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Dynamique de la croissance, étude de rugosité et invariance d’échelle en épitaxie

3. Analyse des lois d’échelle

3.1. Super-rugosité, anomalies d’échelle

Tableau III-3- Résultats expérimentaux de la rugosité cinétique en croissance cristalline. Les valeurs

des exposants critiques ont été rapportées pour tenter de déterminer les différentes classes

‘‘universelles’’ correspondantes à ces résultats.

3. Analyse des lois d’échelle

3.1. Super-rugosité, anomalies d’échelle

Dans le tableau expérimental précédent on peut remarquer que l’exposant de rugosité

α est toujours inférieur à l’unité. Il n’est pas de même dans le tableau III-1 : par exemple, l’équation MH en d = 1 possède α = 3/2. On parle dans ce cas de super-rugosité [López 96, López 99]. En fait, l’équation MH à 1D possède un comportement plutôt surprenant : la fonction de corrélation des hauteurs et l’amplitude des fluctuations de l’interface montrent

le comportement de la fonction de corrélation comme dans la (III-21), et un exposant de rugosité global, α =βz, qui apparaît dans la variation de w avec la taille du système (III-9). Lorsque αloc ≠α, on parle de comportement d’échelle anomale, ou anomalie d’échelle. L’anomalie d’échelle provient du fait que, si α ≥1, un nouvel exposant dynamique indépendant de α et z intervient dans l’évolution du système [López 99] : cet exposant, qui apparaît par exemple dans la fonction de corrélation à temps courts,

G(x,t) ~ t2κx2αloc, (III-30) exprime la croissance de la pente locale de la surface au cours du temps. La pente locale étant : ∇h(x, t)[h(x+a,t)h(x, t)]/a, où a est le paramètre de maille, la fonction de corrélation évaluée en x=a mesure la croissance de ∇h :

G(a,t) ~ [h(x,t)]2 ~ t2κ. (III-31) En d’autres termes, la fonction de corrélation des hauteurs obéit à une loi d’échelle anomale :

) / ( ) , (x t t2 gA x t1/z G = β , (III-32) avec la fonction d’échelle anomale :

loc u u gA ~ ) ( pour u<<1. (III-33) De (III-31) et (III-32) on trouve :

loc loc x t t x G( , )~ 2(β−α /z) pour z t x<< 1/ . (III-34)

En résumant : l’anomalie d’échelle apparaît car, en plus de la longueur de corrélation, ξ, la surface en croissance possède une deuxième longueur caractéristique associée à la pente

locale moyenne <m2 >1/2m=∇h. Le comportement (III-31) peut être constaté sur la figure (III-8), où l’on voit que G(x,t) en x=a(=1 dans nos unités) est une fonction du temps (contrairement au cas d’une surface auto-affine, où G(x=1,t) est indépendant de t (Fig.III.3.a)). En utilisant (III-30) et (III-34) on obtient finalement la relation d’échelle suivante :

z

loc) (α α

κ = − . (III-35) Cet exposant d’échelle caractérise donc la différence entre la vitesse de développement de la rugosité à petite échelle et celle qui se développe à grande échelle. Pour une surface auto-affine, nous avons évidemment : αloc =α, d’où κ =0.

A partir d’ici, on distinguera donc la rugosité locale, αloc, de la rugosité globale définie par : α =βz. Dans le cas où α ≠αloc, on parlera d’anomalie d’échelle. A noter qu’anomalie d’échelle n’est pas synonyme de super-rugosité (α ≥1). En fait, l’anomalie d’échelle peut aussi exister si α <1. Ces deux phénomènes peuvent donc apparaître indépendamment l’un de l’autre [Krug 94].

L’anomalie d’échelle a été observée dans de nombreux modèles de croissance théoriques. En particulier, dans les modèles de (WV), (DT) et (KD) (voir tableau II-2). En effet, les solutions de l’équation linéaire de l’équation Lai-Das Sarma-Villain (LDV), qui rappelons-le s’écrit : 2 2 22 4 4 ( , ) [ ( , )] ) , ( ) , ( t r h t r h t r t t r h = − ∇ + ∇ ∇ ∂ ∂ η ν λ (LDV), (III-36)

sont connues pour manifester à la fois, la super-rugosité et l’anomalie d’échelle à 1D, l’équation (III-36) elle même ne l‘est plus. En outre, Das Sarma et ces coauteurs ont montré que les solutions de l’équation (III-36) sont stables uniquement lorsque le coefficient λ22du terme non linéaire est suffisamment petit. D’autre part, lorsque ce coefficient dépasse une valeur critique (λ22 >0.2), la version discrète de cette équation devient instable [Dasgupta 96], mais, il s’avère que cette instabilité est d’origine numérique (due à la discrétisation de l’équation LDV). L’instabilité numérique peut être supprimée en introduisant un terme non linéaire d’ordre supérieur. Cependant, le modèle (KD) ainsi que la forme contrôlée de l’équation (LDV) sont caractérisés par une instabilité non linéaire intrinsèque, avec anomalie d’échelle [Dasgupta 96]. Les exposants critiques correspondant au régime instable sont :

, 36 . 1 ≈ α β ≈0.355, z ≈3.8, κ ≈0.17, αloc ≈0.66.

A ce jour, il n’y a pas de solution analytique exacte pour ces exposants, et des calculs faits par López [López 99] à 1D, ne sont pas en accord avec les résultats des simulations. Le point délicat est la valeur d’αloc inférieure à 1. En effet, on peut montrer que toute expression locale du bruit amène invariablement à αloc =1. Des calculs non publiés de Pimpinelli pour l’équation non linéaire suivante :

th(x,t)=(−1)m+1ν 2m

x2m h(x,t)(x, h(x, t)), (III-37) donnent effectivement des exposants de la forme : α =2m / 3,β=1/ 3, z=2m κ=2(m−1) / 3,

problème est évidemment de justifier la forme non linéaire du bruit. Sans rentrer dans les détails, l’idée est de s’appuyer sur une analogie avec la propagation d’une interface dans un milieu désordonné : si le désordre est gelé spatialement, le terme de bruit qui en résulte dépend de t implicitement à travers la position de l’interface : η=η(x, h(x,t)). Dans la (III-37) le désordre est supposé être provoqué par la dynamique de croissance elle-même, notamment par l’instabilité qui se développe au cours du temps. L’hypothèse est alors que le bruit dépende de x implicitement, à travers la position de l’interface : η=η(h(x, t),t).

Une autre généralisation qui s’impose consiste à considérer une forme du bruit qui contient des corrélations dans l’espace et dans le temps. Récemment, Pang [Pang 04] a étudié la super-rugosité (à 1D) avec l’équation linéaire suivante :

th(x,t)=(−1)m+1ν 2m

x2m h(x,t)(x, t), (Pang) (III-38) qui contient un bruit de distribution gaussienne, de moyenne égale à zéro <η(x,t)>=0 et caractérisé par une corrélation qui décroît suivant une loi de puissance :

1 2 1 2 ' ' ) ' , ' ( ) , ( >= − x tη x t Dx x ρ t t θ , (III-39) avec 0≤ ρ,θ <1/2.

Notons que pour m=1 et m=2 et un bruit blanc (gaussien), les équations (III-38) et (III-39) décrivent, respectivement l’équation d’Edwards-Wilkinson (EW) et de Wolf-Villain (WV). Le processus de croissance interfaciale décrit par les équations (III-38) et (III-39) montre un phénomène de super-rugosité qui fait apparaître une anomalie d’échelle. Pang a montré que les exposants critiques de ces lois d’échelle sont donnés par les expressions analytiques suivantes :

α=φ+(2m−1) /2, z=2m, et κ=(α−1) / z, avec φ=2mθ+ρ, (III-40)

Remarquons que z ne dépend pas de la forme du bruit donné par (III-39), et que la rugosité locale est αloc =1 dans le modèle de Pang.

L’expression de l’exposant de rugosité α donnée par (III-40) est très intéressante, car elle montre que cet exposant est déterminé par la vitesse à laquelle la corrélation du bruit décroît.

Au-delà du résultat numérique, il est important de comprendre l’origine physique des corrélations. Sur la base de nos simulations Monte Carlo de croissance d’une surface vicinale instable (voir plus loin), nous allons proposer un modèle phénoménologique pour ces

corrélations. En fait, nous allons interpréter la corrélation spatio-temporelle du bruit comme un phénomène induit par l’instabilité elle-même et par le transport de matière.