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Chapitre 3 : Présentation des quotidiens étudiés

III- La presse militante

Les événements de 1968-69 vont également trouver un écho dans la presse où c'est l'effervescence avec notamment le lancement en 1971-72 de quotidiens d'extrême gauche comme

Lotta continua et Il Manifesto88

. De manières diverses, ils illustrent bien la volonté des mouvements contestataires de se doter d'outils de communication qui puissent être des lieux d'élaboration critique et théorique vis-à-vis de l'information officielle.

En premier lieu, Lotta continua (LC) qui est édité à Milan commence d'abord à paraître entre 1969 et 1972 en tant qu'hebdomadaire. Il deviendra un quotidien à partir de cette dernière date, et ce jusqu'en 1982, moment de l'arrêt de la parution du journal. Ce dernier est évidemment l'émanation de l'organisation extraparlementaire du même nom, dont il retranscrit la ligne politique. Cela va bien sûr se ressentir dans les évolutions que connaitra le quotidien puisqu'il traversera la phase militariste de LC en 1972, avant de basculer vers la nouvelle gauche et des stratégies plus électoralistes. En 1975, il y sera même donné des consignes de vote à ses lecteurs en faveur du PCI. Malgrè les scissions de 1976 dans LC, où une partie des membres de l'organisation partisans d'une ligne plus dure vont la quitter pour rejoindre des formations armées et clandestines comme Prima Linea, la parution se poursuivra. Afin d'assurer la continuité de l'édition, il sera alors fait appel à des intellectuels et des journalistes démocrates et le journal deviendra alors plus un lieu de discussions et de réflexions politiques.

Ce qui caractérise avant tout Lotta continua, c'est une volonté de produire une contre- information alternative face à ce qui est appelé le "mensonge officiel" des autres médias et du gouvernement89. Dans cette perspective, la campagne la plus marquante reste sans aucun doute celle

d'enquête sur la mort de Pinelli en 1969, qui sera marquée par un acharnement médiatique sur la personne du commissaire Calabresi, accusé d'être le responsable de ce décès.

Au niveau politique, on observe une volonté de s'intéresser aux luttes ouvrières et étudiantes du moment, mais ce qui distingue le journal par rapport à ceux des autres groupes actifs à la même période90

, c'est l'intérêt et l'attention qu'il donne dès son apparition aux secteurs et aspects normalement délaissés par les partis traditionnels. On y voit apparaitre de nouvelles figures

88 Lazar, M. (sous la dir. de), L'Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Fayard, 2009.

89 Mangano, A., Le riviste degli anni settanta. Gruppi, movimenti e conflitti sociali, CDP/ Massari editore, Pistoia, 1998.

politiques : des prisonniers aux militaires, des prolétaires qui luttent dans leur quartier pour le droit au logement et contre l'augmentation des prix au sous-prolétariat méridional. Ainsi, contrairement à une large partie de l'extrême gauche qui voit la principale figure révolutionnaire dans celle de l'ouvrier-masse91

, on note une tentative d'offrir une caisse de résonnance aux catégories sociales marginalisées. Ce sont d'ailleurs ces rencontres qui permettront la naissance de groupes de lutte armée comme les NAP à Naples.

Ces positionnements politiques se répercutent à un niveau linguistique, où la première préoccupation de LC est celle d'être le plus clair et compréhensible possible. Ainsi, dans l'éditorial du premier numéro, on peut y lire : "Nous voulons faire un journal qui soit lisible autant par les ouvriers que par les étudiants, par les ménagères et par les ouvriers agricoles". Pour atteindre un tel degré de lisibilité, LC emprunte une voie particulière qui consiste dans l'usage de modes d'expressions les plus proches possibles de la tradition populaire et de la communication orale quotidienne92

.

L'intérêt concernant notre travail est que ce journal est illustré de nombreuses photographies et il laisse la place à des instruments variés comme la bande dessinée, les caricatures voire même la chanson ou les fables. Le format est de quatre pages, où la première est dédiée aux nouvelles du jour, et quand il y en a, à l'article de fond. La quatrième est consacrée aux nouvelles sur les luttes ouvrières et la situation dans les usines. Les deux pages internes ont une composition assez élastique (politique internationale, témoignages, débats...). Enfin, on observe que les titres sont chargés d'une grande prise émotive. Il se caractérise donc comme très différent du Manifesto, l'autre journal de la gauche extraparlementaire déjà en circulation à son apparition. Au contraire de celui- ci, il est généralement pauvre en élaboration ou analyses théoriques.

A l'origine du groupe éditorialiste du Manifesto, on retrouve des intellectuels dissidents du PCI comme Luigi Pintor, Rossana Rossanda, Aldo Natoli ou encore Magri ou Caprara qui se sont faits expulser du parti en raison de désaccords après l'intervention de l'armée soviétique à Prague au printemps 1968. Ils donneront lieu à la naissance d'une organisation qui se dotera d'une revue théorique à partir de 1969 : Il Manifesto qui revendique sa propre autonomie face à tout parti politique et qui s'autodéfinit comme "quotidien communiste"93

. Il se transformera justement en quotidien à partir du 28 avril 1971. Il représente plus un lieu de débats et d'élaboration politico- théorique qu'un véritable journal d'information alternative.

91 C'est le cas notamment de Rosso, un des principaux journaux de l'autonomie ouvrière, dirigé notamment par Toni Negri, qui privilégie l'ouvrier-masse non qualifié, figure opposée à celle de l'ouvrier professionnel des années 1950, comme sujet antagoniste.

92 Castronovo, V., Tranfaglia, N. (a cura di), La stampa italiana del neocapitalismo, Editori Laterza, Roma-Bari, 2001. 93 Castronovo, V., Tranfaglia, N. (a cura di), La stampa italiana nell'età della TV. Dagli anni settanta a oggi, Editori

Il Manifesto se présente également sous un format de quatre pages à ses débuts, parmi

lesquelles la première est occupée par les nouvelles générales et par les articles de fond, la seconde par les nouvelles des luttes ouvrières, la troisième par la politique intérieure et enfin la dernière par les nouvelles internationales. L'aspect visuel de ce journal est assez austère, composé pendant une longue période uniquement par des articles, délaissant tout ce qui est visuel. Mais après des débuts plutôt brillant par la nouveauté éditoriale, il se met à être moins vendu, ce qui l'oblige au milieu de la décennie à laisser tomber le refus de la publicité qui l'avait caractérisé jusqu'alors. S'ensuivra au début des années 1980 l'apparition de la photographie afin d'illustrer certains articles.

Concernant ces deux journaux, nous avons pu consulter ceux qui étaient disponibles à la Bibliothèque Nationale de France (qui possède tous les numéros du Manifesto) et à la BDIC de Nanterre. Malheureusement, de nombreux numéros de Lotta continua concernant des dates d'assassinats politiques ou d'attentats perpétrés par l'extrême droite étaient indisponibles.