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Chapitre 2 La symétrie axiale

2. La symétrie axiale, savoirs de référence

Tout d’abord, l’analyse épistémologique et historique du concept de symétrie axiale (cf. annexe 1) nous a permis de dégager plusieurs éléments qui nous semblent fondamentaux : d’une part, le concept de symétrie axiale ne se limite pas { ce qu’il représente en mathématiques ; d’autre part, la symétrie axiale présente – dans les mathématiques et hors des mathématiques – un aspect dynamique et un aspect statique.

a.

La symétrie axiale : concept quotidien et concept

scientifique

Grenier (ibid.) a pointé dans l’introduction de sa thèse que la symétrie axiale est une transformation géométrique particulière, non seulement du point de vue mathématique, puisqu’elle engendre le groupe des isométries du plan, mais aussi par la « multiplicité de ses

aspects », puisque :

Avant d’être une notion mathématique, la symétrie est une notion familière. Elle a une dimension culturelle et sociale, en tant que relation intra ou interfigurale, que ne possèdent pas au même degré les autres transformations géométriques. Le mot symétrie fait partie du langage courant et a de nombreuses significations. (ibid., p. 1)

Grenier avançait cet argument pour justifier le choix de cette notion pour sa recherche.

Tavignot (ibid.) mentionnait également dans sa thèse que la symétrie axiale est à la fois « objet

socioculturel » et « objet mathématique », justifiant ainsi la pertinence, au moins pour le concept

de symétrie axiale, de considérer à la source du processus de transposition didactique ce qu’elle définit comme les « savoirs de référence », sans se restreindre au savoir savant (cf. supra).

Notre analyse épistémologique (cf. annexe 1) nous a permis de mettre en évidence et d’explorer différentes facettes32 du concept de symétrie axiale qui peuvent intervenir dans l’enseignement et l’apprentissage de cette notion. En effet, nous avons identifié que ce concept n’est pas lié uniquement aux mathématiques, mais aussi { d’autres domaines scientifiques et même existe en dehors d’un contexte scientifique. Nous avons d’autre part mis en évidence que les facettes non scientifiques du concept étaient antérieures aux aspects scientifiques, { la fois d’un point de vue historique et du point de vue du développement d’un enfant. Par exemple, nous avons évoqué le fait que la symétrie axiale intervient dans la perception visuelle très tôt dans le développement (ontogénèse), avant même l’enseignement, comme l’ont montré plusieurs études de psychologie

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cognitive. On peut supposer que cela est lié { l’omniprésence de la symétrie bilatérale dans la nature (à commencer par celle du corps humain) ou encore à la familiarité des enfants avec des objets tels que des miroirs. Ces aspects de la symétrie axiale sont clairement indépendants du concept mathématique tel qu’il est défini aujourd’hui en lien avec la notion de transformation géométrique.

Pour le dire en reprenant les catégories de Vygotski, la symétrie axiale serait à la fois un concept

quotidien et un concept scientifique. Cette façon de voir les choses peut nous aider à réfléchir sur

les formes que peuvent prendre les enseignements de la notion et, en conséquence, à analyser les scénarios proposés par les enseignants. Nous pensons en effet que ces deux aspects interviennent dans l’enseignement et l’apprentissage de cette notion en sixième. Etant donné, d’après l’auteur, les caractéristiques différentes de fonctionnement et d’apprentissage de ces deux types de concepts – les concepts quotidiens « germant vers le haut », et les concepts scientifiques « germant vers le bas » dans le processus d’assimilation des concepts scientifiques (cf. chapitre 1) –, il semble indispensable de réfléchir à l’articulation de ces deux aspects dans la conception d’un scénario d’enseignement de la notion, lequel pourrait s’appuyer en sixième, par exemple, sur le phénomène du reflet dans un miroir. D’autre part, l’enseignement de la notion { l’école primaire a pu s’appuyer largement sur le concept quotidien – le miroir –, mais aussi sur des dessins figuratifs comme des bonshommes pouvant être utilisés notamment pour l’étude des axes de symétrie de figures.

Toutefois, cette approche peut être source de difficultés. D’une part, l’articulation entre concepts quotidiens et concepts scientifiques ne peut pas se réduire { un étiquetage et doit s’accompagner d’un travail sur « les mots pour dire le général » (Rogalski in Vandebrouck, 2008, p. 441) : en effet, la médiation par le langage est un des éléments essentiels de la théorie développée par Vygotski en ce qui concerne l’assimilation des concepts scientifiques par le processus de « double

germination » (ibid.), comme nous l’avons rappelé dans le chapitre précédent. D’autre part –

mais les deux raisons ne sont pas indépendantes – importer un concept quotidien dans la classe de mathématiques et s’en servir pour l’apprentissage d’une notion mathématique présente toujours le risque d’importer certaines propriétés du concept quotidien qui ne sont pas nécessairement cohérentes avec celles du concept mathématique ; en particulier, comme l’explique J. Rogalski, « [un concept quotidien] « tire » avec lui des amas de propriétés, ce qui

constitue une limitation { des constructions conceptuelles d’un niveau plus élevé » (ibid., p. 439).

En ce qui concerne la symétrie, le miroir ne permet pas de concevoir que la symétrie est une transformation du plan tout entier et pas d’un demi-plan dans un autre, ni qu’elle fonctionne “dans les deux sens”33. Par exemple, si les élèves associent symétrie axiale et miroir, il leur sera difficile de concevoir le symétrique d’une figure coupée par l’axe. D’autre part, un travail sur les axes de symétrie fondé sur des dessins figuratifs a pour conséquence de privilégier les cas particuliers liés aux axes verticaux et horizontaux, ceux-ci étant de loin les plus représentés dans le concept quotidien, sans que cela corresponde à une légitimité géométrique.

De manière anecdotique, mais révélatrice de la difficulté à articuler les deux, citons un enseignant qui, ayant constaté les difficultés des élèves dans les cas où les axes sont obliques par rapport aux cas où l’axe est vertical ou horizontal recommande donc de se limiter { ces

33 On verra plus loin à ce propos comment certaines conceptions erronées du concept mathématique

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derniers : l’enjeu d’enseignement n’est alors presque plus le concept mathématique mais le concept quotidien.

Lorsqu’il s’agit de la notion d’axe de symétrie, une autre difficulté apparaît : les axes de symétrie sont un élément essentiel du concept quotidien, mais encore une fois principalement dans les cas particuliers d’axes horizontaux et verticaux. Ils sont alors conçus comme “milieu” d’une figure unique, indépendamment de tout mouvement. Dans le concept mathématique, en revanche, l’existence d’un axe de symétrie est un corollaire de l’existence d’une symétrie conservant globalement une figure ; l’existence de cette symétrie, complètement implicite et difficile à concevoir dans le cas du concept quotidien puisque la figure est justement invariante, est une condition nécessaire pour parler d’axe de symétrie dans le cas du concept mathématique. Or, { l’entrée en sixième, la notion d’axe de symétrie est connue des élèves, mais plutôt dans son acception quotidienne, comme “droite coupant la figure au milieu”. On peut penser que la (re-)définition de cette notion en cohérence avec le concept mathématique et l’assimilation de cette nouvelle définition { l’ancienne sont délicates.

En ne se limitant pas à la symétrie axiale mais en étendant la question aux transformations géométriques en général, on constate également que le concept mathématique de transformation géométrique peut être relié à des concepts quotidiens, notamment à celui de mouvement ou de déplacement. L’enseignement de la symétrie axiale pourrait donc s’appuyer sur le retournement ou le pliage. Cette orientation est du reste induite par les programmes de sixième, mais surtout de primaire, qui parlent d’utilisation du calque pour la construction de symétriques ; d’autre part, le travail sur les transformations géométriques { partir de la notion de mouvement est préconisé par certains mathématiciens, dont R. Bkouche est un exemple des plus virulents (Bkouche, 2000). L’utilisation des concepts de mouvement et de déplacement semble limiter le risque d’importer des conceptions erronées. Toutefois, une limite, soulignée par R. Bkouche lui-même, tient à la nécessité de préciser les notions de mouvement et de déplacement, indépendamment du temps et des positions intermédiaires prises par les objets en mouvement.

On peut en tout cas penser, et les programmes y incitent, que le pliage ou même le retournement sont utilisés dans les scénarios d’enseignement, d’autant plus qu’ils peuvent jouer le rôle d’ostensif de la symétrie axiale. En effet, la transformation géométrique elle-même n’est jamais directement représentée : on ne représente toujours que son axe, puis des figures et leurs symétriques, la transformation elle-même restant invisible, ce qui peut représenter un obstacle { la fois pour l’apprentissage et pour l’enseignement.

L’étude épistémologique (voir annexe 1) nous a permis de distinguer une autre caractéristique du concept : son caractère à la fois dynamique et statique.

b.

La symétrie axiale : aspect dynamique et aspect statique

L’étude historique et épistémologique présentée en annexe nous a permis d’établir que le concept de symétrie axiale possède deux aspects différents mais complémentaires, dont l’articulation dépend du contexte – en particulier quotidien ou scientifique.

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En effet, nous y pointons que le concept de symétrie, historiquement, dans ses origines philosophiques et en tant qu’“outil de perception du monde”, signifiait la régularité, l’harmonie, des proportions harmonieuses, … et ne s’appuyait donc pas explicitement sur le mouvement, même si l’idée de changement apparaît lorsqu’on cherche { caractériser cette régularité (cf. supra, la citation de Platon). Comme on l’a précisé plus haut, cet aspect peut être rapproché de l’idée de “milieu d’une figure”.

Puis le concept a évolué, perdu de sa force (du point de vue philosophique), mais s’est précisé, spécifié (par exemple en architecture) ; différents types de régularité ont été définis, qu’il s’agisse de symétrie bilatérale ou autres, en mathématiques et ailleurs.

Enfin, dans les mathématiques sont apparues les transformations, dont la symétrie axiale n’a fait partie qu’approximativement { partir des travaux de Klein et du programme d’Erlangen. Au sein des mathématiques, la “régularité” correspondant { l’existence d’un axe de symétrie (ou d’un centre de symétrie) a pu être redéfinie comme résultat de l’invariance dans une transformation, réunifiant ainsi les deux aspects. C’est également un sens proche de celui-là qui a été développé en général dans les sciences.

Nous qualifions ces deux aspects du concept respectivement d’aspect dynamique – la symétrie axiale comme transformation ou mouvement – et d’aspect statique – la symétrie axiale comme invariance ou régularité34. Si ces deux aspects sont clairement articulés en mathématiques, comme précisé ci-dessus, il nous semble que cela ne correspond pas { l’articulation des deux si l’on se place du point de vue du concept quotidien. En effet, en mathématiques, la transformation géométrique est définie d’abord, l’existence d’un axe de symétrie étant définie ensuite comme le corollaire de l’invariance dans une certaine symétrie. En revanche, dans le concept quotidien, comme nous l’avons précisé dans la partie précédente, la régularité apparaît plutôt avant (à la fois historiquement et d’un point de vue ontogénétique) et est caractérisée indépendamment de la notion de mouvement.

Pour les besoins de l’analyse, nous distinguons en fait quatre paliers35 pour concevoir l’aspect statique :

- palier 1 : idée de régularité, { rapprocher de l’idée de “milieu d’une figure” ; entièrement perceptif (concept quotidien)

- palier 2 : si on plie la figure, il y a superposition ; instrumenté

- palier 3 : l’image de ce qui est d’un côté de l’axe par la symétrie est ce qui est de l’autre côté de l’axe ; intervention de la transformation, éventuellement liée au pliage, mais conçue comme transformation d’un demi-plan dans un autre

34 Si nous pensons être la première à attribuer ces qualificatifs à ces deux aspects de la symétrie axiale, ce

choix peut être rapproché de celui de M. Artigue et J. Robinet dans leur étude sur les conceptions du cercle chez des élèves de l’école primaire : certaines de ces conceptions étaient qualifiées de dynamiques et d’autres de statiques (Artigue et Robinet, 1982).

35 L’idée n’est pas de hiérarchiser d’un point de vue absolu les concepts quotidiens et scientifiques, mais

de se placer du point de vue de l’apprentissage : il s’agit plutôt d’étapes { franchir pour atteindre le concept scientifique.

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- palier 4 : l’image de la figure par la symétrie est la figure elle-même : notion d’invariance (concept scientifique).

La transformation n’intervient qu’{ partir du troisième palier ; autrement dit, le lien n’est possible { établir entre aspects dynamique et statique de la symétrie qu’en ayant atteint le troisième palier de conceptualisation de l’aspect statique (même si la transformation est implicite dans l’idée du pliage du deuxième). Ces quatre paliers sont à combiner avec les niveaux de Grenier et Laborde (1987) et avec les paradigmes géométriques de Houdement et Kuzniak (2000) pour élaborer (ou évaluer) l’étude de chacun des aspects du concept dans un scénario d’enseignement de la symétrie axiale : par exemple, le pliage nous semble très difficile { utiliser pour dépasser la conception erronée de transformation d’un demi-plan dans un autre ; or cette étape est nécessaire pour concevoir le niveau 4, ce qui implique d’introduire préalablement la transformation ponctuelle, seule de nature à permettre de dépasser cette conception erronée. Ce processus recèle des difficultés résultant des concepts quotidiens et scientifiques ainsi que des aspects dynamique et statique de la symétrie qui peuvent entrer en conflit, ce qui ne peut être ignoré, en particulier en sixième. En effet, la classe de sixième est l’occasion sur bon nombre de notions de passer d’un paradigme où la perception et l’expérience concrète jouent un rôle important à un paradigme où elles sont mises en arrière plan derrière un certain formalisme – mathématique – impliquant un travail à partir de définitions et de propriétés. L’exercice est encore plus difficile lorsqu’il s’agit, comme dans le cas de la symétrie axiale, d’une notion qui a auparavant été étudiée dans le premier paradigme et qu’il s’agit de faire évoluer. D’autre part, même dans un scénario conçu dans une logique de type GII, la justification (par exemple des propriétés de conservation) fait nécessairement appel au pliage ; de même, la vérification par exemple de l’existence d’un axe de symétrie est souvent très coûteuse pour une légitimité de type GII, mais très économique du point de vue de GI (soit perceptivement, soit de manière instrumentée, { l’aide d’un calque, et en faisant appel au mouvement).

De ce fait, par rapport aux scénarios d’enseignement possibles, deux options sont ouvertes : - partir de la notion d’axe de symétrie telle que la connaissent les élèves, la relier { l’idée

d’invariance dans une transformation (par exemple en associant la symétrie non pas { un pliage, mais à un retournement du calque) et étudier ensuite la transformation géométrique ;

- partir de la transformation (éventuellement en s’appuyant sur le pliage ou le miroir, définir l’invariance dans la transformation et faire le lien avec la notion d’axe de symétrie.

Un risque – déjà évoqué plus haut – persiste, qui semble difficile à éviter : la (re-)définition de la notion d’axe de symétrie est coûteuse et difficile { motiver.

Toutefois, la prise en considération de ces deux aspects et de leur articulation pour enseigner le concept est indispensable et constitue un élément important à ne pas négliger lors des analyses. En outre, ce constat nous incite { penser que l’enseignement de la symétrie axiale ne peut pas être considéré uniquement du point de vue des transformations géométriques.

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3. La symétrie axiale, savoirs à enseigner : programmes, manuels et