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SUBJECTIVITE SYNAPTIQUE / SUBJECTIVITE RHIZOMATIQUE

PROGRAMME INTERDISCIPLINAIRE DE RECHERCHE / ART, ARCHITECTURE ET PAYSAGE / RAPPORT FINAL / MARS

8.8 SUBJECTIVITE SYNAPTIQUE / SUBJECTIVITE RHIZOMATIQUE

Rancière remarquait que le collectif permet l’apparition d’un sujet qui se pense par rapport aux autres, « la formation d'un un qui n'est pas un soi mais la relation d'un soi à un autre ».168

Le rapport à l’autre, les relations multiples possibles à travers le collectif, permettent l’apparition d'une subjectivité multiple et différentielle.

L’investissement dans un projet collectif passe toujours par une motivation initiale forte ; les espaces et lés projets collectifs que nous avons pu expérimenter “par l’intérieur“169 permettent des activités transversales et hybrides (une fluidité d’espaces et une mobilité de l’aménagement qui, par usages parallèles, rendent possible de cuisiner et de participer juste après à un débat, de bricoler et d’écouter à la suite, au même endroit, un concert de musique, etc.) Côtoyer une diversité d’activités et de compétences permet, à un certain moment, l’embrayage (shift en anglais) vers d’autres implications, imprévues, amenés par la dynamique collective ; des personnes qui viennent au départ pour jardiner peuvent, petit à petit, s’engager dans des dynamiques politiques, (voir ANNEXE 6, le diagramme montrant les shifts de certaines personnes d’une motivation à une autre, au cour du projet)

Ces subjectivités hétérogènes et poreuses, spécifiques aux milieux interstitiels permettent à chacun d’avoir des multiples passages et appartenances successives et temporaires dans des contextes culturels, professionnels et sociaux différents.170 D’où, comme dit Rancière, “la possibilité toujours ouverte d'émergence nouvelle de ce sujet à éclipses1’ qui, par “le renouvellement des acteurs et des formes de leurs actions", constitue la garantie de la permanence démocratique.171 L’assimilation sociale de cette condition intermittente devrait générer une subjectivité qui s’agence continuellement par

168 Jacques Rancière, o.c. p.87.

169 Au sujet de la reconstruction interstitielle de la ville « de l’intérieur par l’intérieur », voir la contribution de Pascal Nicolas-Le Strat au projet de recherche que nous avons initié autour des

Interstices Urbains Temporaires, contribution publiée en partie dans ce numéro de Multitudes. Pour plus d’informations, voir les sites www.inter-stices.org et www.iscra.fr

Les pratiques spatiales interstitielles doivent, par leur nature, négocier en permanence avec des données physiques et subjectives contradictoires, ce qui nous rapproche des fondements d’un espace et d’un exercice politique, car, comme dit Rancière, "l'essence de la politique réside dans les modes de subjectivation dissensuels." J. Rancière, o.c. p.184.

171 J. Rancière, o.c. p.82.

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des transversales multiples ; constituant un « sujet synaptique », fonctionnant comme une synapse, une instance de réception et de transmission de flux.172

Les interstices appropriés et gérés par des subjectivités synaptiques constituent des situations propices pour un exercice d’écriture démocratique, pour un exercice7 de négociation permanente de « l’indéterminé démocratique ».173 Le caractère indéterminé de ces/interstices est structurel, en incluant les différences et les disponibilités spécifiques de chacun, en permettant à quiconque de s’investir concrétement dans des chantiers de territorialité démocratique. Ces lieux peuvent devenir les catalyseurs d’une « démocratie locale » reconstruite et actualisée ; ils peuvent initier à la suite des connexions avec d’autres chantiers locaux, permettant la mise en place de réseaux porteurs d’une « démocratie transfocale » et la naissance d’une subjectivité collective de grande échelle, tout en étant ancrée dans le local ; une « subjectivité collective rhizomatique ». La construction de cette subjectivité rhizomatique à besoin de micro­ dispositifs spatiaux qui puissent s’insérer dans des contextes métropolitains aseptisés et initier ainsi des processus de resubjectivation. Dans le temps, ces dispositifs pourront faire ré-écrire un autre discours urbain et politique.

Guattari avait très bien remarqué le rôle de l’architecture parmi les autres instruments du Capitalisme Mondial Intégré.174 Nos expériences concrètes nous ont montré que toute initiative d’appropriation de ces dispositifs par leurs utilisateurs est essentielle pour tout projet politique et de société. “L’architecture ne représente pas seulement les murs, mais surtout les gens qui agissent entre ces murs" - disait un habitant participant au projet ECObox, en commentant l’initiative de la Mairie de rénover la Halle Pajol pour y mettre en place un nouveau projet “phare", et que dans le même temps, des services

172 Nous sommes proches des <embrayeurs existentiels> proposés par F.Guattari, cf. Cartographies sçhizoanalytiques, éd. Galilée, Paris, 1989, p.61 et des “devenirs moléculaires de toutes sortes, devenirs-particules. Des fibres (qui) mènent des uns aux autres, transforment les uns dans les autres, en traversant les portes et les seuils'1, cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, MillePlateaux, éd. de Minuit, Paris, 1980, p.333.

La synapse (du grec, syn = ensemble', haptein = toucher, saisir; c'est-à-dire connexion) désigne une zone de contact fonctionnelle qui s'établit entre deux neurones, ou entre un neurone et une autre cellule (cellules musculaires, récepteurs sensoriels...). Elle assure la conversion d'un potentiel d’action en un signal, (wikipedia.org) 173 Cf. J.Rancière, o.c. p.80.

174Cf. F.Guattari, Les trois écologies, éd. Galilée, Paris, 1989, p.41 : “je propose de regrouper en quatre principaux régimes sémiotiques les instruments sur lesquels repose le CMI [Capitalisme Mondial Intégré]: - les sémiotiques économiques (...), - les sémiotiques juridiques (...), - les sémiotiques technico-scientifiques ( .. . ) , - les sémiotiques de subjectivation dont certaines se recoupent avec celles qui viennent déjà d'être énumérées mais auxquelles il conviendrait d'ajouter beaucoup d'autres, telles que celles relatives à l'architecture, l'urbanisme, les équipements collectifs, etc."

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administratifs voulaient expulser sans négociation les pratiques collectives qui y étaient installées.175

175 Les projets d’ECObox (Paris 18e) et de 56 rue St. Biaise (Paris 20e) ont proposé une architecture qui, plutôt que des murs, construisent des relations. Les palettes et les modules mobiles d’ECObox se déplacent pour réformer l’espace en fonction des usages et des personnes. Dans le quartier St.Blaise, le moment de construction spatiale, le chantier, a été transformé en une expérience culturelle et sociale. Le temps du chantier a été dilaté pour y inclure un temps de sociabilité, formateur dé groups et d’usages. La construction de l’espace a été associée à une construction du sujet collectif. Une mise en acte et en corps du « construire ensemble » comme « se construire ensemble ». Dans ce type de projets, la créativité spatiale, sociale et politique sont indissociables. Nous ouvrons des espaces ; la vision d’une autre ville est construite par ceux qui les prennent en charge.

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Dans cette recherche, nous continuons en quelque sorte cette logique de l’altérité associée à la logique de l’interstice. Les espaces qui nous ihtéressent ici sont autant des espaces autres et « de l’autre », mais surtout des espaces construits et partagés « avec les autres », des altémtopies.

Nous avons essayé de garder cette logique altérotopique à travers notre approche. La démarche de repérage et d’identification des interstices à étudier a été faite en grande partie « avec les autres » : des habitants, des non-chercheurs, à partir de leur propre interprétation subjective. C’était pour la plupart des « espaces vécus » (dans le sens de Lefevbre), dans lesquelles ils/elles mènent une activité quelconque, une activité qu’ils ne peuvent pas mener ailleurs, une activité qui correspond à leur désir. Ce sont des espaces où ils/elles arriverit à “donner au désir le moyen de

s’exprimer dans le champ sociaf, comme dirait Guattari.176

On constate aussi que parmi ces espaces qu’ils/elles ont identifié comme ‘leurs’ interstices, certains sont des espaces autres, ou « des autres » (voir ANNEXE 2, les cartographies de Jérome ou Fabienne) mais pour la plupart, cë sont des espacés dë rencontre et de partage avec les autres, de sorte d’altérotopies. (voir ANNEXE 2, les cartographies de Mireille, Abdulaye, Doina etc.). Certaines des interventions artistiques ont aussi saisi et parfois accentué la dimension altérotopique de leur(s) espace(s) d’intervention, (voir ANNEXE 3, les interventions de ALD, Sÿri, etc.)

Nous avons donc retenu cette dimension altérotopique comme une des qualités définissant les interstices urbains comme lieux privilégiés d’émergence d’une production sociale et politique de la ville - plus partagée et, potentiellement, plus démocratique.