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Les stratégies de communication des néofascistes, entre anonymat et fausses

Chapitre 2 : La communication comme enjeu pour la guérilla

II- Les stratégies de communication des néofascistes, entre anonymat et fausses

Comme nous l'avons déjà expliqué, l'extrême-droite, entre 1969 et 1975, a principalement agi dans le cadre de la "stratégie de la tension". L'objectif étant de créer un sentiment de terreur diffuse au sein de la population, ce qui aurait permis un coup de force militaire ou un tournant autoritaire du régime, les auteurs des massacres de masse comme celui de Piazza Fontana n'avaient bien évidemment aucun intérêt à revendiquer ce genre d'action. En effet, cela aurait contribué à identifier une mouvance ou des groupes de personnes comme étant dangereux et ils auraient eu plus de chances, non seulement d'être neutralisés rapidement, mais surtout, de ne pas obtenir le soutien des masses. Leur stratégie a donc plutôt été de ne pas revendiquer d'attentats, ou du moins pas lorsqu'il y avait des victimes67

, mais plutôt, de par l'anonymat de leur activité, à chercher à entrainer les enquêtes sur de mauvaises pistes, afin de criminaliser et décrédibiliser leurs adversaires politiques. Dans cette optique, il faut préciser que les groupes à l'origine des attentats les plus meurtriers sont soupçonnés d'avoir bénéficié de nombreuses complicités au sein de l'appareil d'État, notamment auprès des services secrets qui auraient couvert les auteurs en dissimulant des informations aux juges d'instruction chargés des enquêtes.

Ainsi, c'est notamment de cette façon que, après l'attentat de la Banca dell'agricoltura en 1969, les policiers se dirigent rapidement vers la piste anarchiste. De plus, la presse a joué un rôle non négligeable, et pas seulement celle d'extrême droite, puisqu'après Piazza Fontana, à ne pas croire dans la culpabilité de Pinelli et Valpreda68

, mais à suspecter la présence, dans la stratégie de la tension, des néofascistes et des services secrets, il y avait seulement les journaux de gauche, ainsi qu'Il Giorno (Infame provocazione est le titre du 13 décembre), La Stampa, L'Espresso et

Panorama69

. Le reste des organes de presse va s'empresser de reprendre les thèses de la police concernant une matrice d'extrême gauche à l'attentat, provocant ainsi une sorte de "chasse aux sorcières" contre le mouvement anarchiste.

Forts de cette première tentative plutôt réussie en rapport à leurs objectifs, les organisations comme Ordine Nuovo et Avanguardia nazionale vont continuer à perpétrer des dizaines d'attentats jusqu'au milieu des années 1970, en continuant à chercher à attirer l'attention des forces de l'ordre 67 Les Squadre d'azione Mussolini (SAM) ont par exemple revendiqué par des communiqués envoyés à la presse

certains attentats symboliques contre des batiments ou des sièges de partis politiques de gauche.

68 Pinelli, un cheminot anarchiste, est arrêté dans la foulée de l'attentat. Il mourra dans des circonstances qui ne sont toujours pas élucidées le 15 décembre alors qu'il est interrogé par des policiers. La nuit du même jour, Valpreda, un danseur lui aussi de sensibilité anarchiste, est arrêté. Il faudra de nombreuses années d'emprisonnement et plusieurs procès avant qu'il ne soit innocenté.

sur les milieux d'extrême gauche. Pour illustrer cela, nous pouvons citer les deux exemples de Bertoli et d'Azzi.

Gianfranco Bertoli70

qui avait lancé une grenade devant la préfecture de Milan, le 17 mai 1973, tuant quatre passants, s'était déclaré anarchiste aux policiers après son arrestation. Son geste était censé être une référence aux attentats des révolutionnaires russes et des anarchistes de la fin du XIXe siècle. Toutefois, il fut établi par la suite qu'il était surtout proche des milieux d'extrême droite, et qu'il aurait même eu des contacts avec les services secrets. Toutefois, même après avoir été identifié comme étant néofasciste, certains journaux continuèrent, dans les années suivantes, à remémorer cet attentat comme étant l'œuvre de l'extrême gauche71

.

Nico Azzi, lui, était un des membres du groupe néofasciste de la place San Babila de Milan. Il avait prémédité un attentat sur le train direct Turin-Rome le 7 avril 1973. Afin de brouiller le pistes, il avait fait en sorte d'être vu par de nombreux passagers avec le journal Lotta continua en poche. Puis il s'était enfermé dans les toilettes afin de placer sa bombe, mais le détonateur lui avait explosé dans les jambes, le blessant gravement72

. Le scénario mis en place par Azzi ne peut s'expliquer que dans une optique clairement provocatrice, avec la volonté de placer les enquêteurs sur de mauvaises pistes et de décrédibiliser l'extrême gauche aux yeux du grand public.

Mais tout comme les analyses théoriques de l'extrême-droite évoluent à partir de la moitié de la décennie, les stratégies de communication vont également connaitre des modifications. Cela s'explique par l'émergence d'une nouvelle génération, désireuse de rompre avec celle de la fin des années 1960 et du début des années 1970, associée aux massacres de masse et à une certaine collusion avec les services secrets. Soucieuse de renouer avec des idéaux plus révolutionnaires et d'assumer ses actions, cette nouvelle vague néofasciste va notamment être incarnée par les Nuclei

armati rivoluzionari73

.

Les NAR adoptèrent une stratégie différente, comme nous l'avons déjà noté plus haut, et celle-ci s'appliqua également dans le domaine de la revendication des actions meurtrières. Comme l'extrême gauche combattante, ils décidèrent d'envoyer des communiqués aux organes de presse après chaque attentat, assassinat ou hold-up. La première fois qu'il fut fait mention de cette organisation dans la presse remonte au 6 mars 1978 après l'attaque d'une armurerie à Rome, au cours de laquelle Franco Anselmi, un des membre de l'organisation fut tué par le commerçant. De

70 A propos de Gianfranco Bertoli, peu de travaux font mention de son attentat, mais l'on peut quand même consulter Ferraresi, Franco, Minacce alla democrazia. La destra radicale e la strategia della tensione in italia nel

dopoguerrra, Feltrinelli, Milan, 1995.

71 C'est le cas notamment du Secolo d'Ttalia dans son édition du 6 août 1974.

72 Colombo, A., Storia Nera. Bologna, la verità di Francesco Mambro e Valerio Fioravanti, Cairo editore, Milano, 2007

plus, il faut noter que les NAR choisirent de mettre leur sigle à disposition des autres groupuscules armés néofascistes qui désiraient revendiquer des actions, ce qui peut expliquer le grand nombre d'homicides attribués à ce groupe, afin de donner une impression de puissance plus forte que ce que leur capacité effective permettait.

Toutefois, cette position politique ne fut pas partagée par l'ensemble de la mouvance néofasciste, puisque certains continuèrent à garder l'anonymat sur leurs attentats. C'est notamment bien illustré dans un document signé par des activistes de la droite radicale retrouvé dans une cabine téléphonique de Bologne, en 1980, dans lequel il y est dit que "Le recours au terrorisme aussi bien aveugle que contre des objectifs bien précis est essentiel". C'est ainsi que la population "initialement neutre sera amenée à nous craindre et à nous admirer, en méprisant en même temps l'État pour son incapacité à se défendre et à la défendre". Et enfin, "par des attaques spécifiques qui ne seraient pas nécessairement revendiquées par nous, on pourra augmenter les tensions jusqu'à une limite insoutenable pour l'état"74

.

On voit bien cependant que, contrairement aux Br notamment, les néofascistes n'utilisent à aucun moment l'image comme moyen d'identification pour le grand public, ce qui a contribué en partie à créer un véritable flou autour des auteurs d'attentats d'extrême droite, que ce soit dans les analyses journalistiques sur le phénomène de la lutte armée, ou également à un niveau pénal. En effet, la plupart des stragi, dont les auteurs sont désormais plus ou moins connus, n'ont pas donné lieu à des procédures pénales débouchant sur la condamnation des commanditaires et des responsables. Cependant, il ne faut pas négliger le fait que l'absence de revendication ne signifie pas forcément une absence totale de communication (notamment de par le climat de peur qui s'instaure).