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Le prototypique et la régularité (fragments de méthodologie) Je ne vais pas donner une énième version de la présentation de la

1.4. L A REPRESENTATION PROTOTYPIQUE DES STRUCTURES LINGUISTIQUES

1.4.1. Le prototypique et la régularité (fragments de méthodologie) Je ne vais pas donner une énième version de la présentation de la

struc-ture du prototype ou du domaine notionnel63. J'abonde dans le sens de l'ana-lyse de Givón64 qui en fait un prolongement du concept de Wittgenstein d'airs de famille. Hors le prototype, on passe insensiblement d'un élément à un autre de la catégorie par comparaison de propriétés pas absolument identiques mais entretenant un air de famille. J'insiste ici sur ce qui me paraît son caractère es-sentiel au plan structurel : son fonctionnement asymétrique, dont je pense qu'il

62 Voir Kleiber 1990 et Taylor 2003.

63 Si besoin, voir Ballier 1997: 261-267.

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peut s'attester ailleurs dans l'analyse de la langue65. A supposer qu'il faille fon-der en linguistique plus qu'en psychologie le prototype, je ferais valoir que si la catégorie linguistique (mettons juste une catégorisation syntaxique, comme les relatives) a la structure d'un domaine notionnel, alors on retrouve une loi de Ziff : le plus fréquent est le plus représentatif, les cas les moins fréquents sont les plus différenciés66. En d'autres termes, si les catégories linguistiques peu-vent être analysées comme des domaines notionnels, si la catégorie linguisti-que se laisse dire comme un ensemble de propriétés, on peut tirer un certain nombre de propriétés structurales de l'organisation d'une catégorie. J'illustre ces propositions à partir d'une analyse des relatives, inspirée de Keenan & Co-mrie 1977. Je souhaite montrer que l'argument quantitatif doit être manipulé avec précaution. L'élément le plus fréquent d'une catégorie, s'il constitue le pro-totype, n'est pas celui qui est le plus représentatif des propriété de la classe.

Keenan et Comrie 1977 défendent l'idée selon laquelle la fonction la plus accessible pour la construction d'une relative est la fonction sujet. Cette analyse est typologiquement bien documentée, quantitativement fondée mais peut être attaquable sur le plan qualitatif. Que la fonction sujet soit la plus fréquente dans toutes les langues qu'ils considèrent n'en fait pas un prototype. Le statut de forme prototypique pour une relative pourrait tout aussi bien s'appréhender en interne, au sein d'une langue, au vu d'autres phénomènes plutôt qu'à partir du nombre de langues où la fonction de la relative est possible. Dans leur analyse, la fonction sujet est déclarée comme étant la plus accessible pour une stratégie de relativisation et ainsi placée au sommet de la hiérarchie, au vu du nombre de

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J'en donnerai un exemple en deuxième partie avec la généricité et la structure du prédicat. S'il faut fonder en raison cette asymétrie, j'invoquerai la linéarité du signifiant. Dans ce sens, le "déjà" a un statut. Le défini est plus gradable que l'indéfini, le générique, que le spécifique.

66 Dans sa version la plus extrême, la tradition linguistique connaît ce phénomène sous le nom d'hapax.

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langues le plus grand où cette structure est attestée. La hiérarchie s'établit ain-si :

SU > DO > IO> OBL> GEN > OCOMP (Keenan & Comrie 1977 : 66)67

Je me fais, en partie à titre de gageure, l'avocat du diable et tente d'abord de faire valoir quelques arguments pour montrer que le COD est peut-être un meil-leur candidat pour la fonction prototypique des relatives en anglais, c'est-à-dire celle que je voudrais mettre au sommet de la hiérarchie des relatives en an-glais. Je conserve l'idée d'une hiérarchie des fonctions dont le tirerai des conséquences sémantiques dans la deuxième partie.

i. Symptôme délicieux, leur premier exemple, alors qu'ils concluent, je le rappelle, au primat du sujet dans les stratégies des relativisations, est the girl (that) John likes. (64). De fait, leur analyse est sémantique, d'où un primat des restrictives définies que je partage. On part de la description d'un référent ("our perception of how we understand the meaning of the RC [Relative Clause] –- that is, of how we understand what properties an object must have to be cor-rectly referred to by the RC" 64-65).

ii. C'est une contingence, mais l'objet dont on parle correspond au cas ob-jet. Les sujets syntaxiques sont souvent des désignateurs rigides (a fortiori dans les exemples de la grammaire générative) et qui sont interprétables sans une restriction sémantique. Ce n'est pas le cas pour les objets, ce que l'on peut retrouver dans leur redéfinition de la relative "any syntactic structure that desig-nates an object (or set of objects) in a certain way, namely by first specifying a larger domain of objects and then restricting it to a subset, perhaps a

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Soit SUbject, Direct Object, Indirect Object , major OBLique case NP (type the chest dans

John put the money in the chest plutôt que les adverbiaux type Chicago dans John lives in Chi-cago ou that day dans John left on that day.), GENitive (or Possessor) comme the man dans John took the man's hat et Object of COMParison, comme the man dans John is taller than the man.

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member subset, of which a certain sentence, the restricting sentence, is true" (80)68

iii. Je trouve un peu rapide l'analyse qui fait de l'anglais une langue où la stratégie de relativisation ne code pas le cas (- case RC strategy) car elle est fondée sur un seul exemple, the girl who John likes (65), qui aurait pu être the girl whom John likes, auquel cas l'argument de l'homonymie avec le cas sujet tombe. L'analyse est d'autant plus problématique que le cas est considéré comme marqué pour des relatives comme the chest in which John put the mo-ney (66).

iv. J'observe que les langues qui, dans leur corpus, n'acceptent que les re-latives sujet (groupe malayo-polynésien) sont en VO(X)S. Ceci revient à dire que, ces langues ayant des stratégies postnominales, l'ordre dans la relative est inverse de l'ordre canonique, de la même manière que la relative objet en an-glais fonctionne en (O) SV pour un ordre canonique en SVO. La question de l'accessibilité de la fonction est à mettre en rapport avec l'interprétation des sé-quences en fonction des contraintes de la langue et ce qui semble s'apparenter à une rupture dans l'ordre canonique.

v. Les données sur lesquelles ils se fondent en acquisition sont contradic-toires et peu détaillées. Pour autant, ils font valoir que les relatives objet sont plus facilement produites par des enfants de 10 à 12 ans à partir de consignes. En acquisition, Keenan & Hawkins 1974 montrent que des enfants anglophones de 10 à 12 ans relativisent moins bien en fonction sujet qu'en fonction objet.

vi. Seules les relatives objet ont le relatif "zéro", ce qui pose une petite question théorique. C'est le cas par excellence d'une adjacence stricte du relatif

68 Une valeur de vérité, la saturation d'une fonction par un argument, il me semble que cette analyse est très proche du Frege de "fonction et concept."

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(ce que je voudrais faire valoir comme critère du complémental dans la section suivante).

Si je fais, à l'inverse de Keenan & Comrie 1977, de la fonction objet des restrictives le prototype des relatives, je peux faire observer les propriétés sui-vantes, dissymétriques en termes de propriétés de la classe :

- un extérieur du domaine : de manière caricaturale, je pose la complétive nominale comme un élément extérieur à cette catégorie des relatives. THAT n'a pas de fonction à l'intérieur de cette proposition.

- une zone frontière : des cas assez nombreux où des formes ont un cer-tain nombre de propriétés qui ne sont pas toutes celles du prototype mais qui peuvent avoir des points communs. Par définition, cette zone "tampon" sera la plus intéressante et la plus difficile à traiter. Pour les relatives, plusieurs candi-dats sont possibles, parmi lesquelles les infinitives ou les relatives réduites (pas de proposition finies) ou les relatives directes (pas d'antécédent), voire ce qui est parfois catégorisé comme des relatives the time when et the place where. Deux propriétés diffèrent : la fonction sous-jacente est circonstancielle et sur-tout le rapport sémantique entre l'antécédent et le "pronom relatif" impose non seulement un trait casuel ou [animé] / [inanimé], mais une restriction sémanti-que. Autre candidat possible, les relatives appositives ne sont pas autant défi-nies que les restrictives.

- une dissymétrie des propriétés : il y a plus d'individus différenciés dans la zone frontière que dans le prototype, reproduisant ainsi la loi de Ziff.

- un centre organisationnel attracteur / un prototype : Quelle relation établir entre le prototype et les propriétés dégagées ? Seul le prototype vérifie maxi-malement des propriétés que les membres de la classe vérifient. C'est le cas pour la définitude dans les relatives (nécessaire à l'identification, ainsi que

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nan & Comrie 1977 le posent). La spécificité de la représentation prototypique tient en ce que le prototype concentre les propriétés qui sont disséminées iné-galement dans la classe : il n'y a pas une répartition homogène des propriétés dans les différents membres de la classe.