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Le but de mon projet est d’identifier de nouveaux substrats pour une caspase, il est donc crucial de comprendre comment clivent les caspases et ce qui constitue un site de clivage idéal pour celles-ci. Comme toute protéase, les caspases clivent certaines séquences spécifiques. Durant l’apoptose, environ 2000 protéines seraient clivées (Seaman, 2016.).

Par convention, le résidu adjacent au site de clivage du côté N-terminal se nomme P1 et les résidus se trouvant en amont de celui-ci se nomment P2, P3, P4, etc (Figure 5). Du côté C-terminal, le résidu suivant le site de clivage se nomme P1’ suivi de P2’, P3’, etc.

(Schechter and Berger, 1967). Parmi ces résidus, celui ayant le plus grand impact sur l’efficacité du clivage est P1. Généralement, les caspases clivent à la suite d’un résidu aspartate (~90%) ou glutamate (~10%). Toutes les caspases possèdent aussi une préférence en P3 pour un résidu glutamate (Thornberry et al., 1997) et pour un petit résidu (Gly, Ala, Ser) en P1’ (Stennicke et al., 2000). Il est donc possible de généraliser en disant

que la plupart des caspases clivent les motifs X-Glu-X-Asp(Gly/Ala/Ser) (Shi, 2002).

Cependant, même s’il est vrai que les caspases ont cette préférence, chaque caspase possède des différences dans son affinité pour certains résidus. Entre les différentes caspases, les préférences pour l’acide aminé en P4 et P2 varie. Ce sont en partie ces différences qui expliquent pourquoi les différentes caspases ne possèdent pas les mêmes substrats et qu’elles présentent des fonctions diverses. C’est grâce à des études utilisant des librairies de peptides synthétiques que ces préférences ont été établies. Pour chaque caspase, plusieurs combinaisons furent testées pour les acides aminés présents près du lien scissile et il fut possible de déterminer quel résidu était clivé de façon plus efficace en tenant compte de leur position. C’est ainsi que pour chaque caspase, les résidus préférentiels sont connus pour les positionsP1 à P4 afin d’obtenir un clivage optimal par une caspase donnée. Par exemple, pour les caspases exécutrices 3 et 7 le motif DEVD est bien connu comme étant le site de clivage idéal pour ces deux caspases (Timmer et Salvesen, 2007) et la caspase-8 préfère plutôt le motif LETD (Julien et Wells, 2017).

L’emplacement du site de clivage est aussi important, car il doit se trouver à la périphérie de la protéine pour permettre à la caspase d’y avoir accès. De plus, les caspases clivent plus fréquemment dans les boucles, suivi des hélices  et moins efficacement dans les feuillets  (Julien et Wells, 2017).

1.6.1 Méthodes d’identification des substrats des caspases

L’identification des substrats des différentes caspases est cruciale dans la compréhension de leurs rôles dans les divers processus biologiques auxquels elles participent. L’une des approches les plus utiles pour l’identification de nouveaux substrats et sans équivoque la protéomique qui peut-être définit comme l’identification et la quantification des protéines présentes dans un extrait cellulaire (Aslam et al., 2017). Ce large domaine analytique comprend plusieurs sous-catégories, dont la dégradomique qui s’intéresse aux substrats et aux inhibiteurs des protéases (Rogers et Overall, 2013). Puisque mon projet consiste à identifier des substrats de la caspase-8, une protéase importante dans la mort cellulaire, je m’attarderai à présenter la dégradomique pour mon projet.

Il existe diverses approches pour découvrir de nouveaux substrats d’une protéase, dont la plupart d’entre elles sont basées sur la spectrométrie de masse. Cette technique inventée en 1912 par J. J. Thomson a été perfectionnée depuis son invention pour être aujourd’hui un outil précis qui permet de déterminer la composition moléculaire ou protéique d’un échantillon (Noda et al., 2016). Pour ce faire, le spectromètre de masse mesure le ratio de la masse par rapport à la charge (m/z) (McLafferty, 1981). L’échantillon est ensuite fragmenté en plus petites molécules qui seront plus facilement identifiables par spectrométrie de masse puis bombardé avec un jet d’électrons qui permet d’ioniser l’échantillon. Pour l’identification de molécules simple, un graphique sera obtenu avec plusieurs pics représentant les ratios m/z obtenus pour les différents fragments de la molécule. Comme la structure d’innombrables molécules est connue, il sera possible avec ces différents fragments d’identifier la molécule mère. Cependant, comme les protéines sont immensément plus complexes, cette technologie a dû être adaptée. C’est pourquoi dans le domaine de la dégradomique, la spectrométrie de masse tandem est utilisée (El-Aneed et al., 2009). D’abord, il faut digérer les protéines avec une protéase comme la trypsine afin de réduire la taille des protéines en peptides de plus petite taille (Aebersold et Goodlett, 2001). Cette méthode possède deux étapes de séparation : 1) permet de fragmenter les peptides en plus petits fragments ionisés et 2) permet de déterminer la séquence en acide aminé de chaque peptide. En utilisant une base de données de référence du protéome humain, il est possible de savoir de quelle protéine provenaient ces peptides, permettant donc d’identifier les protéines qui étaient présentes dans l’échantillon (Aebersold et Goodlett, 2001). Cependant, certains obstacles rendent l’utilisation de cette technique peu efficace pour trouver des peptides créés par des protéases intracellulaires ayant clivé la protéine d’origine. En effet, les peptides produits se trouvent souvent en faible quantité en comparaison avec plusieurs protéines abondantes, comme l’actine, qui masquent ces peptides plus rares. Dans notre cas, nous cherchons des peptides issus d’une protéase spécifique, la caspase-8, avec le motif de clivage qui lui est associé. Comme ces peptides sont peu présents, il est pertinent de les enrichir afin d’augmenter les chances de les identifier. Ce sont notamment ces obstacles qui ont menés à la création du terminal amine isotope labeling of substrates, plus communément appelé TAILS. Cette technique permet de bloquer les amines libres générées avant la digestion tryptique par l’utilisation

de formaldéhyde. Les peptides possédant des amines libres avant cette digestion seront généralement ceux qui ont été clivés par la protéase d’intérêt, ici les caspases. Cela permet donc de faire la distinction entre les peptides générés par l’action des protéases comme les caspases, de ceux générés par la trypsine. Aussi, le formaldéhyde utilisé peut posséder des isotopes lourds ou légers permettant de marquer deux conditions et de les distinguer en spectrométrie de masse. Avec l’utilisation d’un polymère capable de lier les amines libres, il sera possible d’éliminer les peptides tryptiques, car ils seront les seuls possédant des amines libres ce qui simplifiera l’échantillon et augmentera les chances d’identifier les substrats d’une protéase (Rogers et Overall, 2013).

Une autre technique qui peut être utilisée comme façon préliminaire pour identifier de nouveaux substrats est l’utilisation de bases de données montrant des substrats potentiels.

C’est ce que notre laboratoire a fait précédemment avec l’utilisation, entre autres, de Degrabase, qui donne plusieurs peptides semblant provenir de l’activité des caspases (Crawford et al., 2013). Les peptides présents ne sont pas nécessairement des substrats, mais ils présentent un site de clivage correspondant à celui d’une caspase. Notre laboratoire a pu de cette façon identifier que dans cette banque de données, SNX1 et SNX2 semblaient être clivés par les caspases initiatrices. Pour confirmer ces résultats, l’apoptose a été induite pour tenter d’observer l’apparition du fragment clivé de SNX1/2 par immunobuvardage, ce qui fut le cas (Duclos et al., 2017). Ce qui rend cette découverte intéressante est que SNX1/2 sont deux protéines importantes pour le routage intracellulaire et participent au recyclage, mais aussi à la dégradation de certains récepteurs par leur internalisation vers les lysosomes. Parmi ces récepteurs se trouvent les RTK qui sont connus pour leurs nombreux rôles dans le cancer. Ils vont être dérégulés en étant constitutivement actifs, ce qui permet une croissance démesurée des cellules cancéreuses (Cohen et al., 2005). L’observation du clivage par les caspases de SNX1/2 est intéressant, car il pourrait montrer un rôle tumorigène des caspases. En effet, si ces protéines sont clivées afin d’être inactivées, cela empêcherait de faire la dégradation des RTK et ils pourraient rester actifs plus longtemps, permettant à la cellule de croître de façon démesurée. Cela ouvre certaines questions, car le rôle des caspases dans le cancer a longtemps été considéré comme positif. Cela reste vrai lorsque les mécanismes

apoptotiques sont intacts. Dans ce cas, même si les caspases clivent certaines protéines résultantes dans des effets tumorigènes, si la cellule meurt suite à leur activation, aucun de ces effets n’aura le temps d’avoir d’impacts. Or, dans un contexte de cancer où la cellule est très souvent résistante à l’apoptose, ce clivage pourrait avoir des effets graves.

Donc, il est crucial d’identifier dans un contexte de résistance à l’apoptose, quelles protéines sont clivées et quels sont les effets de ce clivage. Les substrats des caspases dans une cellule résistante à l’apoptose n’ont pas été décrits précédemment et c’est notamment avec les techniques de spectrométrie de masse, expliquées plus haut, qu’il serait possible de trouver de nouveaux substrats dans ce contexte.

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