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Stratégies classiques d’analyse des venins

Chaque analyse de venin nécessite une stratégie adaptée. De par les différences qui existent d’un venin à l’autre, des quantités de matériel disponible et de l’objectif que l’on souhaite atteindre (caractérisation totale du venin, d’une famille de toxines, d’une toxine unique, d’une activité biologique etc…), aucune stratégie standardisée n’est applicable à l’ensemble des cas de figure. D’une manière générale, l’analyse d’un venin nécessite une combinaison de plusieurs techniques biochimiques et physico-chimiques complémentaires, voire même parfois de biologie moléculaire. Dans ce paragraphe, sont détaillées les stratégies préférentiellement utilisées pour la caractérisation ciblée de toxines et pour la recherche de ligands spécifiques de récepteurs. Dans chacun de ces cas, l’apport de la spectrométrie de masse sera explicité.

B.1. Cartographie d’un venin brut

Etablir la cartographie (massique, chromatographique ou électrophorétique) d’un venin permet de créer une empreinte unique caractéristique de ses différents constituants. Plusieurs techniques permettent d’atteindre cet objectif. Les techniques électrophorétiques sur gel de polyacrylamide (mono ou bidimensionnel) en font partie.

Figure 29: Cartographie électrophorétique de deux venins de serpents par approche 2D-PAGE – (A) Naja

naja atra et (B) Agkistrodon halys115

La Figure 29 montre la séparation par électrophorèse bidimensionnelle de deux venins de serpents. Il apparaît clairement que les empreintes obtenues sont totalement différentes. Le

Naja naja atra présente des toxines sur une large gamme de pH (4 à 9 unités) pour des masses

dépassant 100 kDa tandis que les toxines de l’Agkistrodon halys sont centrées sur une gamme de pH plus étroite (entre 4 et 7) pour des masses ne dépassant pas 66 kDa.

On peut également réaliser des cartographies massiques (plus résolutives) par spectrométrie de masse que ce soit par ESI-QTOF116, MALDI-TOF-MS117 ou par l’utilisation d’un couplage entre la chromatographie liquide (polarité de phase inversée) et la spectrométrie de masse (MS ou MS/MS)118.

L’approche par MALDI-TOF semble être la technique de choix pour l’analyse des venins bruts119. Elle permet d’obtenir principalement des ions monochargés ce qui rend les analyses beaucoup plus simples à exploiter. Il est connu que cette méthode induit une certaine discrimination des familles de composés au niveau de l’étape de désorption-ionisation. Pour limiter ce phénomène de suppression ionique, le choix de la matrice est important et, afin d’obtenir le maximum d’informations, différents spectres acquis avec différentes matrices sont souvent nécessaires. L’analyse de venins bruts par ESI-MS n’a été effectuée que plus récemment120 et ce mode d’ionisation est principalement employé en couplage avec la chromatographie liquide. Une limitation de l’analyse directe est souvent la présence de sels dans les venins. Ceci entraîne un double problème : d’une part une forte concentration en sels va induire une forte instabilité du spray25 et la présence d’adduits va abaisser le signal du peptide d’intérêt (déjà divisé par le nombre d’états de charges observé).

L’intérêt de cartographier un venin ne se situe pas qu’au niveau moléculaire mais peut également être utilisé en taxonomie. En effet, une large proportion des composés présents dans les venins est constituée de peptides et de protéines, molécules provenant de l’expression directe du génome. Ainsi, ces cartographies peuvent s’apparenter à une « image » partielle du génome des espèces étudiées, permettant de rapprocher des spécimens sur le plan génétique. L’utilisation des profils des venins à des fins taxonomique a été démontrée pour les bactéries121, les venins de serpents122, de cônes118, de scorpions123 et d’araignées124,125. Toutes ces applications montrent que l’analyse des venins par spectrométrie de masse représente une technique rapide et fiable d’identification et de détermination de sous-classes d’espèces morphologiquement voisines.

Récemment, P. Escoubas et al.126ont développé le concept de cartographies de venins en trois dimensions. Dans la première dimension, on trouve la masse moléculaire, dans la seconde, le temps de rétention (caractère hydrophobe) et dans la dernière, l’intensité des pics dans les spectres de masse MALDI-TOF. Au final, le graphique obtenu donne une bonne représentation des toxines constituant un venin et permet de cibler spécifiquement une toxine d’intérêt en fonction de sa localisation dans le paysage en 3D.

B.2. Recherche de toxines d’intérêts

Parmi les dizaines, voire les centaines de constituants d’un venin, un défi est d’aller directement rechercher des toxines d’intérêt ciblé, c'est-à-dire dont l’activité de la famille d’appartenance est déjà connue. Un exemple est celui de la recherche de sarafotoxines (peptides vasoconstricteurs) dans le venin d’Atractaspis irregularis, dont des isoformes avaient déjà été caractérisées dans trois autres venins. Cette étude fait l’objet d’un chapitre de cette thèse.

La difficulté réside dans le fait de cibler les molécules d’intérêt dans le mélange complexe. Alors que le génome humain est entièrement séquencé, aucun génome d’animal venimeux ne l’est, ce qui complique fortement l’analyse protéomique des venins. Néanmoins, il semblerait que le futur proche de l’analyse des venins animaux passe par ce type d’étude appelée « vénomique »127. Ce projet ambitieux consiste d’un coté en l’analyse du génome de spécimens sélectionnés et de l’autre en l’analyse des peptides et protéines présents dans le venin ainsi que des ARN messagers présents dans les cellules des glandes à venins. Ainsi, même si l’analyse du génome de ces espèces n’est pas encore disponible, le clonage moléculaire peut être employé pour rechercher des familles de toxines dans les venins.

B.2.a. Recherche d’une activité biologique par des tests de liaison

Il est possible de rechercher une toxine pour (et par) son activité biologique. La stratégie la plus couramment employée pour étudier l’activité des différents constituants d’un venin comporte de nombreuses étapes. Comme nous l’avons précédemment vu, le venin est très complexe et une première étape de fractionnement par chromatographie est nécessaire. Chacune des fractions obtenues est alors testée sur divers modèles biologiques afin de déterminer si elle contient ou non une activité intéressante (Figure 30). A titre d’exemple, une activité spécifique et sélective de récepteurs pour lesquels aucun ligand n’est connu serait particulièrement attractive.

Fractionnement par chromatographie

Fractionnement secondaire par chromatographie à polarité de phases inverse (ou échangeuse d’ions)

Détection des activités par tests de liaisons avec des ligands radio marqués

n cycles Venin brut

Fractionnement par chromatographie

Fractionnement secondaire par chromatographie à polarité de phases inverse (ou échangeuse d’ions)

Détection des activités par tests de liaisons avec des ligands radio marqués

n cycles Venin brut

Figure 30: Stratégie de découverte de nouvelles activités pharmacologiques employés pour le venin de Dendroaspis angusticeps

L’activité biologique est visualisée par des tests de liaison qui emploient des ligands radioactifs marqués. La fraction est mise en présence d’un récepteur et d’un de ses ligands connus marqué par radioactivité. Si le ligand froid (composant du venin) entre en compétition avec le ligand radioactif pour sa liaison avec le récepteur, cela modifie le signal radioactif mesuré en fin d’expérience. Cette technique permet de démontrer non seulement qu’un ligand froid se lie à un récepteur mais aussi d’en étudier l’affinité. Ainsi en testant chacune des fractions sur différents modèles ligand radioactif/récepteur, il est possible de déterminer si la fraction contient une toxine qui se lie sur les récepteurs testés.

La mesure de radioactivité de fin d’expérience est comparée à deux références : le BT (Binding total) et le NS (Non Specific). La première correspond à la mesure à l’équilibre de la radioactivité du mélange récepteur et ligand radioactif, sans ajout de fraction. Ceci nous permet d’accéder à la valeur maximale de radioactivité que le système puisse fournir puisque le maximum de ligand radioactif va se lier à ses récepteurs cibles sans qu’une compétition avec un autre composé ne soit possible. La seconde référence utilisée correspond à la mesure de la radioactivité du système après avoir mis une forte quantité de fraction au contact des récepteurs et du ligand marqué. Comme nous nous trouvons très loin de l’équilibre, seule une très faible quantité de ligand radioactif est liée aux récepteurs. La radioactivité mesurée correspond donc uniquement à la liaison non spécifique (NS) du ligand radioactif aux récepteurs (Figure 31). BT NS A B C D E F G H Fractions Cps BT NS A B C D E F G H Fractions Cps

Figure 31: Exemple de présentation des résultats d’expériences de liaisons effectuées sur 8 fractions pour un modèle récepteur/ligand radioactif donné- BT= Liaison totale, NS= Liaison non spécifique – le signal

mesuré est donné en cps : « nombre de coups par seconde » relatif au comptage radioactif

Sur la Figure 31, il apparaît clairement que seules deux fractions contiennent des molécules qui entrent en compétition avec le ligand radioactif et qui entraînent une baisse de signal (fractions D et H). Toutes les autres fractions présentent un signal de l’ordre de celui du

Binding Total, ce qui signifie qu’un maximum de ligand radioactif s’est fixé au récepteur et

qu’aucun composé n’est venu perturber cette liaison.

Dans le cas ou l’un des tests est jugé satisfaisant (comme pour D et H dans notre exemple), la fraction sélectionnée est fractionnée de nouveau mais par un autre processus chromatographique afin de mieux séparer les différents constituants de cette dernière. Chacune des fractions secondaires est testée de nouveau afin de retrouver l’activité biologique

et ainsi de déterminer quelle fraction la contient. L’étape de purification/vérification de l’activité est répétée jusqu’à l’obtention d’un unique pic chromatographique actif.

L’électrophysiologie est également très utilisée en différents modes (patch-clamp, voltage clamp) pour non seulement déterminer les cibles moléculaires des toxines mais aussi afin de comprendre leur mode d'action. Ces informations sont accessibles par l'analyse de divers paramètres électrophysiologiques, comme des mesures de potentiels de membranes ou de réponses synaptiques.

La suite de la stratégie est basée sur la caractérisation structurale de la toxine active. De nombreuses techniques peuvent être utilisées. La dégradation d’Edman (voir en Annexe), la résonance magnétique nucléaire et la spectrométrie de masse sont les techniques les plus employées. En général, la structure de toxines est déterminée par une combinaison de ces trois techniques128,129,130 puisque chacune de ces méthode est complémentaire. La dégradation d’Edman permet d’avoir accès à la structure primaire de toxines isolées. Cependant, son efficacité dépend de la pureté de la toxine, un unique pic chromatographique n’est pas toujours caractéristique d’une molécule unique. De plus, cette approche est très délicate lorsque peu de matériel est disponible et inefficace dans le cas où l’extrémité N-terminale est modifiée. La résonance magnétique nucléaire est la technique la plus résolutive des trois citées puisqu’elle permet d’avoir accès à la structure tridimensionnelle de toxines séquencées. Son défaut majeur est qu’elle nécessite une quantité d’échantillon importante bien que cette contrainte soit de moins en moins marquée. Enfin, la spectrométrie de masse est la plus sensible des trois techniques et permet d’accéder aux séquences primaires des toxines via des digestions protéolytiques pour les toxines de haut poids moléculaire.

B.2.b. Apport du clonage moléculaire

Le clonage moléculaire est une technique devenue routinière en biologie moléculaire qui consiste à cloner des fragments d'ADN dans différents vecteurs plasmidiques. Lors de la transcription chaque type de cellule va, à partir de ses gènes, synthétiser les ARN messagers (ARNm) nécessaires à son fonctionnement. Ainsi, chacune des cellules disposera au final d’un ensemble d’ARN messagers différents, spécifiques de sa fonction. Par exemple, une partie des ARN messagers présents dans les cellules des glandes à venins des serpents va être responsable de la biosynthèse de l’ensemble des molécules protéiques et peptidiques retrouvées dans le venin, dont de nombreuses toxines. L’étude de ces ARN est donc

primordiale en particulier pour comprendre le mécanisme de maturation des toxines dans les glandes à venin. Les différentes étapes qui permettent de passer de l’ADN génomique à l’obtention des séquences peptidiques caractérisant des toxines sont détaillées en annexe. Cependant, tous les ARNm clonés à partir des glandes à venin ne correspondent pas à des séquences de toxines. Deux difficultés apparaissent donc lorsque l’on dispose des seuls résultats de clonage. La première est de savoir si les séquences nucléotidiques obtenues correspondent bien à des séquences de toxines effectivement présentes dans le venin. Pour répondre à cette question, il est possible, dans certains cas, d’utiliser des amorces spécifiques (pour la RT-PCR) des toxines recherchées, ce qui permet de n’amplifier que le matériel génétique codant pour ces toxines. La deuxième difficulté vient du fait qu’il n’est pas aisé de déterminer la séquence exacte des toxines déduites des ARNm. En effet, même si le début de la traduction est déterminée par la méthionine d’initiation et la fin par le codon stop, la séquence reliant ces deux marqueurs n’est pas forcément celle de la toxine que l’on retrouve dans le venin. L’intervention d’endopeptidases qui vont modifier la longueur de ces toxines jusqu’à l’obtention de la forme mature et leurs modifications post-traductionnelles ne peuvent être déterminées qu’en analysant réellement le venin au niveau moléculaire.

Dans ce contexte, la spectrométrie de masse a un rôle important à jouer. La comparaison des masses calculées pour les séquences (de longueur variable) obtenues par clonage moléculaire à celles obtenues lors de la cartographie massique du venin permet de relier rapidement les données biologiques aux analyses par spectrométrie de masse. Le fait que la FT-ICR permette des mesures de masses très précises est un avantage considérable dans cette recherche. Néanmoins, des expériences de spectrométrie de masse en tandem à partir d’autres instruments sur les peptides sélectionnés peuvent confirmer toute ou partie de la séquence de ces derniers. Ces expériences sont dans la plus part des cas réalisées (en ligne) après séparation des différents constituants par chromatographie liquide.

B.2.c. Rôle de la spectrométrie de masse

Le rôle de la spectrométrie de masse pour caractériser précisément une toxine d’intérêt s’est affirmé ces dernières années. On se retrouve, pour l’analyse de ces toxines, dans des cas où les génomes ne sont pas séquencés ; il s’agit donc d’un vrai séquençage de novo. Pour les peptides de haut poids moléculaire ou les petites protéines, l’approche classique par digestion enzymatique suivie de l’analyse des fragments peptidiques en MS/MS est généralement ce qui

est utilisé. Pour les petits peptides purifiés, diverses expériences de fragmentation peuvent être envisagées (basse énergie, haute énergie) pour obtenir le plus d’informations possibles concernant les séquences. Dans la plupart des cas, des instruments de types tQ ou Q-TOF sont utilisés car ils permettent d’obtenir des spectres MS/MS de qualité. Assez peu d’études font état de l’utilisation de la spectrométrie de masse FT-ICR pour analyser des toxines animales131. C’est dans domaine que se situe notre travail puisque nous avons, au cours de cette thèse, développé plusieurs stratégies d’analyse de venins bruts basées sur l’utilisation de la spectrométrie de masse FT-ICR et notamment appliqué la stratégie « top-down » à une toxine d’intérêt.

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