• Aucun résultat trouvé

S UTHERLAND , 1963 87 S YKES , M ATZA , 1957.

2°) La prison et les autres structures fermées

III L A SORTIE : LA CONTINUITÉ ENTRE UN AVANT ET UN APRÈS PRISON , LA POURSUITE DE SON DESTIN

86 S UTHERLAND , 1963 87 S YKES , M ATZA , 1957.

Ainsi, bien qu’ayant toujours eu une éducatrice de référence, le suivi d’Hafiz semble ne pas avoir été intense. C’est selon lui, une des raisons qui explicite ces actes délictueux :

« Hé ouais, je suis sorti, je me souviens le 26 novembre… je ne peux pas aller aux ASSEDIC, je

suis encore mineur… Je ne peux rien faire… ouais, je n’ai pas de sous… Hé ben, ouais, je me souviens bien, le lendemain… le lundi, j’étais en train de voler ! Pourquoi ? Pour que le jour de Noël, pour que je puisse acheter la PSP à mon petit frère et pour avoir des sous pour passer un bon jour de l’An… J’ai volé pour m’habiller. C’est tout ! Ça fait que je recommençais mes conneries ! Parce qu’il n’y avait personne derrière moi… et qui venait me dire : "bon, on va essayer de trouver du travail…". Moi, on ne m’a pas remis… ouais, on m’a remis dans la rue, c’est tout ! Ce que je veux, c’est qu’on me renvoie chez moi mais qu’on m’aide, qu’on vienne me proposer… qu’on me dit d’aller voir là ou là… pour trouver du travail ! Ou pour trouver, je ne sais pas, un apprentissage… ou un patron… un CFA ou quoi… Non, je suis sorti… une semaine après, mon éducatrice, elle m’a dit : "viens me voir". Moi, je ne suis pas allé la voir… parce que c’était pour aller dans une famille d’accueil… ».

C’est à l’issue de sa première incarcération en 2005 que Hafiz sera suivi par une éducatrice spécialisée de secteur judiciaire. Hafiz et l’éducatrice entretiennent une relation conflictuelle : il estime que les mesures proposées ne sont jamais adaptées à sa situation. Il est incarcéré pour la deuxième fois en 2006. Entre 2005 et 2006, il sera incarcéré trois fois. Son éducatrice tente de mettre en place un ensemble de mesures, mais Hafiz n’en perçoit pas l’intérêt. À l’issue de sa deuxième incarcération, il apprend qu’il ne peut pas rentrer chez lui, mais qu’il doit intégrer une famille d’accueil. Ce que le jeune refuse est le placement en famille d’accueil. Il ne reste que 24 heures et entame une série de fugues.

« Ce que j’ai toujours demandé avoir un apprentissage, commencer quelque chose… Ouais, elle

m’héberge pendant un an, deux ans… ça ferait que j’aurais eu 16 ans quand je serais sorti… 16 ans, 17 ans, 18 ans… mais dis-toi que j’aurais passé deux ans dans une famille d’accueil, mais… en retour qu’est-ce que j’ai eu ? Ouais, pendant deux ans, j’ai bien mangé. J’ai bien bu. J’ai bien dormi. Ah, en fait à 18 ans, je sors de chez elle, j’ai pas un diplôme, je n’ai rien du tout… Moi, je veux sortir d’ici… dormir chez moi. Manger chez moi. Faire tout chez moi… mais voilà, au lieu de passer mes journées à traîner… en train de faire je ne sais pas quoi… travailler… faire un apprentissage… et aller à l’école… voilà, c’est ça que je recherche… c’est ça que je demande…et que la juge, elle ne veut pas comprendre… ».

En présence du juge, il adopte une attitude de rébellion : il multiplie les provocations, refuse les injonctions. À la suite de sa deuxième incarcération, la juge souhaite envoyer l'adolescent dans un CEF qu’il refuse. Elle le place dans plusieurs foyers avant de vouloir l’envoyer en CER mais l’opposition d’Hafiz est virulente.

« Trois, quatre foyers… mais je sais qu’ils m’en ont proposé plusieurs, mais je n’y allais… Ils

m’inscrivaient dans ce foyer-là… ils m’avaient inscrit dans un CER maritime… ».

La juge le menace de le réincarcérer. Le jour de l’extraction vers le CER, Hafiz refuse de sortir. Les surveillants sont obligés de faire venir les gendarmes pour l’extraire. C’est la première fois que le quartier « mineurs » doit faire appel à la gendarmerie pour

libérer un détenu ! Les gendarmes le conduisent au CER, mais Hafiz s’enfuit rapidement. On peut s’interroger sur la pertinence d’une telle décision judiciaire qui se fonde sur la volonté du mineur. Puis Hafiz se fait arrêté à la suite d’un vol. Il est alors condamné à quatre mois de prison pour sa fugue du CER auquel la juge ajoute trois mois de sursis d’une précédente condamnation. Ainsi, Hafiz est condamné à sept mois supplémentaires alors même qu’il souhaitait rester en détention finir sa troisième incarcération. Dans le récit d’Haziz, cette nouvelle détention est une injustice.

La combinaison des difficultés rencontrées sur les différents secteurs de sa vie entretiennent chez Hafiz un profond mal-être. Il culpabilise au regard de la détérioration de la vie familiale dont il se sent pleinement responsable. A ce malaise s’ajoute une souffrance liée à sa trajectoire d’immigré. Il vit mal le rejet bilatéral de l’une ou l’autre des sociétés à laquelle il est confronté.

« Là-bas, on me dit que je suis Français… et ici, je suis le sale arabe ! Ici, je suis comme un

immigré ! Et quand je suis là-bas, je suis un Français ! Quand je suis là-bas, ils m’appellent : "oh, le Français ! Le Français !". Et ici, ils te disent : "sale Arabe !". Bâtards ! C’est vrai ! Non, mais 5 000 euros, c’est de la bombe… (…) c’est pour ça que je m’en bats les couilles. Je m’en fous. Mais vraiment je m’en fous de la justice… même de la vie ! Parce que je sais que demain, je me fais condamner à 7 ans, je me mets la corde et puis je me suicide… parce que je sais que je n’ai pas ma place dans cette vie ! Il y a quelqu’un qui me représente, ici, en France ? Hé, je suis bien Français ? Je né, ici, en France ! Je suis allé à l’école comme tout le monde. Ma mère, elle parle français. Elle est venue quand ma sœur avait 5 ans ! Moi, mes frères et mes sœurs, on est né ici… mon père a toujours travaillé ici… ».

Son échec scolaire et son errance depuis sa déscolarisation accentueront plus encore le sentiment d’avoir échoué dans sa vie, ses pensées conduisant Hafiz à évoquer le suicide.

« Des fois, je crois que franchement, je suis foutu, franchement, ouais ! 17 ans… sans emploi, sans

école, ça fait trois ans que je ne suis pas à l’école… En trois ans, j’ai travaillé un mois… ».

II-RAPPORT AU MONDE CARCÉRAL

En détention, il adopte une attitude conforme même s’il éprouve une forte injustice. En effet, il comprend mal les décisions judiciaires et la comparaison avec des affaires judiciaires très médiatiques alimente son argumentation.

« Et tu rentres, tu as fait des conneries, tu assumes… la prison ! Mais ça dépend de quelle prison ?

Ici, tu es enfermé du matin au soir… et la prison, franchement, je la ressens mal. Franchement, il y a des gens que je connais qui étaient entrés pour ça, ça, ça. La justice, elle me dégoûte ! Comme l’affaire de Clearstream et tout ça ! C’est une grosse affaire quand même ? Hé ben, pourquoi les gens ne sont pas en prison ? On insulte un condé et on va en prison pour ça… pour trois mois, quatre mois ! Franchement, voilà, c’est ça qui me dégoûte ».

Lors de ces premières peines, Hafiz avait tendance à être rebelle et provocateur. Conscient que son attitude ne lui améliorait pas sa vie quotidienne, et lassé du QD et des problèmes relationnels avec le personnel, il coopère davantage. En outre, la pose de grillage devant les fenêtres de chaque cellule contraint les mineurs à être plus dépendants des surveillants que par le passé : le volume d’échanges via le yoyo diminue drastiquement, et ce sont les surveillants qui désormais doivent assurer les échanges de cellule à cellule.

« Avant c’était dix fois mieux, on n’avait pas besoin des surveillants ».

Le quotidien est marqué par l’ennui : Haziz déplore le manque d’activité. Pour tuer le temps, il passe la plupart de ses nuits à discuter aux fenêtres avec ces codétenus et dort le plus possible la journée. Haziz regrette le temps où il était incarcéré dans un autre quartier mineurs où la promenade durait toute l’après-midi. Il ne bénéficie pas de parloir alors même que le choix de l’incarcérer dans cet établissement était motivé par le rapprochement familial. Les nombreuses tensions avec ses parents et ses incarcérations successives ont conduit ces derniers à couper les ponts lors d’une nouvelle incarcération.

Hafiz supporte difficilement la détention : il est suivi par un pédopsychiatre qui lui prescrit un traitement médicamenteux important. Il est doublé pour ne pas rester seul et menace régulièrement de se suicider. Il affirme cependant ne pas prendre ses cachets, il laisse entendre aux personnels du quartier mineurs qu’il les prend afin de bénéficier de faveurs et plus particulièrement de remise de peine, il pense ainsi que le juge interprète la prise de son traitement comme un signe de réhabilitation. Ainsi, on observe l’adoption d’une attitude de « tacticien » si on reprend la terminologie de G. Chantraine88, Hafiz

jouant le rôle du « bon détenu » avec distance pour en tirer profit.

« Tu regardes la poubelle, tu vois un sachet de médicaments… pour qu’ils croient que je prends leur

traitement, mais en fait les médicaments, si tu regardes bien, ils sont tous au fond les médicaments… même Z ! Non, mais en fait, je ne les ai jamais pris en fait ! Tu n’as pas vu comment tu deviens comme une loque ! Je ne les prends pas… Voilà, avant, je prenais les médicaments, c’était pour avoir les RPS… qu’ils voient que je prends un traitement… ce matin, il m’expliquait qu’il allait me donner un traitement pour dehors ! Mais dehors, tu crois que je vais le prendre le traitement ? Le traitement, ce sera un gros pétard ! ».