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A) Quartier B. : une porosité mineurs-majeurs

La capacité d’accueil de ce quartier mineur au sein de la prison B. est de 18 places mais il est assez rare que toutes les cellules soient occupées. Les couloirs, les salles d’activités et les cellules ont été entièrement rénovés, car les lieux avaient été très rapidement dégradés les trois premières années de l’ouverture du quartier. Depuis cette rénovation, le personnel est très attentif aux éventuelles dégradations et on ne trouve aucun graffiti, ni tag sur les murs ; les cellules sont globalement très propres.

Le quartier mineur se situe au 1er étage du bâtiment C, bâtiment qualifié « bâtiment

des travailleurs », à la différence du bâtiment A où sont incarcérés les détenus ayant commis les délits les plus graves et du bâtiment B, réputé comme le plus difficile dans la mesure où il accueille de nombreux jeunes issus des quartiers proches de la maison d’arrêt. Le quartier mineurs, situé dans l’aile gauche de ce bâtiment, se compose de deux ailes réparties sur deux étages. L’entrée au quartier mineurs se situe au niveau de l’aile

supérieure et l’accès à l’aile inférieure nécessite obligatoirement le passage par celle-ci. Les cellules se trouvent dans l’aile supérieure qui était à l’origine utilisée pour des majeurs. Elles sont toutes de la même taille à l’exception d’une plus grande, désignée de « studio » et dans laquelle est placé le mineurs le plus ancien et/ou celui condamné à la plus longue peine. Cette partie du quartier mineur se compose ainsi des cellules, du bureau des surveillants qui n’est séparé que d’une porte, d’une salle d’activités où sont installés baby- foot, télé, console. Cette aile comporte également 4 douches (autrement dit, les cellules ne sont pas dotées de douche individuelle), un bureau médical et une bibliothèque.

L’accès à l’étage inférieur s’effectue par un escalier extérieur situé au bout de l’aile supérieure. Cette partie n’existait pas lors de la création de la maison d’arrêt et a été construite pour les activités socioculturelles du quartier mineurs ; elle se compose d’une salle avec des appareils de musculation, d’un bureau pour les surveillants, d’un autre pour les éducateurs et de deux salles de cours. La cour de promenade se situe devant ce bâtiment, elle est un simple carré goudronné où trône une table de ping-pong. La cour est délimitée par des grillages de quelques mètres surplombés par des barbelés menaçants.

L’encellulement individuel est respecté, le doublement des cellules étant très rare. Les mineurs disposent uniquement de toilettes et lavabos dans leur cellule, les douches elles, sont collectives. Comme pour l’ensemble de l’établissement, un grillage s’ajoute aux barreaux de chaque fenêtre pour éviter la projection de détritus et pour empêcher les « yoyos » (technique permettant de faire passer par la fenêtre, des produits d’une cellule à une autre en l’attachant au bout d’une ficelle). Néanmoins ce dispositif installé dans un nombre croissant d’établissements, n’interdit pas tout échange entre les détenus, les mineurs parvenant toujours à se servir de yoyos ou utilisant des « souris » (technique qui consiste à effectuer des échanges par-dessous la porte des cellules à l’aide d’une règle et d’une ficelle). Cependant, ces grillages aux fenêtres entravent la vue des détenus qui ne peuvent observer de leur cellule qu’un paysage haché par l’ensemble de ces protections métalliques.

Le quartier mineurs n’étant pas prévu à l’origine de l’établissement, toutes les conditions architecturales ne sont pas réunies pour respecter l’obligation de non- communication entre les mineurs et les majeurs. En effet, l’architecture de l’établissement induit des espaces d’échange entre majeurs et mineurs puisque la moitié des cellules, la salle de baby-foot et la bibliothèque donnent directement sur une partie des cours de

promenades des majeurs. Ainsi, les contacts avec les majeurs sont très aisés, et ce malgré l’effort des personnels de surveillance pour rappeler aux mineurs leur interdiction de communiquer. De plus, lorsque l’on se place à l’un des angles de la cour de promenade des mineurs, on parvient à voir et à parler avec les majeurs qui se situent sur le terrain de sport.

Pour éviter que les mineurs ne se déplacent dans des zones où circulent des majeurs, les psychologues, le médical et les enseignants se rendent eux-mêmes au quartier mineur, et non l’inverse. Cependant, les mouvements de mineurs restent fréquents, ces derniers traversant régulièrement les coursives où se trouvent des majeurs pour se rendre au greffe, aux parloirs ou lorsque certains examens médicaux sont nécessaires. Ces déplacements s’effectuent sous la responsabilité et la protection d’un surveillant chargé d’empêcher toute communication. Les surveillants expliquent qu’ils sont contraints de fonctionner de cette façon dans la mesure où il est impossible de bloquer les mouvements lors d’un déplacement de mineurs, ce qui est notifié dans les textes, sous peine d’engendrer un dysfonctionnement de la gestion de l’établissement dans son ensemble.

Un dernier « pont » entre les mineurs et les majeurs réside dans l’auxiliaire qui travaille au quartier mineurs. Ce dernier a l’interdiction de communiquer ou d’échanger parole, tabac ou objets avec les mineurs sous peine de déclassement. Nous avons pu constater que le recrutement de l’auxiliaire est très complexe, les auxiliaires s’étant succédés à trois reprises lors de notre période de travail. Alors que le premier a été libéré, un second n’est resté que quelques semaines après avoir été à l’origine de trafics avec les mineurs : en période de grande pénurie de tabac chez les mineurs, les détenus lui faisaient parvenir des paquets de cigarettes, laissant penser qu’elles étaient échangées contre du shit.

Le quartier mineurs constitue ainsi une petite prison dans la prison, un espace à part, qui n’est pourtant pas dépourvu de porosité. Par ailleurs, la prison comprend également un « quartier jeunes majeurs », soit un « sas » pour les détenus du quartier mineurs qui deviennent majeurs au cours de leur incarcération. Ce dispositif, créé sous l’impulsion de la direction et des intervenants du quartier mineurs, consiste à aménager quelques cellules non loin du quartier mineurs (mais en dehors de ce dernier) pour accueillir les jeunes majeurs. Le passage du régime de détention au quartier mineurs à un régime de détenus en majeurs est présenté par les intervenants du quartier comme étant éprouvant et brutal

pour les jeunes mineurs. Deux images très contrastées se construisent alors dans le discours du personnel du quartier : celle du quartier mineurs où les jeunes détenus sont protégés et occupés à laquelle s’oppose celle d’une détention plus dure, où les détenus sont livrés à eux-mêmes dans un monde où l’agressivité est très présente. Ainsi, ce sas a été créé pour atténuer le choc entre ces deux univers en préservant pour un temps supplémentaire les jeunes majeurs de la violence de la détention majeure et de ces conditions de vie bien moins confortables qu’au sein du quartier mineurs. L’objectif formel poursuivi est d’instaurer un suivi psychologique et scolaire pour les détenus, et de construire une continuité dans le suivi éducatif les éducateurs PJJ transmettant le dossier des détenus aux CIP et passant régulièrement voir ces détenus.

B) Quartiers A. et C. : une architecture sécuritaire renforcée

La « modernité » des deux établissements qui abritent les quartiers A. et C. se traduit par un accent explicitement mis sur la dimension sécuritaire de l’établissement, renforcée par l’encellulement individuel.

Le quartier A. dispose d’une vingtaine de places, réparties en 18 cellules. Seules deux cellules sont dédiées à l’accueil de deux détenus simultanément, les autres ont été pensées pour un enfermement individuel. Établissement récent, l’architecture de l’établissement a été pensée de sorte que personne ne soit en vis-à-vis. Chaque cellule dispose d’une fenêtre, mais celles-ci étant en quinconce, les détenus ont un champ de vision très limité. Ne pouvant s’apercevoir mutuellement, il n’est pas rare que ceux-là brisent des morceaux de miroir afin de palier ce manque. En outre, aucune des cellules de la détention ne permet de voir les mouvements d’entrée ou de sortie du quartier « mineurs ».

Le quartier « mineurs » étant situé sur un espace pénitentiaire comprenant d’autres établissements, les cellules des mineurs ont été envisagées afin que les échanges avec les détenus majeurs soient rendus totalement impossibles. Ainsi, le quartier « mineurs » jouxte un centre de détention, mais seul le couloir des salles d’activités est proche du CD. Les fenêtres de ce couloir sont en hauteur et la plupart du temps fermées, ce qui ne permet que d’entrevoir l’établissement. Toute communication se révèle impossible, car les mineurs sont rarement seuls dans le couloir. S’ils tentent de communiquer durant le court laps de temps dans lequel ils peuvent être seuls, l’intervention des surveillants ou des

autres intervenants est rapide. Les fenêtres des cellules du CD sont également en quinconce, les détenus majeurs n’ont donc qu’une vue très partielle du quartier mineurs. Un espace vert, « étanche », sépare le quartier « mineurs » du centre de détention. Le contact avec les détenus majeurs est quasiment impossible (le préposé à la « gamelle » et le « coiffeur » faisant figure d’exception).

L’architecture moderne de l’établissement est telle que lorsqu’on se déplace dans les espaces communs conduisant aux différents établissements du centre pénitentiaire, nous ne sommes jamais vu de l’ensemble des détenus. En outre, on rencontre un « silence religieux » dans ces espaces inter établissements. Cette architecture carcérale moderne est perçue comme « froide » par certains « anciens », sorte d’univers aseptisé où règnerait le dictat de la psychose sécuritaire (chaque intervenant extérieur portant sur lui une alarme personnelle lui permettant d’être localisé rapidement dans l’enceinte de l’établissement en cas d’incident). Le personnel pénitentiaire exprime parfois certains regrets concernant leur ancien lieu de travail pourtant plus vétuste, mais considéré paradoxalement comme plus humain (alors que sans doute plus contraire à la dignité humaine !). La surveillance vidéo est omniprésente, tout comme les microphones.

Cette conception architecturale permet une réelle étanchéité entre les établissements du centre pénitentiaire. De fait, il y a donc un cloisonnement du quartier mineurs par rapport au reste de l’établissement.

Les détenus disposent d’une douche dans chacune des cellules. Les cellules ne sont pas climatisées, mais disposent d’un système de rafraîchissement qui limite la montée vers des températures extrêmes, car l’été est particulièrement chaud dans le Sud. Ces équipements permettent ainsi aux jeunes détenus de se rafraîchir à n’importe quel moment de la journée, y compris après les activités sportives, sans avoir à négocier avec les surveillants présents. L’obtention d’une douche, dans les établissements qui ne sont pourvus que d’équipements collectifs, est toujours source de tensions.

Cependant, bien que récentes, les cellules sont parfois dans un état pitoyable (graffitis, mobilier arraché, murs dégradés, plafonniers descellés, armoires descellées…). Les cellules font l’objet d’un bon de réparation qui est facturé par la société qui a en charge la gestion du site, bien que les réparations ne sont pas toujours réalisées. Parfois, celles-ci sont même facturées plusieurs fois sans la vigilance des surveillants ou des détenus.

On retrouve au quartier C. la plupart des caractéristiques du quartier A. Cependant, comme au quartier B., un quartier « jeunes majeurs » introduit une porosité plus grande entre majeurs et mineurs que dans le quartier A. En effet, à l’origine, le quartier était prévu pour accueillir 40 mineurs, 20 au rez-de-chaussée, 20 à l’étage. Rapidement, l’étage a été transformé en quartier jeunes majeurs. L’existence de ce quartier jeunes majeurs structure pour partie les petits illégalismes de la vie quotidienne en détention. Ainsi, par exemple, les mineurs (rez-de-chaussée) n’ont pas le droit de fumer, ce qui constitue une source de souffrance très présente dans les entretiens. Les jeunes majeurs (premier étage), eux, ont le droit de fumer. Inéluctablement s’instaurent des petits échanges et trafics de tabac entre les deux étages, via les yoyos, ou durant les séances de foot, communes aux mineurs et aux jeunes majeurs. Ces trafics causent parfois des soucis aux surveillants, mais leur donnent aussi des marges de manœuvre : qui réprimer et quand ? Quelles tolérances pour le tabac (en cour de promenade et en cellule ?).

La réalisation au quartier C. d’un entretien avec un membre du personnel SPIP, entretien centré autour de l’organisation du quartier jeunes majeurs, a permis de mettre au jour, d’une part, les modes de sélection des jeunes qui y sont envoyés (lorsqu’un mineur devient majeur, il faut choisir : soit il intègre le quartier jeunes majeurs, soit il part en détention classique ; souvent, ce sont les primaires ou les détenus considérés comme « fragiles » qui sont envoyés au quartier jeunes majeurs), d’autre part la rupture dans le suivi du jeune qu’entraîne le passage à la majorité.

« J’ai eu un cas précis, un jeune qui est passé majeur, qui s’est retrouvé à passer en CAP (commission d’application des peines) très rapidement pour des réductions de peine supplémentaires.

J’avais vu ça avec un collègue de la PJJ, et sa hiérarchie lui a dit « non il est majeur c’est pas à toi de faire le rapport », alors que ça concernait une période de détention mineure. Donc bon officieusement il m’a donné les informations pour que moi je fasse le rapport, mais c’est vrai que c’était un peu idiot cette coupure et je pense que ça illustre bien le passage à la majorité quoi. Comme le fait que le jour de leurs 18 ans, ils montent d’un étage (quartier jeunes majeurs), voire ils sont basculés en détention ordinaire s’ils sont considérés comme ayant pas le profil quartier jeune majeur. Alors nous on a c’est vrai une fiche de liaison mais qui est assez sobre, il y a pas grand-chose en gros, il y a les contacts avec le milieu ouvert et c’est tout. Ça c’est quelque chose que j’ai constaté. Mais c’est vrai que de fait, le suivi déjà change parce qu’on pas une présence quotidienne déjà au sein du quartier. Et puis ceux qui basculent chez les majeurs, qui passent juste majeurs, qui transitent pas par le quartier jeunes majeurs, eux ils sont un peu… je vais pas dire abandonnés mais c’est vrai que si ils écrivent pas, on va pas forcément les voir, et… ils sont pas sollicités comme le dialogue peut se créer au quartier mineurs où les éducateurs sont présents au quotidien. Donc le jeune qui n’écrit pas peut très bien faire sa peine chez les majeurs sans être connu. Voilà, parce que le profil type qui a été choisi, c’est le détenu qui a entre 18 et 20 ans, qui est primaire, et supposé fragile. D’une certaine fragilité ou qu’il faut vraiment protéger… » (Christine, SPIP).