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Partie 3 Analyse et interprétation des résultats

2. La perte de l’estime de soi

2.1. L’absence de reconnaissance sociale

La valeur de la personne et son identité sont donc mises en doute dans le contexte des interactions entre indigènes et migrants, et elles entrainent un risque de non- reconnaissance des qualités et des capacités de la personne migrante. Cette situation engendre des sentiments négatifs, comme le soulignent de nombreux informateurs :

SZ : « J’ai une honte pour parler français. Je sens que c’est quelqu’un d’autre qui parle quand je parle français, c’est pas moi. »

LJ : «Je suis stressée, en colère, j’arrive pas à comprendre bien. »

AM : « Ça me gêne, il m’arrive même de me taire. Des fois si je parle des mots, ça me coupe, ça m’arrive d’être dingue… ça m’énerve. »

MS : « Parce que de faire erreur devant un public c’est un peu honteux… Si c’est une seule faute, ça ça arrive à tout le monde, mais quatre, cinq, ça c’est pas , ça c’est défaut »

La honte et la colère ressenties vont alors agir négativement sur l’estime de soi et le sentiment d’être relié socialement. La reconnaissance sociale étant un besoin primaire, certains vont mettre en place des stratégies afin de compenser cette perte et leur permettre un semblant de relations. SK dans son témoignage livre ses difficultés face à la honte qu’il ressent :

« J’aime pas parler parce que je n’aime pas m’arrêter en étant devant vous, comme ça, parce que là je sais que je commets beaucoup de erreurs en parlant. Vous voyez mes erreurs, moi ça me touche….j’ai la honte, j’ai la honte devant vous. […] Je fais semblant que j’ai compris mais c’est difficile pour moi »

Ce n’est pas seulement de la langue dont il s’agit ici mais bien de son identité, car la non- fluidité de la langue a des répercussions sur son identité personnelle.et pour combler son besoin d’appartenance, se sentir accepter et garder la face, SK camoufle ses difficultés. Face au sentiment de honte ou de colère, les réactions peuvent varier selon les individus, mais parmi ceux que j’ai rencontrés les stratégies mises en places semblent tournées vers la recherche de conformité et de similitudes avec les membres du pays d’accueil. Les besoins de reconnaissance et d’appartenance sont tels que toutes formes de conflit et d’affirmations identitaires tentent d’être évitées. Lorsque BF évoque ce problème, il choisit à chaque fois de s’effacer et de se taire, que ce soit avec ses amis ou un professeur:

« Des fois quand je dis des mots [les copains] il comprend pas le mot, il se moque de moi. Ça me dérange mais je me dis que c’est normal. »

« Des fois il [le professeur] me dit «tu comprends rien », j’ai la haine, j’ai les nerfs, après c’est passé. »

SZ parle elle de mépris et n’ose pas exprimer en français son ressenti face à ses interlocuteurs, mais préfère utiliser l’anglais pour ne pas se montrer affectée par la situation :

« Je sens que les gens me méprisent quand je suis inférieure parce que je parle pas bien le français[…] je dis en anglais même s’il comprend pas, je ne suis pas stupide même si je peux pas parle français. »

Dans ces différentes situations, le déficit de reconnaissance ne peut qu’engendrer une perte de l’estime de soi et une difficulté, voire une impossibilité à s’intégrer. L’absence de prise en compte des différences et des contraintes imposées par le fait de s’exprimer dans plusieurs langues nie les spécificités et l’identité de ces personnes et n’apporte pas le respect nécessaire à la construction de soi. Même si les difficultés ressemblent initialement à des problèmes linguistiques ils sont ressentis comme une forme de discrimination et de manque de considération par ces personnes. La langue ne remplit plus ici sa fonction intégratrice mais devient prétexte à l’exclusion. Par exemple, AB qui est capable de s’exprimer correctement en français aujourd’hui, alors qu’il ne connaissait que peu cette langue en arrivant en France deux ans auparavant, se demande s’il peut être content de lui. Il doute de lui et de ses capacités car son français porte la marque et l’accent de ses origines africaines :

« Je suis pas sûr [d’être content] parce que accent, il y a beaucoup d’accent »

Quel niveau de langage sera nécessaire pour lui permettre de développer une identité sociale positive, sachant que sa couleur de peau portera toujours son identité et son appartenance ethnique ?

2.2. L’absence de droits

L’absence de droits, notamment au travail, que j’ai déjà évoqué dans le chapitre 2 de la troisième partie, va également renforcer ce manque de reconnaissance. En effet, les migrants selon leur statut, n’ont pas tous les mêmes droits entre eux et avec les membres de la société d’accueil. Face à cette différence de droits, les individus ne peuvent se sentir socialement reconnus comme membres de la société. BC et KA, respectivement en France depuis cinq ans et sept ans, ou encore CV regrettent cette situation :

BC : « Les lois elle est pour les asiles politiques comme ça, comme nous, t’as pas le droit de travailler, t’as pas beaucoup d’argent… t’as difficultés à vivre »

KA : « Je manque juste les papiers. Si je gagnais ça, après tout j’ai pas besoin rien. Juste ça, un travail »

Tous les trois affirment qu’il ne leur manque que le droit au travail pour se sentir bien en France et qu’ils préfèreraient travailler et gagner de l’argent plutôt que de vivre grâce à l’aide d’associations. L’exclusion de ce droit représente pour eux une forme de mépris et ne leur permet pas d’acquérir leur autonomie et de s’intégrer pleinement. Ils ne sont pas les seuls

dans ce cas et plusieurs personnes, même de façon illégale, cherchent à travailler pour gagner de l’argent et être plus autonomes, mais aussi pour établir des contacts et se sentir mieux intégrés. L’attente de régularisation pendant plusieurs années ne peut favoriser l’intégration et le sentiment d’appartenance. CV évoque avec humour ses journées qu’elle passe à faire le ménage puisqu’elle ne peut légalement travailler :

« [la vie serait plus facile avec] des papiers légal et on me donne la permission pour travailler […] Je peux faire dans la maison, c’est pas évident. Normalement c’est tous les jours nettoyer, nettoyer, nettoyer…et je travaille depuis des années. »