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Représentations et fonctions des langues chez les représentants des pays non francophones

Partie 3 Analyse et interprétation des résultats

2. Représentation et fonctions des langues selon les différents acteurs

2.2. Représentations et fonctions des langues chez les représentants des pays non francophones

2.2.1. Le français

Plus qu’un « marqueur d’identité », le français revêt pour ces acteurs un caractère obligatoire, une nécessité pour s’intégrer, et plusieurs soulignent ce fait : « le français c’est obligé» (BC), « je dois parler français »(SZ), « C’est vrai que je veux [faire des progrès en français], je veux et je dois »(CV), « Nous, on s’est obligé à parler français. »(KA). Le français est vraiment considérée comme « un instrument d’insertion » (Trimaille, 2015) dans les réseaux autres que ceux de la communauté d’origine. Il permet comme nous le verrons plus loin, l’accès à différents droits et ressources, et représente pour ces acteurs une des clés de leur intégration dans la société française.

BM : « Apprendre le français c’est obligatoire parce que je pense vivre en France… je veux m’intégrer et continuer mes études. »

Dans le cas des familles dont les enfants sont scolarisés en France, ceux-ci jouent un rôle central dans le processus d’acculturation et le contact entre les langues d’origine et la langue du pays d’accueil. Très vite ils parlent mieux français que leurs parents, s’intègrent au sein de l’école et influencent la politique linguistique familiale. BF souligne ce fait :

« Ma mère elle m’a appris à parler français […] maintenant je parle mieux qu’elle. Ma mère elle sait parler, elle dit pas tout le temps « je, tu , il comme ça… », elle dit « manger ». Elle dit pas je. »

La maitrise du français par les enfants est aussi source de fierté pour les parents et devient un symbole de réussite par rapport à leur projet migratoire :

CV :« Mes enfants parlent très bien français »

CM : « Mon fils il a parlé bien français, très très bien, il a pas besoin de orthophoniste et tout » KB : « Les deux enfants jouent, ils parlent français. »

La maitrise de la langue prend alors une autre dimension pour les parents, car ils sont conscients qu’elle est indispensable à l’intégration et la réussite scolaire de leurs enfants, comme l’affirme CM :

« Pour l’école très important le français, parce que il a besoin de quelque chose, il parle français pour comprendre »

Même si elle affirme ne pas avoir vraiment besoin du français pour elle, elle reconnait son importance pour ses enfants et pour leur intégration au sein du système scolaire.

2.2.2. Les langues maternelles

Au sein des familles, les différents acteurs vont donner une place plus ou moins centrale à leur langue maternelle et celle-ci va également conditionner la politique linguistique familiale. Par rapport aux acteurs rencontrés, trois cas de figures apparaissent :

- la langue maternelle garde sa place centrale, elle seule est utilisée dans le contexte familial et l’identité culturelle d’origine est transmise à travers son usage. Dans la famille de CM, seul le turc est utilisé.

« A la maison le turc, à l’extérieur le français. […] Je parle pas beaucoup avec les français, à l’école c’est obligé pour les enfants. » .

La stratégie d’acculturation semble être celle de séparation, puisque CM ne cherche pas vraiment à établir des relations avec la société d’accueil, autres que celles qui peuvent lui être utiles (école, médecin…)

- dans la famille de KA et KB, la langue maternelle est reléguée au second plan, puisque les parents, lorsqu’ils sont en présence de leurs enfants ne parlent plus albanais. La langue est alors abandonnée au profit du français :

KB : « Parce que l’année dernière ma grande fille… beaucoup de questions, comment s’appelle ça… et moi je sais pas … avant albanais, maintenant pas question. »

KA :« Entre nous on parle albanais, c’est plus facile… mais ça arrête quand on est arrivé les enfants déjà, je parle français… parce que les enfants ils parlent français et nous aussi on parle français. »

Même s’ils utilisent encore l’albanais avec d’autres personnes dans le quotidien, ils semblent adopter une stratégie d’assimilation afin de se conformer à la société d’accueil.

- dans les familles de BC, CV ou encore BF, les différentes langues maternelles et le français sont utilisés simultanément au sein de la famille. La langue d’origine permet de transmettre la culture des parents et le français les relations hors de la communauté d’origine. La langue et la culture d’origine sont perçues comme des éléments important à transmettre aux enfants, comme le dit BC :

« J’ai pas envie que mes enfants de oublier ma langue. Mais pour moi important de bien apprendre la langue française . »

Les enfants jouent également un rôle important car ils aident les parents dans l’apprentissage du français, comme l’explique CV :

« [Les enfants] ils parlaient ensemble français… et c’est vraiment, je suis, comment on dit… enchantée de ça. Quand je leur parle : « Oh vous parlez très joli ! C’est mignon. » […] si Alexandra me dit : « Autrefois tu vas faire le passé composé », je dis oui et c’est vingt fois, trente fois, je veux faire »

Cette double médiation permet d’un côté aux parents de transmettre la culture et l’identité d’origine à travers la langue et de l’autre aux enfants d’apporter une aide dans la maitrise du français. L’intégration semble la stratégie adoptée par ces familles.

Cet échantillon, bien que restreint, met en évidence différentes attitudes des familles vis-à-vis de leur langue d’origine. Par contre, lorsque les individus sont seuls ou les enfants très jeunes (LJ, BM, SZ), j’ai pu remarquer que la langue maternelle garde pour eux une place importante dans la vie quotidienne :

SZ : « Les gens proches de moi je veux parler anglais parce que c’est la langue de mon cœur. » LJ : « Comme tous les albanais j’aime bien parler ma langue. »

BM : « La langue que j’aime le plus c’est l’allemand »

Même si ces personnes ne reconnaissent pas à leur langue d’appartenance des fonctions sociales valorisées, elle garde une dimension affective forte. La langue maternelle semble privilégiée par rapport au français dans les relations sociales, essentiellement dans la communauté d’origine, un peu comme si l’enjeu de l’apprentissage du français était moindre que lorsque des enfants sont scolarisés. BM, jeune femme allemande, mariée et sans enfants, anticipe même :

« Apprendre le français c’est obligatoire parce que je veux vivre en France et parler aux enfants, à l’école. »

On peut remarquer à travers tous ces exemples, que ce soit chez les francophones ou non, des usages et des attitudes variés vis-à-vis des différentes langues du répertoire verbal. Chaque acteur essaie de mettre en place la stratégie qui lui convient le mieux en fonction de ce qu’il est et du contexte dans lequel il vit afin de trouver sa place au sein de la société française. La maitrise linguistique comme préalable à l’intégration semble être pour la politique linguistique en vigueur la solution unique. Pourtant, elle ne prend pas en compte la diversité des contextes et ne peut répondre à elle seule à l’hétérogénéité des personnes et des situations.

Même si tous ces acteurs ont des approches et des stratégies différentes vis-à-vis de leurs langues, ils ont tous en commun l’utilisation du français.

Chapitre 2. Maitriser le français : une nécessité pour l’intégration

Lors des entretiens, j’ai pu remarquer que certains thèmes revenaient de façon récurrente dans les propos des différents acteurs. Parmi ceux-ci se trouve la nécessité d’avoir accès au travail ou à la formation et celle d’établir des relations hors de la communauté d’origine. Pour ces différentes personnes, quelle que soit leur relation à leur langue maternelle, le français est une des clés de l’intégration et parait indispensable pour accéder à certaines ressources à la fois matérielles et humaines et gagner en autonomie. Parler la langue semble incontournable pour tous car elle leur permet de répondre à certains besoins dans la société d’accueil, comme le précise MD :

« La langue que j’aime c’est la langue de ma famille. Maintenant aujourd’hui là, la langue que j’ai besoin, c’est le français. »

Bien que les stratégies d’intégration divergent et que « maitriser la langue » ne représente pas le même niveau d’exigences selon les personnes, cette idée fait consensus parmi les différents acteurs.

1. L’accès aux droits

L’accès aux droits, au-delà du côté pragmatique, permet également aux individus, selon Honneth, de se sentir appartenir de droit à la société dans laquelle ils vivent. Il permet

la reconnaissance juridique des personnes, favorise le respect de soi et des autres et de ce fait une meilleure intégration. La maitrise linguistique va favoriser cet accès, qui lui-même constitue donc un élément essentiel dans ce processus intégratif.