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MoHA est initialement le fruit des travaux de Françoise Forest et de Brigitte Grau [Forest & Grau 1992] sur le problème de l’apprentissage de concepts et de connaissances pragmatiques à partir de données verbales en s’inspirant des idées de Vygotski [Vygotski 1962] dont nous avons donné un aperçu au §2.1.3. La prise en compte d’expériences perceptives de nature visuelle a été étudiée par François Bordeaux dans [Bordeaux 1993]. Cette voie a été ensuite poursuivie par Françoise Forest en considérant des expériences visuelles de

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plus haut niveau s’attachant à rendre compte des relations topologiques entre les constituants d’une scène visuelle [Forest 1997]. La composante d’apprentissage de concepts à partir de données verbales a été plus spécifiquement développée par Jean-Pierre Gruselle [Gruselle 1997] à partir du modèle proposé par Françoise Forest dans [Forest 1991]. Celle concernant l’apprentissage de connaissances pragmatiques à partir de textes, conjointement développée avec Brigitte Grau [Ferret & Grau 1997], fait l’objet d’une partie du travail exposé ici.

Depuis son origine, MoHA se fonde sur trois grands principes :

- l’apprentissage des connaissances doit se faire selon une approche constructiviste ;

- l’apprentissage doit prendre en compte le fait que les différents types de connaissances sont en interaction ;

- il existe une liaison nécessaire entre l’apprentissage des connaissances d’une part, et leur utilisation dans des processus de compréhension, au sens large, d’autre part.

Le premier de ces principes vient s’opposer à l’idée selon laquelle l’apprentissage ne résulterait que de la spécialisation ou de la sélection de structures déjà existantes [Fodor 1975]. Il postule au contraire que ces structures sont construites progressivement à partir de l’interaction de l’apprenant avec le monde dans lequel il se trouve immergé. Ces interactions se déroulent tant au niveau physique qu’au niveau social, au travers des contacts avec d’autres individus. Le langage est un des canaux de ces interactions, canal particulièrement important dans MoHA, tout du moins dans sa forme actuelle. Ses contacts avec le monde laissent chez l’apprenant une trace sous la forme d’expériences. Leur accumulation, leur confrontation et leur appariement sont la source de son apprentissage. Celui-ci se caractérise donc par sa gradualité et par l’importance qu’il accorde à la détection de similarités entre expériences pour bâtir de nouvelles connaissances.

En se fondant sur l’expérience de l’apprenant, cet apprentissage se distingue également par la place qu’il confère à la subjectivité. Les connaissances ainsi acquises seront propres à un individu et dépendantes de son histoire personnelle. Elles pourraient donc être différentes pour un autre individu soumis à des expériences similaires ou pour le même individu ne les rencontrant pas dans le même ordre. Ces caractéristiques sont bien entendu délicates à prendre en compte, voire indésirables, si l’on adopte un point de vue plus formel sur l’apprentissage mais nous pensons qu’elles surviennent inévitablement dès lors que l’on met en avant la notion de mémoire, celle de progressivité de l’apprentissage et que l’on ne cherche pas uniquement à adapter un cadre existant.

Le deuxième principe vient de la constatation suivante. Les différents types de connaissances sont en interaction, que ce soit sur le plan fonctionnel, sur le plan structurel ou sur le plan de leur formation. Les MOPs, par exemple, représentent des connaissances pragmatiques mais sont formés de concepts. À l’inverse, les concepts sont le résultat de l’abstraction d’entités présentes sous des formes plus ou moins diverses dans différentes situations. On a vu d’autre part que la compréhension automatique d’une langue met en jeu des connaissances de natures diverses, aussi bien linguistiques, conceptuelles que pragmatiques.

Dans le cadre de MoHA, on fait l’hypothèse que l’apprentissage ne peut faire abstraction de ces liaisons. C’est évident lorsqu’un type de connaissances sert à l’élaboration d’un autre mais ce principe va au-delà. L’apprentissage ne doit pas s’attacher qu’à un seul type de connaissances mais intégrer au contraire l’ensemble des types de connaissances qui sont en interaction, et de ce fait, complémentaires. Ce principe est d’ailleurs une conséquence du premier principe posé. Il est en effet difficile de prôner une approche constructiviste pour une partie des connaissances auxquelles on s’intéresse et ne pas l’appliquer à une autre partie de celles-ci alors que les unes servent de support aux autres et vice versa.

MoHA est donc un modèle d’apprentissage faisant intervenir des connaissances de natures variées. Celles-ci se définissent par rapport aux trois dimensions suivantes :

Chapitre 1 - Exposé du problème et principes de la solution retenue 33 - le type des connaissances. On reprend ainsi la distinction opérée au §1.1.1 entre connaissances conceptuelles et connaissances pragmatiques. En fait, il faut préciser que cette distinction s’identifie plutôt à une différenciation progressive dans le cas présent. Lorsque par exemple, le niveau des expériences s’incarne dans un réseau de cooccurrences lexicales, les dimensions pragmatiques et conceptuelles se trouvent de manière évidente étroitement mêlées. La liaison existant entre deux mots peut aussi bien être le résultat d’une propriété générale exprimée à propos d’une entité que traduire l’appartenance de deux entités à une même situation. Les expériences ne sont pas de nature conceptuelle ou de nature pragmatique à la base. Elles servent de support à des processus d’apprentissage qui ont en revanche pour tâche de faire émerger un type de connaissances donné. Il est également assez clair que toutes les dimensions des expériences ne contribuent pas de façon égale à l’émergence de tous les types de connaissances. Cela ne remet toutefois pas en cause la nature globalement neutre des expériences vis-à-vis de la dichotomie entre connaissances conceptuelles et pragmatiques.

- le niveau des connaissances. On fait référence ici à leur degré d’abstraction et de généralité. MoHA fait bien entendu intervenir des expériences mais également le produit de leur abstraction, concrétisé au travers d’un réseau sémantique pour ce qui est des connaissances conceptuelles et d’un réseau de schémas analogues aux MOPs dans le cas des connaissances pragmatiques. Là encore, il existe une certaine gradualité entre expériences et connaissances abstraites. L’abstraction en elle-même n’est pas un processus graduel, conformément d’ailleurs au passage du complexe au concept chez Vygotski. En revanche, l’élaboration des complexes, et dans notre cas des agrégats d’expériences, est progressive. Or, ces agrégats représentent déjà une certaine forme de généralisation, même si elle est largement implicite, des expériences individuelles ;

- l’origine des connaissances. Dans son état actuel de développement, MoHA privilégie les expériences de nature verbale. Cette tendance n’est pas toutefois un parti pris résolu mais résulte plutôt de la difficulté évoquée au §1.1.4 de travailler à partir d’autres modalités. Ainsi que nous l’avons évoqué précédemment, des travaux ont d’ailleurs été menés et continuent d’être menés sur l’intégration d’expériences visuelles au sein de MoHA mais leur lien nécessaire avec les composantes verbales reste encore à étudier plus profondément. Sur le plan des principes cependant, la possibilité de traiter des expériences issues de différentes modalités perceptives et surtout, de mettre en rapport pour une même expérience les produits de plusieurs modalités, reste un objectif important d’un modèle tel que MoHA.

La volonté de prendre en compte dans MoHA des connaissances de natures différentes tant au niveau des tâches de “compréhension” que de l’apprentissage implique également de faire cohabiter des paradigmes de représentation que l’on n’associe pas habituellement. On peut ainsi avoir aussi bien des connaissances sous une forme symbolique, classique en Intelligence Artificielle, que sous une forme numérique ou topologique. Cette cohabitation des représentations entraîne aussi la cohabitation des processus qui les construisent ou les utilisent, qui sont donc eux-mêmes de différents types. C’est pourquoi MoHA peut être vu globalement comme un modèle hybride.

Le troisième et dernier grand principe fondateur de MoHA reprend la nécessité, que nous avons développée au §1.2, d’une liaison forte entre apprentissage et compréhension, ou plus généralement entre apprentissage et utilisation de ce qui est appris. Cette dépendance apparaît d’ailleurs naturellement. Pour apprendre, il faut d’abord comprendre, c’est-à-dire passer de données brutes à une représentation compatible avec ce que l’on cherche à apprendre. Pour comprendre, un système utilise des connaissances. Or, ce sont ces mêmes connaissances que l’apprentissage contribue à forger ou à faire évoluer. MoHA ne se limite donc pas à un ensemble de mécanismes d’émergence mais illustre également comment ceux-ci s’articulent avec des mécanismes de compréhension. Le modèle de formation des concepts à partir des mots est ainsi en relation

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étroite avec un processus de désambiguïsation lexicale. De même, le modèle d’émergence de schémas à partir de représentations de textes est en rapport étroit avec un processus d’analyse thématique des textes.