• Aucun résultat trouvé

De la promotion du développement à la base 51

2.   Contexte institutionnel de la décentralisation burkinabè 38

2.2. Fondements, stratégie et principe de la nouvelle décentralisation 51

2.2.1 Les fondements de la nouvelle décentralisation 51

2.2.1.1 De la promotion du développement à la base 51

Si le législateur a évoqué le développement à la base ou développement local comme étant une des variables de la fonction d’objectifs de la décentralisation il s’est bien gardé d’en expliciter le contenu. Mais, l’on sait que sous l’angle théorique il ya une filiation entre le concept de développement local et les théories du développement endogène. Ainsi, pour Moussa et Ilboudo (2007 : 18) si le concept de développement local a pris un essor particulier avec les politiques de décentralisation il reste qu’il s’enracine dans la théorie du développement endogène développée par Friedmann et Stohr vers la fin des années 50. Cette théorie conçoit le développement comme un processus partant du bas tout en privilégiant les ressources endogènes et en se rapportant à un terroir restreint.

Cependant, il ya une nuance entre développement endogène et développement local. En effet, alors que le développement endogène peut avoir pour cadre un espace plus vaste à l’échelle territoriale d’un pays, le développement local dans le cadre de la décentralisation ne concerne que des entités infranationales. Sous ce rapport, le développement local peut se définir comme « un processus multidimensionnel, qui concerne toutes les composantes de la vie humaine. Il

se déroule dans le temps long et dans un espace de taille limitée. C’est un processus de mobilisation et de valorisation des ressources locales dans le cadre de l’interdépendance qui

relie le local au global. Cette conception est associée à deux grands objectifs : la maîtrise du devenir du territoire d’une part, le développement équilibré des différentes ressources locales d’autre part » (Moussa & Ilboudo, 2007 : 20). Mais, dans un document élaboré en Mars 2006

devant servir de guide d’élaboration des plans communaux de développement, le Ministère de l’Economie et du Développement (MEDEV)24 a, quant à lui, défini le développement local comme suit (MEDEV, 2006 : 10-11) : « le développement local se définit comme un

processus dynamique dans lequel les acteurs organisés et mobilisés initient et mettent en œuvre des actions sur un espace donné en vue de l’amélioration de leurs conditions de vie ».

En somme, le développement local est censé entrainer l’augmentation des unités locales de production et donc l’accroissement de la richesse au niveau local, la multiplication en quantité et qualité des infrastructures et services, la création d’emploi, la réalisation de l’épanouissement des citoyens locaux au plan économique, socioculturel etc. Autrement dit, il consiste à créer les conditions objectives pour lutter contre la pauvreté au niveau local à travers, notamment, la mise en œuvre réussie des axes 2 et 3 du Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) 25adopté par le gouvernement central. En résumé, le concept de développement local intègre la croissance économique locale (produit local brut) sans être réductible à elle.

Mais, quel lien existe-t-il entre décentralisation et développement local ?

Le lien le plus perceptible entre la décentralisation et le développement local tient principalement dans les principes basiques qui commandent le succès du dernier. En effet, selon Moussa et Ilboudo (2007 : 21) et le guide (2006 :11) ci-dessus évoqué, les principes qui conditionnent la réussite du développement local se présentent comme suit :

 l’existence d’entités territoriales locales. Ce principe fait penser aux collectivités locales en tant que traduction territoriale de la décentralisation.

 l’existence au sein des acteurs locaux d’un sentiment d’appartenance à leur entité renforcé par une histoire commune. Il est évident que les acteurs locaux dont il est question ici renvoient aux citoyens/électeurs des collectivités locales ;

 une vision commune du développement fondée sur la participation des populations. Autrement dit, les populations locales devront être les acteurs tant de la conception

24

Ce ministère est actuellement intégré au Ministère de l’Economie et Finances (MEF).

25

L’axe 2 du CSLP consiste à « garantir l’accès des pauvres aux services sociaux de base et à la protection

sociale » et l’axe 3 à « élargir les opportunités en matière d’emploi et d’activités génératrices de revenus

que de la mise en œuvre du processus de développement. Ce principe rejoint un élément en toile de fond de la décentralisation qu’est la participation citoyenne des populations locales ;

 l’utilisation des ressources endogènes pour le développement de l’entité territoriale à partir d’une auto-analyse des besoins et des problèmes à résoudre ;

 l’existence de structures institutionnelles locales susceptibles d’encadrer et d’harmoniser les rapports entre les acteurs locaux et conduire les programmes de développement. Ces structures institutionnelles rappellent implicitement les acteurs institutionnels des collectivités territoriales dont le rôle est justement de prendre en charge les politiques publiques locales.

Le second élément qui établit un lien entre développement local et décentralisation réside dans le fait que cette dernière permet une opérationnalisation du premier grâce à la répartition des fonctions de développement entre l’Etat central et les entités infranationales. C’est ainsi que dans la « Lettre de politique de développement rurale décentralisé » adopté en juillet 2002, le gouvernement central a reparti les fonctions de développement de la façon suivante (MEDEV, 2002 : 16-17) : l’Etat central est chargé, de l’orientation générale et de la définition des priorités de développement, de mettre en place un cadre législatif et réglementaire approprié, de mobiliser des ressources financières, de faire le suivi-évaluation des projets et programmes et de coordonner les différentes interventions. Les régions et communes ont, respectivement, la responsabilité d’élaborer et de mettre en œuvre leurs plans de développement après de larges concertations avec tous les acteurs locaux conformément aux orientations nationales. Ces entités territoriales sont également responsables de la mobilisation des ressources financières pour le financement desdits plans.

Cependant, si les liens entre développement à la base et décentralisation semblent évidents les avis sont par contre contrastés quant à sa capacité à promouvoir ledit développement. Certains auteurs estiment que la décentralisation peut favoriser le développement local d’autres prétendent le contraire. Parmi les premiers, en plus de Greffe (1997 : 361-362) déjà cité au chapitre premier précédent, d’autres auteurs soutiennent également que la décentralisation peut promouvoir le développement local. Les arguments de ceux-ci sont rappelés par R.A. Sawadogo (2001 : 202) : le premier argument est que la décentralisation permettrait une meilleure planification du développement local grâce à une meilleure information sur les besoins et priorités de développement des citoyens. Cette meilleure information dont les structures étatiques centrales ne pourraient pas disposer est favorisée dans le cadre de la

décentralisation par la participation et le rapprochement entre citoyens et gouvernements locaux. Deuxièmement, à la faveur de la participation et de la connaissance de la disponibilité des ressources par les gouvernements locaux, on peut s’attendre à une meilleure mise en œuvre des programmes de développement. Troisièmement, les institutions locales que la décentralisation permet de mettre en place sont, du fait de la proximité, mieux à même d’assurer la supervision et le contrôle de l’exécution des projets locaux de développement. Etant entendu que ces institutions locales seront elles-mêmes incitées à plus de responsabilité du fait de la proximité des citoyens/électeurs. En effet, contrairement au fonctionnaire du gouvernement central dont la responsabilité est éloignée, le gouvernement ou le fonctionnaire local « a son surveillant devant sa porte ». Le dernier argument consiste en ceci (R.A. Sawadogo, 2001 :203) : étant donné que la décentralisation est censée favoriser la participation et la représentativité de tous les groupes sociaux dans l’expression de leurs besoins, elle peut être un facteur de stabilité sociopolitique qui est un prérequis du développement local.

A contrario, un autre groupe d’auteurs se montre particulièrement dubitatif sur la capacité de la décentralisation à promouvoir le développement local, notamment dans les pays en développement (PED). Pour Prud’Homme (2001) par exemple, la décentralisation n’est pas forcement un moyen de promotion du développement local dans ces pays. Il constate que les coûts associés à la création et au fonctionnement d’un gouvernement local sont généralement fixes et incompressibles et que les bénéfices des dépenses publiques pour les populations locales résultent de la différence entre ces bénéfices et les coûts fixes de fonctionnement de l’administration. Il en découle, selon lui, qu’un pays pauvre où les ressources fiscales sont faibles, les coûts fixes de fonctionnement consomment une part plus importante que dans un pays riche. L’auteur ajoute que dans certains cas le gouvernement local ne peut même pas produire les services sociaux de base pour la population parce que toutes les ressources financières sont consommées par le fonctionnement administratif et bureaucratique. En conséquence, on ne peut pas s’attendre à ce que la décentralisation fasse la promotion du développement à la base dans un tel contexte. Un autre auteur pointe, quant à lui, la faible capacité technique et professionnelle des autorités locales, par rapport aux autorités centrales, à concevoir et mettre en œuvre des programmes de développement local (R.A. Sawadogo, 2001 : 204). Enfin, la proximité qui est considérée comme étant un facteur favorable à une meilleure mise ne œuvre et à une meilleure supervision de l’exécution des programmes de développement peut avoir des revers note Yatta (2009 :223) citant en cela Prud’Homme

(1995). Ces revers, selon ce dernier, résident dans le fait que la proximité entre élus et électeurs peut être porteuse de germe de corruption car les élus locaux sont plus vulnérables aux pressions de la part des groupes d’intérêts locaux. De même, contrairement aux fonctionnaires de l’Etat central qui changent constamment de lieu d’affectation, les fonctionnaires locaux, qui souvent font toute leur carrière au même endroit, ont plus de chance d’être cooptés par lesdits groupes de pression. En d’autres termes, la proximité peut favoriser le détournement des ressources du développement local au profit d’intérêts privés et clientélistes.

En guise de synthèse on peut noter qu’au vu des liens étroits entre les principes du développement local et la décentralisation, cette dernière peut être un instrument de promotion du premier. Elle peut l’être d’autant plus qu’elle peut permettre de susciter et stimuler le dynamisme local nécessaire pour impulser le développement local. Du reste, les arguments contraires ci-dessus évoqués ne font que stigmatiser plutôt, les limites (financière, technique et éthique) d’un contexte particulier (pays en développement) de mise en œuvre de la décentralisation. En réalité, ces critiques mettent en évidence le fait que la performance de la décentralisation dans la réalisation de la promotion du développement à la base dépend pour une large part de l’efficacité de l’environnement institutionnelle notamment de la qualité de la gouvernance locale. Au regard de ce qui précède, peut-on s’attendre à ce que la décentralisation courante réalise le développement local ? A défaut d’une évaluation des effets de sa mise en œuvre il est difficile de donner une réponse tranchée à cette question. Cependant, compte tenu de la grande faiblesse des ressources locales (Kafimbou et Sanou, 2007 : 31) et de la faible capacité locale à formuler et mettre en œuvre des plans locaux de développement pour ne prendre que ces exemples, on peut être en droit de se faire des soucis sur la capacité de la décentralisation actuelle à promouvoir le développement à la base.