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Chapitre I Cadre théorique

1.4. Les structures de défense côtière parallèles au trait de côte et leurs impacts sur

En réponse à l’érosion côtière, les berges ont été activement défendues avec des structures d’ingénierie côtière depuis que les humains se sont installés en zone côtière (Charlier et al., 2005). Au Québec, la mise en place de structures rigides par enrochements est une des techniques les plus employées pour contrer l’érosion côtière (Barnabé, 1974;

Drejza et al., 2014; Bernatchez et al., 2017). Ces structures rigides de protection ont pour objectifs d’empêcher le recul de la ligne de rivage et de mettre à l’abri de l’attaque des vagues de tempêtes les constructions ou voies de communication aménagées trop près de la mer (Dean, 1978; Kraus, 1988; Bird, 1996; Pinot, 1998; Nordstrom, 2000; Charlier et al., 2005; O’Connell, 2010; Bernatchez et Fraser, 2012; Paskoff, 2012). Néanmoins, n’importe quelle structure placée en milieu côtier aura des impacts sur l’une ou plusieurs composantes de la zone côtière, notamment sur l’hydrodynamisme, les courants, les régimes des vagues, les dynamiques sédimentaires, la taille granulométrique, les processus de déposition et les écosystèmes côtiers (coastal squeeze) (Fletcher et al., 1997; Miles et al., 2001; Runyan et Griggs, 2003; Martin et al., 2005; Bernatchez et Quintin, 2016). L’étendue des effets et leur magnitude sont fonction du degré d’exposition et d’interaction de la structure avec la nappe d’eau dont le niveau dépend des marées et des vagues (Dugan et al., 2011).

Empiétement sur l’estran

L’empiètement de l’ouvrage sur la plage est un impact primaire lorsque celui-ci est installé dans la zone intertidale et qui va de pair avec l’altération des processus hydrodynamiques sur les environnements adjacents (Dugan et al., 2011). La position de la structure sur le littoral joue un rôle important sur les conséquences potentielles telles que l’abaissement et le rétrécissement des plages suite aux interactions avec l’ouvrage de protection et le blocage des échanges sédimentaires avec l’arrière-plage (Bernatchez et Fraser, 2012).

Impacts sur l’hydrodynamisme et abaissement de la plage

Lorsque les éléments hydrodynamiques (courants, vagues) interagissent avec la structure de protection rigide, leur comportement est modifié et peut se traduire par la réflectivité sur la structure, surtout lors d’une tempête (Carter, 1988; Kraus, 1988; Kraus et McDougal, 1996; Bernatchez et Fraser, 2012). De ce fait, la série d’ondes de vagues qui frappe l’ouvrage de protection est réfléchie vers le large, éventuellement avec un angle, et ne

permet ainsi plus la dissipation de l’énergie des vagues comme sur une plage naturelle (Hall et Pilkey, 1991; Griggs, 2005a, 2005b).

Un des premiers impacts morphologiques d’un ouvrage parallèle au trait de côte est l’affouillement au pied de la structure (Dean, 1987; Komar et McDougal, 1988; Kraus, 1988; Morton, 1988; Fowler, 1993; Kraus et McDougal, 1996; Lipp, 1995; Pinot, 1998; Griggs, 1999; Sutherland et al., 2003; Bird, 2008; O’Connell, 2010; Bernatchez et al., 2011). Ce phénomène (dike scouring) est connu et bien documenté (Burcharth et Hughes , 2002) ; il peut potentiellement contribuer à déstabiliser la plage en augmentant la dissipation turbulente et la réflexion des vagues percutant l’ouvrage, voire même le déchausser. Cette érosion (figure 6) est observée au pied d’une structure et a pour conséquence de déplacer les sédiments vers le large ou dans le sens de la dérive littorale (Pinot, 1998; Bernatchez et al., 2008; Bird, 2008; Bernatchez et al., 2011).

Figure 6. Affouillement et diminution du profil de la plage suite à la mise en place d'un mur de protection. Modifié de Bird, 2008.

C’est une nouvelle interaction turbulente entre l’eau et les sédiments qui n’existaient pas dans le contexte original de la plage (Kraus, 1988; Plant et Griggs, 1992; Pinot, 1998; Paskoff, 2012). La turbulence contrôle le transport sédimentaire par le mouvement vertical de la colonne d’eau des particules en suspension (Dyer, 1986).

Une structure rigide empêche par ailleurs les échanges sédimentaires entre la plage et l’arrière-plage pourtant indispensables à son bon équilibre et à sa dynamique sédimentaire (Dean, 1987; Kraus, 1988; Nordstrom, 2000; Hill et al., 2004; Bernatchez et al., 2011; Bernatchez et Fraser, 2012; Paskoff, 2012). Il en résulte une diminution de l’apport sédimentaire à la plage de cette source (Fletcher et al., 1997).

La perte du stock sédimentaire est largement observable devant un mur ou un enrochement (Griggs et Tait, 1988; Kraus, 1988; Terchunian, 1988; Dean, 1991; Plant et Griggs, 1992; Kraus et McDougal, 1996; Bernatchez et Dubois, 2004). Cette érosion peut mener à une modification du profil de plage observable par la réduction de largeur et de la hauteur de la plage (McDonald et Patterson, 1984; Carter et al., 1986; Harmsworth et Long, 1986; Kraus, 1988; Pilkey et Wright, 1988; Tait et Griggs, 1990, Hall et Pilkey, 1991; Birkemeier et al., 1991; Douglass et Pickel, 1999; Griggs, 2005a, 2005b; Basco, 2006; Fletcher et al., 2007; Bernatchez et al., 2011; Bernatchez et Fraser, 2012; Paskoff, 2012). Il peut ainsi en résulter la perte d’une plage sèche devant les enrochements, car les niveaux d’eau sont constamment en contact avec les sédiments (O’Connell, 2010; Bernatchez et Fraser, 2012). De plus, selon la granulométrie de la plage, il peut se produire une augmentation de la taille granulométrique de la plage, en particulier dans un secteur en déficit sédimentaire à cause de l’augmentation de l’énergie des vagues qui emporte le matériel plus petit (Kraus et al., 1988).

Cette diminution en largeur et hauteur réduit la capacité de dissipation d’énergie des vagues de l’estran (Paskoff, 2012). Ainsi, l’abaissement du profil de plage au-devant de la structure modifie la hauteur d’eau permettant aux vagues d’atteindre l’ouvrage avec plus d’énergie puisqu’il y a moins ou plus de dissipation de vagues (Kraus et McDougal, 1996;

Paskoff, 2012). De ce fait, les vagues peuvent frapper l’ouvrage de protection avec plus d’énergie et plus fréquemment (Bernatchez et Fraser, 2012). Par conséquent, l’action répétée des vagues qui déferlent sur la structure de protection engendre une pente de la plage plus abrupte, donc plus courte et moins dissipative (Dean, 1987; Kraus et al., 1988; NRC, 2007).

Bernatchez et al. (2008) ont déterminé que les secteurs de plage artificialisés dans la Baie-des-Chaleurs avaient des indices de déficit sédimentaire élevés à très élevés contribuant à un déséquilibre sédimentaire (Bernatchez, et al., 2008; Bernatchez et Fraser, 2012). Fletcher et al. (1997) ont eu des conclusions similaires sur une plage artificialisée d’Hawaï qui avait une largeur deux fois plus petite que celle d’un secteur naturel. Cette situation est d’autant plus sérieuse pour le stock sédimentaire de la plage si ses sources en matériel sont en déficit (Dean et Mauermeyer, 1983; Dean, 1987 cité dans Kraus, 1988; Basco et al., 1992; O’Connell, 2010; Paskoff, 2012).

Hill et al. (2004) ont démontré dans une étude réalisée dans le sud du Maine aux États- Unis que les secteurs artificialisés ne se rétablissaient pas aussi rapidement que les secteurs naturels après une tempête, car ils possèdent moins de sable pour contribuer au nouveau profil de plage. Ainsi, les murs, par des effets indirects, compromettent la résilience des plages pour le rétablissement après un événement de tempête (Kriebel et al., 1986; Komar et McDougal, 1988; Morton, 1988; Nakashima et Mossa, 1991; Lipp, 1995). La capacité naturelle de la plage à répondre à une tempête est alors réduite. Nelson et Fink (1980) expliquent que la topographie d’une plage naturelle se modifie avant une tempête. En effet, les vagues plus fortes ont tendance à ramener les sédiments du haut de la plage vers le bas, adoucissant le profil ce qui permet un meilleur amortissement des tempêtes et une plus grande résilience aux hautes vagues et aux conditions de vents. De plus, l’augmentation de la réflexion des vagues sur une structure réduit significativement le transport net de sédiments vers la plage, ce qui est un processus important de rétablissement de la plage en période de beau temps à la suite d’un événement de tempête important (Miles et al., 2001). Ainsi, un budget sédimentaire faible devant une structure réduit la capacité naturelle de résilience de la plage à absorber l’énergie des vagues (Bernatchez et al., 2011).

De manière générale, les structures côtières altèrent le régime des processus hydrodynamiques à la côte, modifient les processus de déposition et maintiennent mobiles les sédiments sur les côtes sableuses exposées (Miles et al., 2001). Il en résulte des courants de dérive littorale plus intenses sur les plages naturelles situées immédiatement en aval des structures artificielles (Plant et Griggs, 1992). Conséquemment, ils modifient le transport sédimentaire perpendiculairement et parallèlement à celui-ci en affectant significativement la charge de matériel en suspension (Dorland, 1940; Dean, 1987; Kraus, 1988; Carter, 1988; Kraus et McDougal, 1996; Miles et al., 2001; Griggs, 2005b; EEA, 2006; Stancheva et Marinski, 2007). Miles et al., 2001 ont remarqué dans une étude menée à South Devon au Royaume-Uni, que la suspension de sédiments avait augmenté devant le mur en raison de la réflexion des vagues et que les sédiments étaient alors transportés par les courants dominants. Une conséquence de l’abaissement du profil de plage est l’augmentation de la fréquence de la submersion marine. Ce phénomène a été clairement identifié comme plus propice dans les secteurs avec des structures artificielles sur le trait de côte (Griggs, 1999; Bernatchez et al., 2008; Didier et al., 2015). Elle est d’autant plus propice à se produire quand le déficit sédimentaire est élevé, que la largeur et la hauteur du haut estran sont faibles. Par conséquent, une plage moins élevée amène davantage de vagues à se briser sur la structure et il y a surpassement des structures et inondation de l’arrière-plage (Bernatchez et al., 2011).

Effet de bout

Le phénomène de l’effet de bout peut affecter les secteurs adjacents des structures rigides parallèles au trait de côte par un déficit sédimentaire (Komar et McDougal, 1988; Morton, 1988; Hall et Pilkey, 1991; Lipp, 1995; Kraus et McDougal, 1996; Griggs, 2005a, 2005b; O’Connell, 2010; Bernatchez et Fraser, 2012; Paskoff, 2012), et ce jusqu’à une distance de 150 m d’une structure de protection (Griggs et Tait, 1988). Ce phénomène est caractérisé par une augmentation du recul du trait de côte des secteurs naturels de part et d’autre de la structure (Kraus, 1988; Basco, 2006; Bernatchez et Fraser, 2012). Ce phénomène est davantage marqué en aval de la dérive littorale et à la suite de tempêtes

(Elsayed et al., 2005; Bernatchez et Fraser, 2012). Il est expliqué par la diffraction des vagues qui arrivent sur la structure vers le secteur non protégé en aval de la dérive où elles rencontrent des sédiments meubles friables de la côte (Dean, 1987; Basco, 2006). De plus, l’abaissement du niveau de la plage par la réflexion des vagues de tempêtes amène de plus grosses vagues obliques à attaquer les secteurs voisins (Plant et Griggs, 1992). En somme, ce phénomène peut être résumé par l’énergie des vagues arrivant à la côte qui est non dissipée et transmise au segment adjacent.

Griggs et Tait (1988) ont déterminé que l’importance de cet impact en aval de l’ouvrage de protection dépend de la hauteur et de la période des vagues. D’autres facteurs semblent avoir une influence sur cet effet, soit l'angle d'approche des vagues, la géométrie et la perméabilité de la section terminale de la structure (Griggs et Tait, 1988). D’ailleurs, ils ont observé que la réflexion était plus grande sur un enrochement dont les blocs étaient d’un diamètre plus petit (moins perméable) que sur un autre site où les roches étaient plus grosses (plus perméable). Également, plus la structure est située près de la mer, donc dans la zone de battement des marées, plus la turbulence générée accentue le processus d’érosion (Griggs et Tait, 1988).

Variabilité des réponses

Plusieurs auteurs mentionnent que les plages artificialisées ne retrouvent pas leur état d’équilibre à la suite des tempêtes comparativement aux secteurs naturels et qu’elles sont plus directement impactées par les fortes conditions météorologiques (Hill et al., 2004). Néanmoins, les impacts des ouvrages sur la plage et l’hydrodynamisme dépendent de plusieurs conditions. Les agents météo-marins influencent la variabilité des réponses de l’hydrodynamisme et la morphologie de la plage devant les structures de défense côtière. Les tempêtes engendrent plus de conséquences que les périodes de beau temps, car ils réduisent la zone de déferlement et renforcent les processus physiques (Hall et Pilkey, 1991; Griggs, 1998, 2005a, 2005b; Miles et al., 2001).

Ensuite, les effets associés sur l’évolution du budget sédimentaire de la plage dépendent entre autres du coefficient de réflectivité et de rugosité de la structure (Kraus, 1988; Bernatchez et Fraser, 2012). Les murs possèdent une rugosité inférieure aux enrochements et sont généralement plus réflectifs par leur structure verticale (Neelamani et Sandhya, 2004). Inversement, les structures de gravats (petits blocs) présentent généralement de faibles niveaux de jet de rive et de réflexions en absorbant ou en dissipant une grande partie de l'énergie de l'onde incidente. Cette dissipation est principalement induite par la turbulence des vagues et la friction dans l'écoulement sur et à travers les vides des roches de l'ouvrage de protection (Bradbury et al., 1988).

Le positionnement joue aussi un rôle primordial sur les effets possibles d’une structure. Plus la position est basse sur le profil de plage, plus grands sont les impacts physiques associés (Weigel, 2002a, 2002b, 2002c). Ainsi, implanter l’ouvrage sur l’arrière-plage limite le contact entre la structure et les vagues. Ce contact existant seulement durant les événements de tempête engendre moins d’impacts que s’il avait lieu tout au long de l’année (Bernatchez et Fraser, 2012).

Par ailleurs, les impacts sur le bilan sédimentaire global peuvent aussi être négligeables suite à la mise en place d’un ouvrage de défense si les apports sédimentaires sont suffisants (Kraus, 1988; Runyan et Griggs, 2003; Basco, 2006).

Enfin, l’étendue de la zone côtière impactée est fonction de l’intensité de l’interaction entre la structure et les processus côtiers, l’augmentation de l’âge des structures (accumulation d’effets et des interactions sur le long terme) et la hausse du niveau de la mer (Dugan et al., 2011).