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Stratégies thérapeutiques de neutralisation des dérivés hépariniques

CHAPITRE 2 : LES ANTICOAGULANTS HEPARINIQUES

C. Effets secondaires des dérivés hépariniques

3) Stratégies thérapeutiques de neutralisation des dérivés hépariniques

Le risque hémorragique inévitable des dérivés hépariniques est dû à la variabilité des concentrations plasmatiques (pharmacocinétique peu prévisible de l’HNF) et à une accumulation des HBPMs et du fondaparinux chez les personnes présentant une atteinte rénale. Dans une situation de surdosage, un seul antidote efficace vis-à-vis de l’HNF existe, le sulfate de protamine. Cet antidote n’est que partiellement efficace pour reverser l’activité anticoagulante des HBPMs et complètement inefficace vis-à-vis du fondaparinux. La disponibilité du sulfate de protamine comme antidote à l’HNF a permis son utilisation dans l’anticoagulation de circuits de circulation extracorporelle (CEC) au cours de chirurgie cardiaque qui nécessite des concentrations d’HNF supra thérapeutiques.

a) Le sulfate de protamine

La protamine est un polypeptide d’une trentaine d’acides aminés, riche en arginines et en résidus basiques (Fig-11). Dérivée du sperme de saumon, elle possède un rôle dans la décondensation de la chromatine du spermatozoïde mature (125). La protamine peut

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neutraliser les charges anioniques des chaines d’héparine, grâce à des interactions électrostatiques entre les extrémités basiques de ses arginines et les groupements carboxylates et sulfates de l’héparine. La protamine ne neutralise que partiellement les HBPMs. Cette moindre efficacité serait due à la longueur des chaines mais aussi au degré de O- et N-sulfatation après les différents traitements de dépolymérisation utilisés pour la préparation des HBPMs (126).

Figure 11 : Structure primaire et secondaire de la protamine. En présence de l’héparine, elle

forme un complexe par interactions ioniques (127)

Cependant, le sulfate de protamine présente de nombreux effets indésirables. Ainsi, cette molécule possède un effet anticoagulant propre induisant un risque hémorragique en cas d’administration en excès par rapport à la quantité d’héparine à neutraliser. Son effet anticoagulant résulte de plusieurs mécanismes, notamment l’inhibition de l’initiation de la coagulation par le FT, l’inhibition spécifique de l’activation du FV (128), mais également l’interaction directe avec le FXa (129) et la thrombine (130), ou l’inhibition de l’activation des plaquettes (131). De plus, la protamine possède une demi-vie très courte (5 min) comparativement à celle de l’héparine (> 30 minutes). Il existe donc un risque d’effet rebond lié à une élimination plus rapide de la protamine que de l’héparine.

D’autre part, elle possède des effets indésirables graves connus depuis plus de 70 ans. En effet, l’administration de la protamine en IV est connue comme pouvant induire une hypotension systémique et un choc cardiogénique. Elle peut aussi entrainer de graves complications comme une défaillance ventriculaire cardiaque à la suite d’une hypertension pulmonaire (132). Il est recommandé une administration très lente (< 5mg/min) pour éviter un certains nombres d’effets indésirables (133). De plus, la protamine est à l’origine de phénomènes allergiques et de chocs anaphylactiques (incidence de 0.69%) (134).

PROTAMINE

+ HEPARINE

COMPLEXE HEPARINE- PROTAMINE

42 b) Les facteurs procoagulants

L’absence d’antidote vis-à-vis du fondaparinux a poussé l’évaluation des facteurs procoagulants, comme le facteur VII recombinant activé (rFVIIa), le concentré de complexe prothrombique (CCP) et le complexe prothrombique activé (CCPa), pour reverser son activité anticoagulante in vitro et in vivo (135,136). Le FVIIa recombinant (rFVIIa, Novoseven), utilisé dans le traitement des hémophiles allo-immunisés, a été reporté comme étant efficace pour reverser l’activité anticoagulante du fondaparinux chez des sujets sains (137) et dans des études de cas de situations hémorragiques dues au fondaparinux (138,139). En ce qui concerne les HBPMs, l’évaluation in vivo du rFVIIa pour reverser l’activité anticoagulante des HBPMs semblent montrer des résultats contradictoires (140,141), même si son utilisation chez 6 patients présentant une hémorragie sévère a montré son efficacité (142). Cette utilisation du rFVIIa reste un dernier recours en cas d’hémorragie sévère et son utilisation reste alors hors-AMM (143).

Le CCPa composé des facteurs procoagulants (FII, FX, FIX et FVII) activés et non activés, principalement utilisé dans le traitement de l’hémophilie (FEIBA : factor VIII inhibitor bypass activity), induit une correction du temps de saignement et de la génération de thrombine chez des rats traités sous fondaparinux (136). Le CCP, composé uniquement de facteurs procoagulants non activés (FII, FX, FIX et FVII), réduirait les hémorragies hépatospléniques causées par le fondaparinux chez le lapin (144). Cependant, aucune donnée sur l’utilisation du CCP ou du CCPa dans un contexte de surdosage de fondaparinux chez l’homme n’est disponible. L’utilisation de tous ces agents hémostatiques chez des patients souffrant de thromboses veineuses ou artérielles présente cependant un risque de complications prothrombotiques, comme cela a déjà été démontré dans d’autres indications (145). Ce risque constitue une limitation majeure à leur emploi pour reverser une hémorragie liée au fondaparinux.

c) Différentes stratégies alternatives proposées pour neutraliser les anticoagulants hépariniques

De nombreuses approches (polymères cationiques, peptides …) ont été évaluées in

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toutes une efficacité limitée ou une grande toxicité (146,147). Récemment, une nouvelle stratégie a utilisé des polymères synthétiques sous forme dendritique, assemblant plusieurs groupements ammonium quaternaires cationiques de manière à lier spécifiquement l’héparine. Une optimisation de la longueur des chaines de ces polymères a permis d’obtenir une efficacité capable de reverser l’activité anticoagulante des trois dérivés hépariniques in vivo et

in vitro, tout en minimisant le risque toxique par rapport à la protamine (148). Ces polymères

n’ont par contre pas encore été évalués en clinique.

L’arrivée des AODs a créé un réel besoin de développer des antidotes. Actuellement, deux molécules capables de neutraliser les AODs et les dérivés hépariniques sont en cours de développement clinique. L’aripazine (PER977/ciraparantag/Perosphere Inc., US) est une petite molécule synthétique cationique, composée principalement de deux L-arginine reliées par un noyau piperazine. Elle est capable de lier de façon non covalente les anticoagulants inhibiteurs directs du FXa, l’inhibiteur direct de la thrombine (Dabigatran), ainsi que les HBPMs et le fondaparinux, tout en neutralisant leur activité anticoagulante (149,150). Même si son mécanisme d’action reste cependant incompris, un essai clinique de phase III est prévu prochainement.

La seconde approche a consisté à développer une protéine recombinante, L’Andexanet alfa (PRT064445 ou PRT4445/Portola Pharmaceuticals Inc., US). Il s’agit d’un FXa dépourvu d’activité procoagulante, mais qui conserve sa capacité à lier les inhibiteurs directs du FXa et des complexes AT-dérivé héparinique. Ce FXa inactif est dépourvu de domaine Gla pour éviter sa liaison aux plaquettes et sa compétition avec le FXa endogène au sein du complexe prothrombinase. En gardant sa capacité de lier l’AT et le complexe AT-dérivé héparinique, il peut rentrer en compétition avec le FXa endogène et neutraliser l’activité anti-FXa du fondaparinux et des HBPMs, mais ne peut par contre pas reverser l’activité anti-FIIa de ces dernières. Cet antidote a montré une totale efficacité vis-à-vis des inhibiteurs directs du FXa in vivo et du fondaparinux, mais il ne neutralise que partiellement l’activité anticoagulante de l’enoxaparine (151). L’Andexanet a été évalué en phase I et dans plusieurs essais de phase IIsur des volontaires sains et a montré son efficacité pour neutraliser l’activité anticoagulante des différents inhibiteurs du FXa (152). Actuellement, il est évalué en phase III chez les patients présentant une hémorragie majeure causée par les inhibiteurs du FXa (NCT02329327).

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