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Subsidiarité et décentralisation descendante 65

2.   Contexte institutionnel de la décentralisation burkinabè 38

2.2. Fondements, stratégie et principe de la nouvelle décentralisation 51

2.2.3 Le principe de subsidiarité 62

2.2.3.2 Subsidiarité et décentralisation descendante 65

Au regard des développements sous le point précédent, on peut affirmer d’emblée que subsidiarité et décentralisation descendante ont très peu de lien théorique si l’on s’en tient au sens originel de la première. En effet, comme son nom l’indique la décentralisation descendante implique une démarche de « haut en bas ». Autrement dit, l’Etat central décide de transférer par dévolution et/ou par délégation des compétences initialement en ses mains à des collectivités infranationales. Etant entendu que lesdites collectivités sont le plus souvent créées par l’Etat central lui-même à travers la loi (cas des collectivités locales burkinabè). A contrario, la subsidiarité, ainsi que noté précédemment, appelle une démarche de « bas en haut ». Elle est plus proche de la décentralisation ascendante parce que dans ce cas les collectivités locales préexistent de fait à l’Etat central et la loi intervient ex post pour les légaliser. Ces dernières collectivités locales ont donc des compétences qui peuvent ou non être « retirées » ou « enlevées » par le gouvernement central selon les circonstances. Ceci est tout le contraire en décentralisation descendante. Du reste, Marcou (1993) cité par Mback (2003 :402) est formel sur la question : « si l’on s’interroge (…) sur l’applicabilité du

principe de subsidiarité aux relations entre l’Etat et les collectivités territoriales dans l’ordre juridique français, on est conduit à la conclusion que ce principe n’est ni pertinent, ni compatible avec l’ordre juridique français ». En d’autres termes, pour cet auteur le principe

de subsidiarité n’est pas praticable dans une décentralisation descendante ainsi que la France l’a engagée à travers les lois de 1982 et suivantes. Il faut d’ailleurs préciser que la subsidiarité ne figure dans aucune disposition du droit positif de la décentralisation en France.

On peut donc se demander pourquoi le législateur burkinabè a-t-il prévu la subsidiarité comme principe de la décentralisation d’autant plus que celle-ci est descendante et que le Burkina-Faso est de tradition juridique française ayant pratiquement le même ordre juridique que la France? A défaut de disposer de la documentation sur les travaux préparatoires et sur l’exposé des motifs de la loi relative au CGCT, on ne peut donner de réponse exhaustive à cette question. Toutefois, on peut relever que le législateur s’inscrit dans un des courants

d’interprétation qui ont caractérisé la postérité de la conceptualisation initiale de la subsidiarité. En effet, trois courants d’interprétation de la subsidiarité en rapport avec la décentralisation peuvent être dénombrés :

Pour le premier courant, la subsidiarité est synonyme de décentralisation. La conception de Greffe (1992 : 32-34) s’inscrit dans ce courant. En effet, pour cet auteur la subsidiarité vise deux objectifs principaux à savoir l’efficience et l’efficacité. Mais à l’analyse, ces objectifs renvoient en réalité à ceux de la décentralisation suivant la perspective du théorème oatesien de la décentralisation. Pourtant, décentralisation et subsidiarité ne sont pas synonymes. En effet, il peut y avoir décentralisation sans application du principe de subsidiarité. Le cas français en est un exemple même si certains auteurs comme Mback (2003 : 402) soutiennent que l’on y fait implicitement référence à la subsidiarité dans la répartition des compétences. Le deuxième courant est constitué de ceux qui assimilent la subsidiarité à l’autonomie locale. Ouattara (2007) peut être considéré comme étant de ce courant. En effet, pour lui la subsidiarité est entendue de la façon suivante : « par subsidiarité (…) les communauté, en

toute liberté et en toute responsabilité, s’engagent à réaliser, pour leur propre épanouissement, ce qui est à leur portée. Qu’elles soient initiatrices et exécutrices de leurs propres projets de développement, qu’elles mettent en place leurs propres mécanismes de suivi et d’évaluation et qu’elles élisent en leur sein ceux qui sont les mieux habilités à mettre en œuvre les projets et à défendre leurs intérêts » (Ouattara, 2007 : 194). Par contre, Beer-

Toth (2009) qui a consacré récemment une thèse à la problématique de l’autonomie locale a démontré qu’il n’y a pas de synonymie entre subsidiarité et autonomie locale. Du reste, elle insiste pour dire que « one thing seems to be sure: subsidiarity is not synonymous to local

autonomy » (Beer-Toth 2009: 84)

Le dernier groupe considère la subsidiarité comme un principe voire comme un critère de transfert de compétences au niveau local. Yatta (2009) appartient à ce groupe. En effet, cet auteur soutient que « l’analyse des critères de transfert de compétences en Afrique montre

quelques principes communs à tous les Etats du continent (parmi lesquels) le principe de subsidiarité est le premier ». Il précise que ledit principe « (…) met l’accent sur l’avantage comparatif que comporte la collectivité locale de par sa proximité et sa meilleure connaissance de la demande en services locaux, pour mieux exercer une compétence autrefois réalisée par l’Etat (central) » (Yatta, 2009 : 41). Le législateur burkinabè de même que son

expressément dans les lois de décentralisation que le transfert des compétences aux collectivités locales est régi par le principe de subsidiarité (Mback, 2003 : 399-400). Cependant, à moins de considérer les transferts de compétences comme étant des "restitutions"32 de compétences qui auraient été "retirées" ou "enlevées" précédemment par le centre, il est difficile de considérer cette opération de « haut en bas » comme étant guidée par la subsidiarité qui implique, tout au moins originellement, une démarche de « bas en haut ». Finalement, toutes ces interprétations révèlent le fait que la notion de subsidiarité n’a pas actuellement une approche unique qui rallie toute ou la majorité des opinions. Dans cette perspective, pour pouvoir répondre beaucoup plus objectivement à la question de sa pertinence ou non en tant que principe de la décentralisation burkinabè il aurait fallu connaitre la définition que le législateur en donne. Mais, celui-ci n’a formulé aucune définition et n’a encore moins précisé comment la subsidiarité peut se traduire en de critères opérationnels de transfert des compétences. En revanche, s’il se trouve que la conception que le législateur a de la notion rejoint la conception originelle, on peut, dans ce cas, dire que sa consécration est peu pertinente. Au total, il convient de retenir qu’il ya un travail de clarification conceptuelle et opérationnelle à faire relativement au principe de subsidiarité. Ce travail pourrait consister en une recherche, entre l’Etat central et les collectivités territoriales, d’une définition consensuelle de la notion de subsidiarité. Après quoi, les mêmes acteurs pourraient convenir des déclinaisons du principe en termes de partage des compétences et d’articulation des relations entre les différents niveaux de gouvernement.

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Du reste, cette façon de voir ne serait pas tout à fait absurde. En effet, les Etats dits unitaires d’Afrique de succession française sont en réalité des regroupements de plusieurs nationalités (certains auteurs parlent d’ethnies avec toute la connotation négative que cette notion charrie le plus souvent) ayant été unifiées de gré ou de force, pour les besoins de la cause, par le colonisateur pour en faire des Etats. Dans cette perspective, les dévolutions de compétences pourraient être considérées, dans une certaine mesure, comme étant des "restitutions" de compétences précédemment " retirées" par l’Etat central unifié. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en langue Bamanan du Mali la décentralisation est traduite par « mara ka seki sa », c’est-à-dire le « retour de l’administration (du pouvoir ou des compétences) au terroir » (Kassibo, 1997). Si donc, il ya « retour » c’est qu’il ya eu « enlèvement » initial. En revanche, on doit relever, tout au moins dans le cas du Burkina-Faso, que généralement les limites géographiques des collectivités territoriales ne coïncident pas avec les limites des terroirs des différentes nationalités qui composent l’Etat central. De ce fait, il serait difficile de considérer les dévolutions de tâches aux CT comme étant des restitutions de compétences.