• Aucun résultat trouvé

Partie 3 Analyse et interprétation des résultats

3. Les limites de ce modèle

1.2. Stratégies identitaires

Kastersztein (1990, p.28) définit l’identité comme « une structure polymorphe, dynamique, dont les éléments constitutifs sont les aspects psychologiques et sociaux en rapport à la situation relationnelle à un moment donné, d’un agent social comme acteur social. » L’identité est donc structurée, multiple et évolutive, et permet à l’individu de s’adapter et de se définir dans des situations d’interactions changeantes. Bien que ses différentes composantes ne soient pas séparées mais au contraire interdépendantes, l’identité peut se définir en termes :

- d’identité personnelle : elle renvoie à la conscience de soi comme individualité singulière,

douée d’une certaine cohérence et d’une certaine unicité. (Lipiansky, 1992). Selon Tap, l’identité personnelle comporte six caractéristiques : la conscience et le besoin de continuité, la cohérence, l’unicité, la diversité, la réalisation de soi par l’action et l’estime de soi.

- d’identité sociale : elle est fondée sur le sentiment d’appartenance à certains groupes

sociaux ou idéologiques et Tajfel (1978) met en avant les significations émotionnelles et idéologiques qu’impliquent ces appartenances. Cette identité se définit en termes d’appartenance, de comparaison et de discriminations intergroupes et a pour objectif d’avoir une identité sociale positive.

- d’identité linguistique : les langues ou l’accent permettent de marquer une appartenance,

une origine et constituent « un marqueur social » (Billiez, 1985) 1.2.2. L’identité à l’épreuve de la migration

Pour Calin (2016), « l’émigration met inéluctablement en cause les sentiments

sociaux d’appartenance, et partant de là le sentiment d’identité. » L’identité, dans sa

dimension sociale et personnelle est fortement remise en cause par le changement de l’environnement socioculturel et l’absence de repères dans la société d’accueil. La migration met à mal la cohérence et la continuité de l’identité et rend difficile l’adaptation à ce nouvel environnement. Dans ce contexte, les migrants doivent changer rapidement de références et adopter des comportements conformes au fonctionnement de la société d’accueil.

Selon Camilleri (1990), le migrant vit de façon conflictuelle le contact entre sa culture d’origine et celle du pays d’accueil et se trouve dans une situation de morcellement culturel et social. Il est donc confronté à deux bouleversements importants :

- l’atteinte à son image de soi. Les regards portés sur les migrants dans le pays d’accueil leur assignent des identités nouvelles, le plus souvent négatives (Taboada-Léonetti, 1990) et cette identité « prescrite » remet en cause de façon plus ou moins forte, l’image de soi de la personne. (Taboada-Léonetti & Carmilleri, 1990).

- l’atteinte à son équilibre, à son « unité de sens ». L’individu ne peut plus à partir des représentations et des valeurs auxquelles il s’identifie, c’est-à-dire ce qui définit son identité d’origine, s’accorder et agir sur son nouvel environnement. Camilleri (1990) définit « l’unité de sens » comme la cohérence entre :

- la fonction ontologique, relative à l’enculturation, elle permet l’aménagement permanent des différences et des oppositions en une structure perçue comme non contradictoire et le maintien la continuité de l’identité.

- la fonction pragmatique qui permet de s’adapter à l’environnement.

L’individu devra mettre en place des stratégies afin de restaurer ces atteintes et gérer les contradictions entre les deux systèmes.

1.2.3. Les différentes stratégies identitaires

La notion de stratégie identitaire puisse sa source dans les travaux de Tajfel sur l’identité sociale et part du principe que tout individu a besoin de développer une estime de soi positive à travers son appartenance à des groupes sociaux. Le migrant devra donc développer une stratégie afin de rétablir l’estime de soi et son unité de sens. La gestion de l’identité, au moyen de stratégies, peut servir l’intégration psychosociale de la personne. Camilleri a élaboré une typologie des différentes stratégies identitaires :

- stratégie d’évitement des conflits par la cohérence simple : selon les situations,

l’individu valorise la fonction ontologique ( il utilise les codes de sa culture d’origine) ou la fonction pragmatique (il montre sa volonté d’adaptation à l’environnement)

- stratégie d’évitement des conflits par cohérence complexe : l’individu utilise et articule

les deux systèmes culturels en présence selon sa propre interprétation.

- stratégie de modération de conflits : le conflit entre les cultures s’est installé et l’individu

cherche à le modérer.

Ce tableau (tableau 2) présenté par Dasen & Ogay met en perspective les différentes stratégies conceptualisées par Camilleri (1990), en fonction des objectifs que chaque individu poursuit. Ce modèle n’est pas unique et d’autres auteurs comme Katersztein ont également conceptualisé les différentes stratégies identitaires. Au-delà des différentes typologies, la quête de reconnaissance et la défense de l’identité vont entraîner tantôt des stratégies d’assimilation, dans lesquelles l’individu recherchera conformité et similitude par rapport à la société d’accueil, tantôt des stratégies de différenciation, dans lesquelles il cherche au contraire à se distinguer des autres et à affirmer sa différence. (Lipiansky, 1992, p.219). Tout comme la construction de l’identité, les choix de stratégies peuvent être évolutifs et l’individu peut être pris dans une ambivalence et avoir à la fois l’objectif de se différencier et de conformer.

Tableau 2 : typologie des stratégies selon Camilleri rapporté par Dasen & Ogen (2000, p.58)

1.3. Synthèse

Selon Ogay et Dasen, les théories sur l’identité en contexte migratoire sont essentiellement fondées sur ces deux concepts : d’un côté celui d’acculturation, conceptualisé en milieu anglophone et multiculturel et de l’autre celui des stratégies identitaires, inscrit dans un courant francophone. Berry parle d’acculturation au même titre que Camilleri parle de stratégies identitaires. Ces deux approches sont multidimensionnelles et rejettent l’idée simpliste de « de situer les individus sur une seule dimension à mi-chemin

entre deux pôles culturels », se concentrent sur les individus et leurs stratégies et prennent « en considération des facteurs qui échappent à l’individu tout en influençant ou limitant ses efforts (contextes sociaux) » (Berry, 2000, p.89)

La différence entre ces deux concepts, au-delà du pays et du contexte, est marquée par la tonalité de l’approche. Contrairement à Berry qui a une vision plus optimiste des contacts de cultures, Camilleri part du postulat qu’en situation d’acculturation, l’individu

subit une dévalorisation due aux stéréotypes et préjugés négatifs. Dasen & Ogay (2000, p 68) se demandent du coup si cette théorie est généralisable à toutes les sociétés d’accueil et à tous les migrants et si elle ne risque pas de nous éloigner de cadres théoriques plus généraux comme celui de Berry. Pour ces auteurs, la théorie des stratégies identitaires devrait prendre en compte la variabilité des contextes des sociétés d’accueil.

« En laissant ouverte la possibilité (même largement fictive et idéaliste) pour la

société d’accueil de ne pas nécessairement dévaloriser les migrants, on signifierait d’autre part que le migrant n’est pas le seul à porter la responsabilité de son acculturation et du choix des stratégies les plus positives. »