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Les représentations de texte

3.2 Structure des représentations de texte

Comme nous l’avions laissé entendre en préambule de ce chapitre, les représentations sémantiques des propositions des textes sont structurées en fonction des situations évoquées par le texte auxquelles elles se rapportent. Une représentation de texte dans MLK, appelée également épisode, est donc formée d’un ensemble d’UTs, chacune étant un regroupement de graphes conceptuels.

Il y a quelques années, [je me trouvais dans un grand magasin de Harlem](1), [entouré de quelques centaines de personnes](2). [J'étais en train de dédicacer des exemplaires de mon livre "Stride toward Freedom"](3), [qui relate le boycottage des autobus de Montgomery en 1955-56](4). Soudain, tandis que [j'apposais ma signature sur une page](5), [je sentis quelque chose de pointu s'enfoncer brutalement dans ma poitrine](6). [Je venais d'être poignardé à l'aide d'un coupe-papier, par une femme](7) [qui devait être reconnue folle par la suite](8). [On me transporta d'urgence à l'Hôpital de Harlem](9) où [je restai de longues heures sur un lit](10) tandis qu'[on faisait mille préparatifs](11) [pour extraire l'arme de mon corps](12).

Fig. 5.2 - Extrait de “Révolution non-violente” par Martin Luther King

La figure 5.3 montre la structuration en UTs de l’épisode représentant le texte de la figure 5.2. Elle met ainsi en évidence les trois situations successivement évoquées par le texte :

- une séance de dédicace dans un grand magasin, - une tentative de meurtre,

- un séjour à l’hôpital.

Au niveau des UTs, on ne fait figurer ici que les graphes représentant les propositions explicites du texte. Nous verrons par la suite que certaines inférences sont possibles et se traduisent alors par l’ajout de nouveaux

1 Les définitions que l’on peut trouver de la proposition, dans un contexte grammatical, se recoupent fortement. Le Dictionnaire du français contemporain la définit comme “une unité constitutive d’un énoncé, composée en général d’un groupe nominal et d’un groupe verbal et formant une partie d’une phrase, sinon la phrase tout entière” tandis que J. Marouzeau, dans le Lexique de la Terminologie linguistique, en parle comme d’un “énoncé constitué essentiellement par un prédicat, ordinairement verbal, mais qui peut être aussi nominal (quant à ce qu’il a dit, sornettes !), accompagné habituellement d’un sujet et de termes rapportés l’un à l’autre”.

120 Chapitre 5 - Les représentations de texte

graphes. Les graphes conceptuels sont représentés dans les UTs par le numéro de la proposition qui leur correspond dans le texte. Chacune de ces propositions est délimitée de façon approximative au niveau la figure 5.2. C D (1), (2), (4) [ (6) (7) ] (10) (8) C D (9) (12) D (3), (5) UT Tentative de meurtre UT Dédicace UT Hôpital TP déviation changement (11)

Fig. 5.3 - Représentation de texte construite à partir du texte de la figure 5.21

La représentation d’un texte fait non seulement apparaître une structuration en situations mais elle met également en évidence les relations existant entre les situations, donc entre les UTs. Il s’agit plus précisément de relations de suivi thématique rendant compte de la façon dont s’effectue le passage d’un thème à un autre dans un texte.

Mais ces relations sont illustratives dans le même temps du rapport existant entre les deux thèmes en dehors de leur apparition dans un texte. [Grau 1983] et [Dahlgren 1993], parmi d’autres auteurs, soulignent la dépendance étroite existant entre ces relations et les connaissances sur les situations abordées. C’est pourquoi on peut parler à propos de ces relations de suivi thématique de relations entre situations. Un texte ne contient certes pas les informations permettant d’établir systématiquement quelles relations existent entre toutes les situations qu’il évoque, prises deux à deux. C’est d’ailleurs ce qui distingue une représentation de texte d’une connaissance générale et abstraite telle que les schémas. Mais les relations de suivi thématiques mises en évidence du fait de l’agencement des situations opéré par le texte nous renseignent tout de même sur une partie des relations effectives entre situations.

En accord avec [Grau 1983], nous avons retenu deux grandes relations, sans rechercher une différenciation plus poussée que ne supporteraient pas les moyens d’analyse volontairement limités que nous souhaitons mettre en œuvre ici :

- déviation thématique : la présence de cette relation signifie que l’on passe d’un thème à un thème qui lui est proche, d’où le terme de déviation. Plus exactement, le second thème constitue en général le développement d’un point particulier du premier. Il existe donc entre les deux situations considérées une relation allant au-delà de la simple présence de personnages communs. Cette relation est en quelque sorte équivalente à la relation de référence présente entre les schémas de la mémoire pragmatique.

1 Au niveau de la représentation sémantique, les propositions 6 et 7 sont considérées comme équivalentes. Elles ne donnent donc lieu qu’à un seul graphe conceptuel. Cette équivalence est détectée via le graphe de définition associé à chacun des types de concept. La même équivalence pourrait éventuellement être établie entre les propositions 3 et 5. Leurs sens sont néanmoins plus distants.

Chapitre 5 - Les représentations de texte 121 Sur le plan des représentations, une telle déviation signifie qu'une UT est détaillée par une autre UT. Dans notre exemple de la figure 5.3, la situation de l'hôpital est ainsi considérée comme étant une déviation de la situation de tentative de meurtre du fait de l'existence d'une relation de causalité entre elles : le séjour de Martin Luther King à l'hôpital résulte d'une blessure causée par la tentative de meurtre.

Une déviation est plus spécifiquement attachée à l'un des graphes de l'UT source. Elle représente le développement sur le plan pragmatique de la situation évoquée par ce graphe. Ici, l'UT Hôpital est reliée au graphe pivot (9) exprimant que Martin Luther King est conduit à l'hôpital.

- changement thématique : cette relation caractérise le passage d’un thème à un thème qui ne lui est pas lié, ou tout du moins qui ne lui est pas lié que de façon intrinsèque. Plus précisément ici, cette relation s’identifie à l'introduction d'une nouvelle situation, donc d’une nouvelle UT. Dans l'exemple de la figure 5.3, il existe ainsi un changement thématique entre la situation de la séance de dédicace et celle de la tentative de meurtre du fait que celles-ci ne sont liées que de façon contingente, fort heureusement pour les écrivains.

Les relations de suivi thématique donnent aux représentations de texte une structure d’arbre, ainsi que l’illustre la figure 5.4. Une situation S2, qui est la déviation d’une situation S1, ne peut pas par exemple avoir S1 comme déviation : un détail d’une situation ne peut pas être développé en faisant référence à cette même situation, que ce soit directement ou indirectement. S2 ne peut pas non plus être la source d’une relation de changement de thème vers S1 : le fait de revenir à S1 après avoir évoqué S2 est seulement indicatif de l’inclusion de S2 dans S1. UT1 UT2 UT3 UT4 UT5 UT6 UT7 UT8 d d c c c d d : déviation c : changement de thème UT9 UT10 UT11 c d d UT14 c d UT13 UT12 d c

Fig. 5.4 - Structure arborescente d’une représentation de texte

Cette structure confère à une UT au moins de chaque épisode le statut spécial de thème principal (TP). Intuitivement, le thème principal d’un texte est le sujet principal, central d’un texte. Sa définition formelle reprend cette notion de centre : le thème principal est l’UT qui est la plus proche de la racine de la structure arborescente de l’épisode et qui est la source du plus grand nombre de relations de déviation thématique. Cette définition est davantage une indication de ce qu’est le thème principal qu’un moyen opératoire de reconnaissance infaillible. Dans le texte de figure 5.2, la position centrale de l'UT Tentative de meurtre au sein du réseau des relations thématiques la désigne ainsi comme thème principal.

Le thème principal d’un texte est en outre caractérisé par une propriété spécifique du point de vue du suivi thématique : le thème principal d’un texte est le seul thème pouvant être réintroduit à tout endroit de ce même texte. Cette propriété, exploitée dans [Grau 1983] pour contraindre la reconnaissance de l’enchaînement des thèmes, peut être utilisée ici comme un moyen de reconnaissance de la nature des UTs. Une situation évoquée à plusieurs endroits différents dans un texte constitue probablement le thème principal de ce texte.

122 Chapitre 5 - Les représentations de texte

Lorsque le texte considéré est assez long, la structure de la représentation de texte prend souvent l’apparence d’un ensemble de sous-arbres liés de proche en proche par des relations de changement thématique, comme le montre la figure 5.4. La représentation de texte possède alors plusieurs thèmes principaux. En pratique, elle en compte autant que de sous-arbres. En supposant qu’il existe un seul thème englobant pour un texte1, la présence d’un seul thème principal ou de plusieurs dépend en fait étroitement de ce qui est explicité dans le texte.

Sur le plan représentationnel, il est tout à fait possible d’avoir une structure d’arbre complète : une situation racine suffisamment générale peut recouvrir l’ensemble d’un texte et être détaillée par différentes déviations de thème, si besoin est de façon récursive. Du fait de l’approche que nous avons retenue, notre représentation des textes reste toutefois guidée par les informations apportées par les textes plus que par les connaissances du système. Pour qu’une UT soit créée, il faut donc qu’elle possède un ancrage dans le texte sous forme de propositions faisant référence à la situation représentée par cette UT. Si le thème le plus général du texte est explicité, on peut construire, à condition de le discerner, une UT le représentant et y rattacher les autres UTs venant le détailler. Si tel n’est pas le cas, le lien entre ces UTs n’est pas perçu. Elles ne sont alors liées que par des relations de changement de thème et l’on obtient une structure similaire à celle de la figure 5.4. Précisons que dans ce cas, la règle présentée plus haut concernant la possibilité de réintroduction des thèmes principaux ne s’applique a priori plus qu’au sein du sous-arbre contenant le thème considéré.