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Partie 3 Analyse et interprétation des résultats

2. Se sociabiliser et s’intégrer

2.2. Accéder aux ressources humaines

Les liens sociaux sont modifiés et affaiblis par la migration et certains bénévoles d’associations, par leur présence apportent de l’aide et du contact auprès des migrants. Ils leur apportent soutien social et ressources humaines. Il s’agit souvent des premiers contacts avec les membres de la société d’accueil et ils permettent d’apporter de la sécurité et de la confiance. Plusieurs informateurs soulignent cet aspect dans la relation d’aide :

SK : « Quand vous expliquez j’arrive à comprendre, sinon je sais pas. » BM : « Avec M. au début c’était dur, maintenant j’ai confiance, j’arrive »

BC : « C’est difficile, t’as difficultés quand t’as personne. Même si l’état il est bien organisé, ici il y a des choses, il appelle les gens pour t’aider. »

Ces soutiens favorisent la reconnaissance de la valeur personnelle et permettent aux différents acteurs d’oser parler davantage. Par exemple, BM parle français avec M.28 en qui

elle a confiance, alors qu’avec moi cela n’a été que quelques phrases en français une fois l’interview terminé (il a été mené en turc). Ce soutien est vraiment nécessaire, car il permet d’établir des relations de confiance avec de nouvelles personnes, issues du nouvel environnement, et permet ainsi d’enclencher le processus d’intégration

Les cours de français deviennent alors le lieu d’échanges et vont plus loin que le simple apprentissage de la langue, car ils permettent également d’aborder en confiance le fonctionnement de la société d’accueil et de s’y adapter au mieux. Même si les motivations pour suivre des cours de français peuvent être variées et multiples (apprentissage de la langue, attestation de formation afin d’acquérir la régularisation pour certains, besoin de contacts…), la participation à ces cours constitue une ouverture sociale qui permet d’apporter sur le plan pratique des connaissances utiles et de développer sur le plan émotionnel confiance et estime de soi, ce que confirme SZ dans ses propos :

«J’ai trouvé de très fantastiques professeurs, J. et aussi une autre personne dans la maison des associations.[…] Il prend du temps, parce que je croire c’est une question de confiance en soi-même peut-être. »

Ces ressources humaines vont donc faciliter la socialisation et l’intégration des migrants, mais il est difficile d’évaluer quel est le poids de l’apprentissage linguistique par rapport à celui de la reconnaissance et la confiance dans ce processus. Les deux semblent intimement liés et l’un ne peut aller sans l’autre, ni l’un précéder l’autre. Ce sont deux paramètres indissociables, deux facettes du même processus.

Chapitre 3. Le manque de reconnaissance : un frein à l’intégration

Dans les témoignages que j’ai recueillis, j’ai été frappée par les propos de nombreux informateurs concernant les sentiments de honte, de dévalorisation et d’absence de reconnaissance. Ces paroles m’ont d’autant plus interpellée que je ne m’y attendais pas, et l’expression de ces sentiments m’a semblé un point important à prendre en compte dans le processus d’intégration. Ces données ne sont ni palpables ni mesurables mais comme le précise Honneth, cette reconnaissance est « la condition nécessaire de toute socialisation

humaine. » (2000, p.82).

La langue, facteur essentiel et indispensable de la communication dans la région d’installation, joue un rôle important, mais elle ne peut à elle-seule répondre à ce besoin vital. Au fil de la partie analyse du mémoire, j’ai évoqué à différentes reprises la notion théorique de reconnaissance, afin de situer la maitrise linguistique à sa juste place dans les difficultés rencontrées. Après avoir mis en évidence l’importance de cette maitrise, je développe dans ce chapitre la difficulté d’intégration liée au manque de reconnaissance.

1. La peur du jugement

L’intégration linguistique est censée favoriser la constitution de l’identité collective et l’intégration, mais la langue devient dans certaines situations la cause du sentiment d’exclusion. Plusieurs informateurs évoquent leurs difficultés linguistiques et leurs sentiments à leurs égards :

BF : « J’ai peur que je parle mal, de faire des fautes. C’est terrible de faire des fautes. » KB : «Peur de parler parce que parle pas, pas beaucoup, pas bien »

CV : « Si normalement j’ai peur de parler de mauvaise façon, je n’arrive, je n’arrive pas à… je n'arrive à rien à parler.. »

SZ : « S’ils [les gens] me jugent, je ne peux pas parle un mot, je balbutie… je crois la langue très émotionnel. »

Pour ces personnes, la peur de s’exprimer en français est liée à la peur du jugement de la part d’autrui. Bien qu’elles soient capables de s’exprimer et de se faire comprendre, ce sentiment reste très fort et révèle qu’elles ne se sentent pas légitimes au sein de la société. La langue est un des supports de l’identité et ce sentiment d’être jugé ne peut être uniquement lié à la langue, car toucher à l’un c’est toucher à l’autre. Ces personnes considèrent leur niveau de français insuffisant et ce ressenti impacte négativement leur sentiment d’appartenance. Cette peur n’incite pas à rechercher des contacts hors de la communauté

d’origine, mais à rester entre soi, dans le groupe d’appartenance d’origine. Cette peur du jugement va limiter les contacts avec les membres de la société d’accueil, ne donner au français qu’une fonction instrumentale et conforter cette langue dans son statut de « langue de l’autre ».

Dans les représentations présentes aussi bien dans la population migrante que dans celles des membres de la société française, intégration rime avec maitrise linguistique, et ne pas maitriser parfaitement cette dernière peut être perçu comme une volonté de non- intégration. CM s’excuse même de ne pas parfaitement maitriser le français et d’avoir besoin d’aide alors qu’elle affirme s’être intégrée à la société française :

« Des fois si j’ai problème, j’ai besoin d’aide … mais c’est pas bien compter, j’ai désolée.[…] J’ai bien parlé français déjà, j’ai adapté en France, en français c’est pas facile.»

Elle montre à travers son témoignage qu’elle se sent prise en défaut, et qu’elle doit prouver qu’elle cherche à s’intégrer malgré ses difficultés linguistiques. CM aimerait pouvoir être autonome et ne pas à avoir à compter sur les autres. CV exprime une idée similaire lorsqu’elle juge certaines personnes à partir de leurs capacités en français, comme si le niveau de maitrise permettait de mesurer le degré de motivation et d’intégration :

« Je regarde que beaucoup de gens ils restent ici depuis quatre ans, cinq ans… et la façon de parler c’est moins, il parlent vraiment très mal […] y a plein de personnes qui vivre ici et qui .. comment on dit... s’est pas intégrées à la société, à la façon de parler… »

En France, la diversité linguistique n’est pas vraiment acceptée, l’idéal monolingue reste historiquement très présent. La langue symbolise l’appartenance à la société et la parler sans accent étranger et dans sa forme standard est perçu comme une forme de loyauté envers la société d’accueil. Les marques d’étrangeté (accent, tournures de phrases…), indépendamment du niveau de maitrise, peuvent engendrer une peur du jugement et un sentiment de manque de légitimité. Ces sentiments négatifs risquent alors d’entrainer des difficultés relationnelles, un manque de confiance et de reconnaissance sociale, et va chez certaines personnes susciter des sentiments négatifs comme la honte ou la colère.