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Structures de modus / structures de dictum

2. PISTES POUR UNE SYNTAXE ENONCIATIVE FONDEE SUR LA SEMANTIQUE

2.2. L A SIGNIFICATION DES CONFIGURATIONS SYNTAXIQUES

2.2.2. Structures de modus / structures de dictum

S'il faut fonder en raison ce continuum de la rection, cette relation converse entre contrainte syntaxique et contrainte sémantique, j'essaierai de l'inscrire dans le statut paradigmatique des contraintes de sélection et de sug-gérer qu'elle vaut également pour les catégories morpho-syntaxiques. L'hypo-thèse, assez robuste, est au fond celle-ci : plus le choix est restreint au sein de la sélection paradigmatique (au sein de l'axe vertical de toutes les formes rele-vant de la même catégorisation morpho-syntaxique) plus le locuteur est contraint par la syntaxe : il n'a pas beaucoup le "choix". En d'autres termes, on a la sémantique de l'étendue de sa classe paradigmatique. Pour prendre un exemple classique, le choix est plus restreint / contraint pour un auxiliaire ou un article que pour un nom.

Thèse 9 : Protoypiquement, les structures syntaxiques de modus contrai-gnent leur distribution à droite en anglais

En termes de catégories morpho-syntaxique, les structures à modus contraignent leur distribution à droite en anglais (on peut discuter sur la néga-tion, mais elle a bien une portée à droite, et potentiellement à distance) de sorte que la corrélation entre propriétés distributionnelles et modus/dictum apparaît bien troublante pour une simple coïncidence. Une structure de modus contraint le choix de l'énonciateur et les structures qui le suivent. Une structure de dictum doit rester interprétable, ce qu'un modus lui permet.94 Cette distinction semble valoir aussi pour les réalisations fonctionnelles :

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Structures de modus Structures de dictum

Adjectifs

Auxiliaires (notamment modaux) articles quantifieurs négation adverbes prépositions Noms Verbes Proformes

Structures interprétant le cotexte

Permet une interprétation à droite en anglais

Structure interprétable par le cotexte Est interprété à partir de la droite

Ont une distribution à droite plus contrainte (par la syntaxe).

L'auxiliaire ne peut être suivi de TO, ni de ING (contrairement à un verbe) La négation et les adverbes ont des contraintes de positions

La distribution à droite est moins contrainte (car relevant de la sémanti-que cela doit rester interprétable)

Le verbe peut être suivi d'un nom ou d'un adverbe, si la séquence est inter-prétable this shirt irons easily

C'est une contrainte de position C'est une contrainte de place

N'ont pas de fonction de type complé-mental mais des prédications d'ordre sémantique (attribut), impliquant poten-tiellement des phénomènes à distance (portée)

Ont des fonctions de type complémen-tal (où le sujet est un complément de rang 0)

L'interprétation est liée à l'adjacence stricte (ou à la coréférence pour les proformes)

Les contraintes d'ordre des structures de dictum ne sont pas celles des contraintes d'ordre des structures de modus. En particulier, les structures de dictum dépendent de l'interprétabilité des séquences, ce qui met en jeu la ques-tion de la portée sémantique. Ceci conduira à ré-examiner les quesques-tions de

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tée. L'interprétation se fait par adjacence (structure de dictum) ou potentielle-ment à distance (jeux de portée des modaux, de la négation, des quantifieurs). Un constat d'adjacence de structures n'est pas une preuve suffisante de l'exis-tence de contraintes a priori sémantiques à distance ou complémentales par adjacence. Les relations de co-occurrences sont au minimum la résultante de choix énonciatifs de rection à distance (contrainte de sélection) et de rection par adjacence (complémentale). Ce continuum de la rection implique un chiasme entre le paramétrage syntaxique et le paramétrage sémantique : lorsque le mo-dus est choisi, la contrainte de sélection est forte (inviolable) parce qu'elle est syntaxique. Pour la structure de modus, les contraintes distributionnelles sur le cotexte sont fortes, car elles sont d'ordre syntaxique. Pour la structure de dic-tum, les contraintes distributionnelles sur le cotexte sont moins fortes, car elles sont d'ordre sémantique. La séquence doit juste rester réinterprétable si elle enfreint le paramétrage par défaut du verbe. Le jeu est à somme nulle pour l'énonciateur : lorsqu'il ne choisit par du modus, il choisit entre les séquences possibles dans les structures de dictum.

Cette typologie sémantique me paraît fonctionner mais cette catégorisa-tion sommaire est peut-être à affiner. La typologie des réalisacatégorisa-tions fonccatégorisa-tionnel- fonctionnel-les et de leurs valeurs sémantiques ("fonctions") est-elle seulement établie ? Il faudra bien sûr la confronter à des cas un peu complexes. Cette répartition de la rection entre adjacence (par la sémantique) et à distance (par contraintes de sélection) devra être corroborée par un certain nombre de phénomènes. Elle semble valoir pour l'opposition relative déterminative / complétive du nom. La contrainte de sélection inhérente au nom recteur des complétives du nom (si cette hypothèse est juste) a pour conséquence de contraindre le paradigme des noms recteurs de complétive du nom. On voit alors, en terme de choix

énoncia-93

tifs (modus/dictum et contraintes de sélection/interprétabilité de la sélection) une dissymétrie avec une configuration syntaxique ne projetant pas de contrain-tes de sélection. La définitude est inhérente au modus. Dans les structures de dictum, la définitude dépend des contraintes de sélection.

structures de modus structures de dictum

Complétive du nom Relative déterminative La définitude est inhérente au choix

paradigmatique (elle découle du choix de modalisation en modus).

En ce cas, la généricité serait lié à la position de cette structure de modus.

La définitude résulte des sélections possibles de la structure de dictum. En particulier, pour les relatives, la dé-finitude est liée à la hiérarchie fonc-tionnelle. Les relatives sujet tendent à avoir des référents qui sont (plutôt) des prédications de propriétés.

La contrainte est réglée en syntaxe : il y a des contraintes de sélections stric-tes qui autorisent une rection à dis-tance95

Les régularités de sélection sont ré-glées en sémantique : c'est l'interpré-tabilité de la séquence adjacente qui est déterminante. A défaut d'adja-cence, la relation se fait par coréfé-rence, ce qui suppose aussi une inter-prétation.

Le "choix" de l'énonciateur porte sur le statut modal qu'il accorde au contenu de la proposition en THAT

Le "choix" de l'énonciateur à l'égard de la relative est beaucoup plus libre. La relative est une famille paraphrastique d'événements

Des fonctions à caractère sémantique type attribut, épithète, "modalisations"

Potentiellement deux fonctions régis-santes (celle de la proposition, celle de l'élément enchâssé)

La prédication modale est constitutive de la relation de définitude.

Ces structures sont pour leur prototype analysables à partir de la définitude. Le

95 Elle est sémantique parce qu'elle relève d'un modus et présuppose un haut degré de déter-mination du nom recteur.

94 Le nom recteur a un haut degré de détermination (sauf si la structure est associée à une prédication d'événe-ment).

prototype de ces structures est maxi-malement défini.

Prédication de type propriété Prédication de type événement Les contraintes de sélection sont

d'or-dre syntaxique : elles sont inviolables.

La "contrainte de sélection" consiste en une interprétabilité de la séquence adjacente à droite : c'est une régulari-té.

L'organisation du syntagmatique pourrait s'analyser comme un chassé-croisé entre syntaxe et sémantique : la syntaxe régit à distance suite à des choix sémantiques (c'est une rection de position), la sémantique régit à l'adja-cence (c'est une rection de place). Ceci incite à analyser au plus près les phé-nomènes de démarcation prosodique de ces deux ordres de structure, ce qui place au centre du dispositif l'analyse de la hiérarchie prosodique entre ces deux grands types d'organisation du linéaire.

On voit venir le phonologue pour d'autres raisons : les éléments de la structure de dictum et de modus entretiennent le même type de rapport à leur environnement à droite que le segmental et le suprasegmental. Tous deux ont des contraintes de co-occurrence, mais pas réglés identiquement. Les contrain-tes absolues d'adjacence pour le segmental sont fixées par la hiérarchie de so-norité qui fixe universellement les séquences illicites. Un certain nombre de rè-gles phonotactiques complètent les séquences illicites pour l'anglais (comme #/ps/ à l'initiale). Au sein de ces séquences licites, seules les combinaisons in-terprétables (correspondant en gros à des formes de mot) sont autorisées à l'adjacence (seules les séquences signifiantes sont retenues, parce qu'interpré-tables). Le suprasegmental est contraint par le Principe du Contour Obligatoire,

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qui, en partie pour des raisons perceptuelles, proscrit des séquences sans mo-dulation du signal et impose à distance des valeurs. Le plus étonnant est que les phénomènes de modus se codent sur le suprasegmental (frontières intona-tives et proéminences pour les jeux de portée et de foyer).

L'organisation en modus/dictum serait une analyse possible du séman-tisme des agencements complexes, en admettant des jeux d'enchâssements et de récursivité des modus et des dictums, sans que cela recoupe nécessaire-ment les structures syntaxiques. Au plan sémantique, on admettrait une sorte de prédication énonciative en modus et en dictum. Dans les cas simples (la "phrase" simple), il y aurait une congruence entre ces deux structures. Cette "prédication énonciative" en modus/dictum n'est pas systématiquement super-posable à une relation sujet/prédicat, ni même à une relation prédicative. Il convient donc de découpler, de désintriquer les mécanismes énonciatifs (mo-dus/dictum) et les unités syntaxiques traditionnelles (propositions). Il faudra dé-tailler les intrications et les figures possibles de ces enchaînements mo-dus/dictum. Un premier constat s'impose, on peut coordonner des dictum, et un modus peut devenir dictum à son tour96. C'est une imbrication de prédications qu'il faut penser plus qu'une relation de "dépendance" ou de "hiérarchies".

Le défaut majeur de cette analyse, au-delà des risques inhérents à un bi-narisme qui autorise tous les travestissements (surtout s'il est doté d'une pro-priété de recatégorisation), réside dans ce qui ressemble beaucoup à une di-chotomie [+énonciateur] (modus) / [-énonciateur] (dictum). Est-on seulement sûr que ces intermittences de l'énonciateur soient plus satisfaisantes que son

96 A report that the PM had lied was issued yesterday est une predication d'événement. Le

dic-tum de la proposition en THAT fait l'objet d'une prédication modale par le nom recteur (c'est un

rapport, une communiqué, ce n'est pas de l'ordre de la rumeur) et l'ensemble fait l'objet d'une prédication d'événement (d'où la détermination du nom recteur en indéfini).

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omnipotence ?97 Pour le dire en termes imagés, l'énonciateur fait-il du vélo sans les mains pendant le dictum, pour ne tenir le guidon que pour le modus ? On pourrait l'attester dans le lexique,98 et soutenir avec J. Simonin entre autres, la nécessité de ne pas considérer que tout discours soit l'enjeu d'une contestation dans l'interlocution. Il y a du consensus, il n'y a pas que de la concordance. Une autre manière de "sauver" cette analyse est de considérer que le jeu est à somme nulle ; lorsque les choix énonciatifs ne s'incarnent pas dans le modus, ils résident dans le choix des séquences qui doivent être interprétables dans les structures de dictum.