur la transmission GABA et l’excitabilité de la voie directe. Ces deux altérations contribueraient alors à réduire la motivation en altérant la transmission dopaminergique post-synaptique. D’autre part, il est également connu que le recrutement des arrestines entraine l’endocytose du RD2 dans les vésicules à clathrine (Clayton et al., 2014) dont l’internalisation joue un rôle non négligeable dans la régulation de la cinétique de signalisation dépendante de ce récepteur. La déficience en AGPI n-3, du fait de son rôle dans la fluidité membranaire, pourrait alors également interférer avec ce mécanisme. Enfin, un autre mécanisme potentiel dans lequel les AGPI n-3 membranaires sont impliqués concerne la régulation des interactions protéine-protéine. Des données montrent que les AGPI n-3 favorisent l’hétérodimerisation du RD2 avec le récepteur A2A notamment parce que ces deux récepteurs ont une interaction préférentielle avec les phospholipides contenant du DHA (Guixà-González et al., 2016). Ce résultat se trouve être particulièrement intéressant puisque d’une part, le RA2A n’est exprimé au niveau central qu’en grande majorité dans les iMSN du Str (Svenningsson et al., 1999) et d’autre part, son activité, fonctionnellement antagoniste à celle du RD2, est importante pour la régulation des fonctions dopaminergiques dépendantes du RD2, incluant les processus motivationnels (Mingote et al., 2008). Cela constitue une autre piste à étudier pour comprendre l’impact de la déficience sur

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la motivation via une action préférentielle sur les propriétés fonctionnelles des iMSN, d’autant plus que nous avons observé une forte augmentation des niveaux protéiques du RA2A dans le NAc des animaux déficients en AGPI n-3.

Pour finir sur les interactions possibles entre RD2 et AGPI n-3, il me semble intéressant de discuter de la spécificité d’action d’une déficience en AGPI n-3 sur les processus motivationnels majoritairement dépendants du NAc ou du moins du striatum ventro-médian. Il faudrait explorer spécifiquement l’effet de la déficience en AGPI n-3 dans le dStr sur les propriétés électrophysiologiques des iMSN et dMSN pour pouvoir réellement parler de spécificité d’action régionale de la déficience en AGPI n-3. Cependant, certaines données supportent la possibilité d’un effet différentiel de la déficience en AGPI n-3 entre le vStr et le dStr. En effet, une équipe a montré qu’il existe une hétérogénéité au sein du Str quant à la sensibilité des RD2 à la dopamine (Marcott et al., 2018). Ils démontrent que les RD2 des iMSN, y compris ceux présents sur les collatéraux, sont plus sensibles à la dopamine dans le NAc par rapport au dStr, indépendamment de la quantité de dopamine présente et de la recapture de celle-ci. De plus, ceci n’est pas le cas d’autres types de récepteurs, localisés au même endroit, comme les récepteurs aux opioïdes. Ils listent plusieurs facteurs pouvant en être responsable dont le type de sous-unité alpha de la protéine G (i vs. o), les protéines régulatrices de l’activité des protéines G, les différents isoformes et dimérisations du RD2, sa localisation et son trafic ainsi que la signalisation dépendante de la β-arrestine 2. De manière intéressante, ces quelques facteurs peuvent également être influencés par la fluidité membranaire et donc par la déficience en AGPI n-3. Ces différences régionales de sensibilité du RD2 pourraient avoir une importance fonctionnelle pour réguler les microcircuits du Str et il est possible que les AGPI n-3 régulent plus fortement les RD2 dont la sensibilité est plus élevée (dans le NAc) puisque cette sensibilité est plus à même d’être modulée.