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A) Les surveillants

Dans chacun des trois quartiers mineurs, le personnel de surveillance a fait volontairement le choix de travailler au quartier mineurs. Ce choix se justifie souvent par la « plus grande autonomie » dont ils bénéficient et par la place du « dialogue » qui caractériserait le travail en quartier mineurs pour ces surveillants. À travers ce poste, les surveillants ont le sentiment de s’éloigner de l’image de « porte-clés » en ayant la volonté et les moyens d’accomplir un peu différemment leur mission de surveillance. Ainsi, alors qu’il est fréquent de souligner dans les travaux sociologiques le fait que le métier de surveillant n’est pas une profession choisie par vocation, les propos des personnels de surveillance du quartier mineurs indiquent que le choix de travailler avec des mineurs permet de retrouver une vocation à l’intérieur d’un métier peu valorisé.

Prison B. Tous les surveillants me disent que travailler au quartier mineurs a été un

véritable choix et l’un d’entre eux me précisera :

« C’est quand même très spécifique chez les mineurs, il y a déjà plus de travail ce qui peut être

surprenant car il n’y a que 10 détenus alors qu’en détention « normale » ils sont en charge d’un étage adulte avec plus de 70 détenus. Il y a plus d’activités à gérer, plus de dialogue à faire. Ce qui change aussi c’est qu’on est tout le temps avec eux et quand il y a un conflit il faut se dire que le lendemain on se retrouve de nouveau en face de lui alors il faut tout gérer tout de suite et de manière différente qu’en majeurs ».

Au quartier C., à l’occasion de discussions avec des surveillants qui travaillent au quartier majeurs (par exemple en attendant qu’une grille s’ouvre, le midi autour d’un repas, au quartier disciplinaire), nous aurons eu l’occasion de constater l’autre face de cette relavorisation symbolique des surveillants qui travaillent au quartier mineurs. En effet, les surveillants des majeurs ont tendance à considérer que leurs collègues « ne sont pas de vrais surveillants », ne serait-ce que parce qu’ils portent le jogging et non l’uniforme. Ils considèrent que le quartier mineurs « n’est pas une prison », mais « un foyer », et qu’il est impossible de travailler avec ces « branleurs » qui « foutent le bordel ». L’idée que le rôle éducatif des surveillants des mineurs serait davantage prononcé que chez les majeurs constitue donc à la fois le socle de la revalorisation de leur métier par les surveillants des mineurs et le socle de leur dévalorisation par leur collègues : ce ne sont plus de « vrais » surveillants.

Lorsque nous abordons la question de leur mission en prison, les surveillants ont des réponses assez contrastées. Au quartier B., les surveillants insistent sur la nécessité d’assurer la sécurité psychique et matérielle des détenus, condition sine qua non de leur insertion future. Dans les quartiers A. et C., en revanche, c’est la sécurité de la société et l’ordre en détention qui sont mis en avant. La réinsertion n’est pas considérée comme pouvant relever de leur mission : la prison est nécessaire « pour les victimes », et ce que les détenus deviennent après la détention n’est « pas de leur ressort ».

B) Les éducateurs

Dans chacun des trois quartiers, une équipe de trois éducateurs PJJ travaille en détention. Ces derniers ont souvent fait le choix de conserver quelques mesures de suivi en milieu ouvert. Généralement, les éducateurs PJJ ont refusé de posséder les clés d’accès au quartier et les clés des cellules, estimant à la fois que cela représentait une trop grande responsabilité et qu’ils se devaient de respecter l’intimité des mineurs en les voyant en dehors de leur cellule. Chaque mineur est suivi par un éducateur spécifique. Au quartier B., lorsqu’un mineur est incarcéré à plusieurs reprises, celui-ci, généralement, ne sera pas suivi par le même éducateur. Au quartier C., il semble que ce soit plutôt l’inverse : une continuité est assurée d’une incarcération à l’autre, à condition que la relation antérieure ait été jugée suffisamment bonne.

Les discussions et entretiens informels avec les éducateurs ont montré que les raisons qui ont poussé ces éducateurs en prison étaient davantage pratiques et matérielles qu’idéologiques (la proximité du lieu de travail et du lieu de travail est souvent mise en avant). Chaque éducateur a son point de vue sur la prison. Globalement, le cœur de leur mission consiste selon eux à mettre en place des aménagements de peine, et à faire sortir les jeunes de détention. C’est au quartier C. que les éducateurs ont insisté sur ce point avec le plus de force. Là, la souffrance liée à l’enfermement peut être conçue comme un support pour motiver le jeune à accepter l’aménagement de peine. Certains développent l’idée selon laquelle l’échec des mesures et sanctions pénales dont ont été précédemment objet les jeunes sont le produit d’un « manque de motivation ». Dans ce cadre, un passage par la case prison peut amener le jeune à « réfléchir », à « gamberger », voire à « déprimer », et à produire ensuite de la motivation. La punition devient donc le

mécanisme par lequel s’effectue le travail sur la motivation. D’autres, au contraire, rejettent tout rôle constructif de la prison, sans néanmoins l’admettre devant un jeune, ce qui, expliquent-ils, ruineraient encore un peu plus « le sens de la sanction ». Tous pointent d’innombrables effets pervers de la détention (« l’école du crime », « la prison pathogène », etc.), et insistent souvent sur le fait que pour certains, elles arrive trop tard, pour d’autres trop tôt. En bref, ils remettent en cause le fonctionnement actuel du système. Malgré ces convergences, les points de vue idéologiques sur la prison restent hétérogènes, entre une culture anti-carcérale forte et l’idée que la peine de prison est trop peu mobilisée.

C) Les enseignants

Au quartier mineurs de la prison B., les professeurs de l’Éducation nationale ont fait le choix de travailler à cheval entre le quartier mineurs et le quartier majeurs. L’équipe d’enseignants est composée de professeurs travaillant à temps plein en détention et de vacataires recrutés pour assurer quelques heures de cours. Ces vacations sont régulièrement source de difficultés car elles engendrent un turn-over assez important ce qui porte atteinte à la stabilité de l’équipe. Les mineurs arrivants sont vus par un enseignant qui est chargé de faire le bilan de leur scolarisation et de leur niveau général. Cette évaluation orientera le choix de placer le mineur au sein d’un des quatre groupes de niveaux, les groupes de vie étant des groupes de niveaux scolaires comme nous le développerons infra. Chacun de ses groupes a un professeur référent.

Au quartier C., en revanche, les deux enseignants présents ne travaillent qu’au quartier mineurs. Certains mineurs suivent par ailleurs des cours avec les majeurs, les cours dispensés au quartier mineurs étant d’un niveau extrêmement basique, peu adapté à celui qui sait lire. Les enseignants ont fait le choix de ne prendre que quelques élèves par heure de cours. Ainsi, bien qu’ils soient présents trois après-midi par semaine, chaque jeune n’a l’occasion, au mieux, que d’aller une ou deux heures en cours par semaine… Nous y reviendrons plus loin.

D) Personnel soignant

L’équipe psychologique, elle, varie selon les établissements. Détaillons, pour exemple, l’équipe de la prison B. Cinq psychologues sont chargés d’intervenir au quartier mineurs, mais deux d’entre eux assurent le suivi de la majorité des mineurs. Comme les enseignants, les psychologues travaillent donc à la fois en détention majeurs et en détention mineurs. Chaque mineur est vu obligatoirement deux fois lors de son arrivée par une psychologue qui restera son référent tout au long de son incarcération et qui poursuivra le suivi à la demande du mineur. Ainsi, il n’y a pas de psychologue présent de manière permanente au quartier, ces derniers passant pour rencontrer les mineurs arrivants ou pour les rendez-vous avec des mineurs. L’absence de pédopsychiatre a été dénoncée comme un manque lors de plusieurs réunions. Les intervenants estiment en effet que la présence d’un pédopsychiatre serait nécessaire pour parvenir à une meilleure appréhension des difficultés rencontrées par certains mineurs et pour enrichir la prise en charge de ces derniers.

Dans chacun des trois quartiers, des conflits opposaient les membres du SMPR d’un côté, les éducateurs et les surveillants de l’autre. La question complexe du secret médical (et de l’éventualité de la mise en place d’un « secret partagé ») est au cœur de ce conflit. Les intervenants reprochent aux psychologues d’avoir une définition trop restrictive du secret professionnel et ainsi de ne pas assez partager d’informations sur l’état psychique des mineurs. Ainsi, les membres du SMPR ont choisi, pour préserver le secret médical, de ne pas participer aux réunions hebdomadaires au cours desquelles les différents professionnels discutent de chaque « cas ». Or, un éducateur du quartier C. dénonce : « si

un mec est cachetonné, j’aimerais bien le savoir. Pas forcément entrer dans les raisons du pourquoi, mais savoir qu’il a un traitement. Sinon, quand on voit des loques arriver, on peut très bien s’imaginer qu’ils se sont procuré de la drogue » (au quartier B., pour tenter de répondre à ces critiques, les

psychologues auraient décidé d’instaurer une réunion uniquement avec les éducateurs PJJ précédant la réunion de synthèse, mais nous n’avons pas eu l’occasion de vérifier leur instauration effective). À l’inverse, une psychologue du quartier C. tient mordicus à un secret professionnel strict. Elle nous donne l’exemple d’un jeune avec qui elle avait commencé à travailler sa problématique alcoolique. Pas assez prudente dans ses interactions avec les autres intervenants, le JAP a vent de cette problématique alcoolique,

et ordonne une injonction thérapeutique pour une durée de 24 mois, dans le cadre d’un aménagement de peine. Du coup, la psychologue perd la trace du jeune, et son suivi, qu’elle jugeait efficace, est rompu. Elle regrette amèrement que le JAP ne se soit pas focalisé uniquement sur les questions d’hébergement et de formation, et que le patient ait continuer librement, c’est-à-dire hors cadre judiciaire, en détention puis dehors, la lutte contre son addiction.

Cette position ne fait pas consensus. D’autres psychologues pensent au contraire qu’il est important de rompre partiellement le secret professionnel, afin de donner des outils aux autres intervenants (éducateurs mais également surveillants) pour interpréter et donner sens à des comportements problématiques en détention. Une psychologue explique :

« Au nom du SMPR, on est forcément lié par le secret et donc on doit rien dire des entretiens ok ?

Bon ce qui est normal. Mais en mon nom propre, j’estime qu’on peut pas considérer le patient, enfin la personne qu’on voit, en disant : "je suis le soin, je m’occupe du soin et le reste je m’en fous", ça c’est pas possible. Parce qu’une personne c’est différentes facettes d’accord ? Donc moi je le dis quand je m’occupe de quelqu’un, je m’occupe aussi de savoir qu’est-ce qu'y va faire après, c’est quoi son projet, voilà. Sinon, j’ai

l’impression sinon de couper la personne en deux enfin… Et puis de toute façon aussi ça permet de

situer la personne où c’est qu’elle en est, également, dans sa tête et enfin voilà. Et donc pour ça, c’est important pour moi en tout cas que je travaille avec la PJJ, simplement déjà pour savoir eux ce qu’ils projettent, qu’est-ce qu’ils ont comme projet, et pour voir si ça tient la route. Parce que si je trouve que je sais pas c’est

peut-être un peu décalé, je trouve ça important de pouvoir échanger et de savoir. Bon

ceci étant, je vous l’ai dit tout à l’heure, je partage même en mon nom propre, le fait de rien dire de ce qui se dit en entretien. Mais par contre, par rapport à la pathologie ou par rapport au fait que ben non tiens on a ça comme idée de projet et de sortie pour le gamin, si ça me semble pas adapté, ben moi j’aurais tendance à dire ben non c’est peut-être pas… Donc je les rencontre régulièrement ouais. Mais mes collègues non… Parce que mes collègues, ce qui revient toujours, c’est "on nous demande toujours cela, et nous donc on doit rien dire, donc on va rien dire". Je pense qu’il y a une très grande frilosité, moi je suis pas d’accord avec ça. C’est déjà arrivé, qu’il y a des patients qui sont une maladie, enfin une pathologie assez lourde, parce que c’est déjà arrivé, ben moi je trouve ça dramatique de pas en référer parce que le gamin avec sa pathologie peut être dans le passage à

l’acte, mais c’est sa pathologie, vous voyez ? Je trouve ça dommageable pour le patient de ne

rien dire parce que c’est lui qui va prendre au final, c’est lui qui va se retrouver au

quartier disciplinaire » (Michèle, psychologue).

D’autres dénoncent un trop grand cloisonnement, dû au secret médical, qui entraînerait des situations absurdes, comme le montage simultané d’un projet de soin côté SMPR, et le montage d’un placement en FAE de l’autre. D’autres défendent le principe du secret médical au nom du fait que le SMPR n’a pas à prendre en charge la gestion de la détention. Ainsi, une psychologue nous explique que si les surveillants viennent demander si untel ou untel peut rester seul en cellule, ou s’il doit être doublé par mesure d’anticipation d’un risque suicidaire, cette démarche résulte presque toujours d’un souci

de protection professionnelle qui viserait à se décharger de la responsabilité du risque que représente un jeune en danger, prêt à commettre un acte suicidaire. Accepter, sous la pression d’un surveillant, de doubler un jeune reviendrait donc à avaliser une structure sécuritaire qui crée de la détresse. Il s’agit donc certes de doubler les jeunes lorsqu’ils sont en danger, mais selon son point de vue propre de professionnel du soin, et non selon le point de vue sécuritaire des surveillants.

E) Des réunions diverses

D’une manière générale, trois réunions donnent l’occasion aux différents intervenants de débattre de la situation des mineurs et de construire un travail d’équipe.

La réunion de synthèse est hebdomadaire. Selon les quartiers, la présence à ces réunions est plus ou moins massive. Au quartier B., éducateurs, surveillants (souvent représentés par le premier surveillant), enseignants, psychologues, directeurs (directrice du quartier mineur et chef du bâtiment), et aumônier sont présents. Au quartier C., par contre, parfois seuls un ou deux surveillants et un ou deux éducateurs sont là. Ces réunions consistent d’une part à évoquer la « vie en détention » c'est-à-dire les éventuels incidents qui se sont produits au cours de la semaine, les tensions entre les mineurs, et d’autre part à exposer la situation des mineurs arrivants et de ceux qui semblent poser des difficultés. Les discussions portent alors aussi bien sur l’histoire et la situation familiale, déviante et judiciaire du mineur, que sur ses perspectives d’avenir. Ces éléments sont bien souvent présentés par l’éducateur et chaque professionnel, depuis son point de vue (les surveillants se cantonnant logiquement à décrire le comportement du jeune en détention) y ajoute ses observations.

En pratique (nous avons pu observer différentes réunions de ce type dans chacun des trois quartiers), la fonction centrale de ce type de réunion, est d’opérer une sorte de profilage psychologique des jeunes ; il s’agit, plus précisément, d’évaluer collectivement la capacité du jeune à supporter l’enfermement. Au quartier C., par exemple, il nous a semblé que cette dimension était essentielle car elle permettait d’appréhender la nature de

l’ordre en détention. L’ordre en détention consiste à anticiper et gérer les désordres induits

par la détresse et la souffrance inhérentes à la détention. En d’autres termes, la gestion de la détention est un art de gérer les pressions psychologiques individuelles dans un univers

pathogène et anxiogène. Les professionnels cherchent alors à catégoriser le profil psychologique du jeune. « Celui-là, c’est quelqu’un qui tient la route, mais si il craque, il craque ! », un autre « a des hauts et des bas, et ça sera toujours comme ça » ; pour tel jeune, il faut « repérer sa

date du procès, parce que ça va être chaud », et celui-ci, « s’en sort très bien au QD (quartier

disciplinaire) » ; tel autre a « besoin d’un soutien qui ne soit pas uniquement des entretiens PJJ, il a

besoin d’aller au SMPR »…

Les réflexions sur les « cas » intègrent l’ensemble de la trajectoire carcérale du jeune : « celui-là, maintenant, il connaît tout le monde, ça lui fait plus rien de venir », ou au contraire « il

supporte de moins en moins l’enfermement, à chaque fois, c’est pire ». Elle s’intègrent à une réflexion

sur l’ordre global du quartier, notamment lorsque le doublement est jugé nécessaire (par les surveillants ou par le SMPR. Au quartier C., nous avons alors observé une série de dilemmes relatifs au choix du codétenu : il ne faut pas qu’ils se battent, il ne faut pas qu’ils soient en procédure criminelle, il ne faut pas que l’un domine l’autre, il faut gérer le racisme entre les jeunes (« je veux pas être avec un Arabe »)… Dans cette réunion, la notion de réinsertion ou de préparation à la sortie est totalement inexistante, il s’agit de trouver le moyen de « faire tenir le coup » au jeune.

La réunion de suivi a lieu une fois par mois (un lundi ou un mardi selon les

quartiers) et réunit théoriquement les intervenants du quartier mineur, les éducateurs extérieurs des mineurs, éventuellement le directeur du CAE auquel sont attachés les éducateurs intervenants au quartier, et éventuellement un juge des enfants. En pratique, la participation à ces réunions est très variable, et il arrive que l’assemblée soit à peine plus grosse que lors des réunions hebdomadaires. Les réunions s’efforcent de construire une continuité dans la prise en charge entre dedans et dehors et d’optimiser celle-ci, le juge des enfants fournissant des données sur les mesures juridiques adaptées à la situation des mineurs. Au quartier B., Le juge des enfants chargé des dossiers de certains mineurs incarcérés dans ce quartier, obtint au cours de ces réunions, des informations sur le comportement du mineur en détention, sur ses éventuelles évolutions, données qu’il mobilisera lors du prononcé de la peine (pour les mineurs prévenus). Lors des discussions informelles qui suivaient ces réunions, les surveillants nous ont fait plus d’une fois part de l’inutilité de leur présence à ce type de réunion : on y « rabâche » le parcours du jeune, mais ce parcours concernerait globalement peu le surveillant. Surtout, disent-ils, les activités du jeune à l’extérieur ne déterminent pas son comportement à l’intérieur : un

jeune peut être considéré comme dangereux et incontrôlable à l’extérieur, alors qu’au sein de la détention il sera considéré par tous comme un détenu modèle.

Les intervenants du quartier mineur se réunissent deux fois par an avec le directeur de la maison d’arrêt, les juges des enfants, un procureur, des avocats, les éducateurs du SEAT, la direction départementale de la PJJ, le SPIP… pour la commission d’incarcération. Cette dernière permet de discuter des activités au sein du quartier