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CHAPITRE  4   : L’ANALYSE DES RÉSULTATS 88

4.4 L’incidence de la maternité 114

4.4.1 Les stratégies adoptées lors de l’arrivée d’un enfant 114

Les conditions de travail dans l’industrie du cinéma sont marquées par des horaires variables, de longues heures de travail, une dispersion géographique des lieux de tournage et une précarité d’emploi qui sont souvent incompatibles avec les responsabilités familiales des mères. Les résultats de notre étude montrent que les femmes adopteraient plusieurs stratégies de carrière lors de la venue d’un enfant : arrêt définitif ou temporaire de travail, mouvements horizontaux de carrière au sein de l’industrie du cinéma, réorientation de carrière, alternance de contrats entre les conjoints et choix des contrats en fonction des horaires de travail ou de la mobilité géographique.

a) Les arrêts de travail temporaires ou définitifs dans l’industrie du cinéma

Les résultats de notre étude montrent que trois assistantes accessoiristes de plateau sur quatre qui ont des enfants et une accessoiriste de plateau ont préféré arrêter de travailler définitivement ou temporairement dans le milieu du cinéma lors de la venue de leurs enfants :

« Je savais que je voulais des enfants donc j’avais ça comme aspiration en sachant qu’une fois avec des enfants, je n’allais pas pouvoir être accessoiriste. Je voulais une vie plus stable. » - AAF1

Si, pour deux de ces assistantes accessoiristes, un arrêt définitif dans ce milieu demeure la solution pour leur permettre de concilier leur vie professionnelle et personnelle, pour une assistante et une accessoiriste de plateau l’arrêt demeure temporaire, le temps que les enfants grandissent un peu, et va au-delà du congé de maternité prévu par le gouvernement du Québec :

« Je le ferais [travailler], je ne suis pas si ennuyeuse que ça, mais je le ferai quand ça fera des années et un jour que je verrai qu’il est plus prêt [enfant], ça va peut-être se replacer. » - AAF2

En ce qui concerne les quatre assistantes accessoiristes de plateau qui n’ont pas d’enfants, une d’entre elles aimerait en avoir un jour, mais elle considère qu’elle devra arrêter de travailler au moins pour une période de trois ans :

« C’est sûr que je pense que je ne travaillerais pas pendant des années. Au moins les trois premières années. J’arrêterais sûrement de travailler. Je ne sais pas ce que je ferais d’autre. » - AAF3

Même chose pour une autre assistante qui ne désire pas vraiment avoir d’enfants, elle nous mentionne que si elle en avait un jour, elle devrait prioriser la famille.

Une dernière assistante accessoiriste ne désire pas vraiment avoir d’enfants, mais considère qu’elle trouverait sûrement des solutions en ce qui a trait aux horaires de travail. Ce n’est pas quelque chose qui l’inquiète :    

« Je ne vois pas ce que je ferais d’autre. Parce que si ça influence, c’est plus au niveau de l’horaire parce que je pense que c’est ce qui est le plus compliqué, mais en même temps je serais vraiment malheureuse de faire du 9h à 5h. Donc j’aimerais peut-être mieux être une bonne mère à temps décousue, qu’une personne aigrie à temps plein. » - AAF4

Un seul homme accessoiriste de plateau a décidé d’arrêter temporairement de travailler lors de la venue de ses enfants pour une durée de six mois, une durée plus courte que celle des femmes qui ont arrêté temporairement de travailler (incluant la grossesse) : de un an et demi à deux ans pour chacun de leurs enfants.

b) Les changements de profession au sein du même département

Une autre stratégie employée lors de l’arrivée des enfants est de changer de poste au sein du département artistique. Une cheffe a donc décidé de faire quelques contrats comme accessoiriste extérieur pour bénéficier des horaires de travail plus stables et prévisibles :

« Au début, quand il est petit, tu ne fais plus de films sur le plateau. C’est pour ça que mon patron m’avait demandé si je voulais revenir comme accessoiriste extérieur10 et que j’avais dit oui. Je ne voulais pas complètement quitter le milieu. » - APF2

Ce changement de poste semble envisageable pour une assistante accessoiriste qui a quitté le milieu, une autre qui a des enfants, mais qui ne travaille pas pour l’instant et pour une assistante qui n’a pas encore d’enfants.

c) L’alternance de contrats entre les conjoints

Une assistante accessoiriste qui a des enfants ainsi que deux autres assistantes qui n’ont pas encore d’enfants considèrent que l’alternance de contrats entre des conjoints qui travaillent tous les deux en cinéma peut être une solution envisageable lorsque l’on a des enfants. Ceci leur permettrait d’avoir des horaires plus flexibles et plus stables avec leurs enfants :

« Oui, je réalise que les horaires de ma profession ne conviennent pas à ce que je vois comme famille. Un contrat ou deux par année ça pourrait être le fun si mon conjoint ne travaillait pas pendant ce temps-là. » - AAF2

d) La réduction du temps de travail, des déplacements et le choix des types de production Une stratégie employée lors de l’arrivée d’un enfant par une assistante accessoiriste de plateau et les deux femmes accessoiristes de plateau est de choisir des contrats avec des horaires de travail plus stables et de moins longues heures de travail. Ainsi, si pour l’assistante accessoiriste cette stratégie était adéquate surtout quand son enfant était plus jeune, pour les deux cheffes, elle est toujours utilisée, même si leurs enfants vieillissent :

« Depuis que j’ai mon enfant, je ne fais plus de gros films américains. Je recherche le film 4 jours par semaine, 10 heures par jour. C’est terrible, mais je les sélectionne en fonction de ça. Je fais les petites séries québécoises qu’en général les gens ne veulent pas faire parce que ce n’est pas payant, mais moi ça m’arrange. » - APF2

Étant donné qu’elles travaillent moins d’heures sur des productions moins prestigieuses où le taux horaire est plus bas, leur rémunération est donc moins élevée. Deux des hommes rencontrés (un assistant et un chef) n’ont pas utilisé cette stratégie tandis que les deux autres

10 À titre de rappel, les accessoiristes extérieurs sont en charge de la conception, de la location et de l’achat des

l’utilisent, mais ils le font davantage pour faire des activités de loisir ou pour travailler sur d’autres projets :

« Je décide de ne pas travailler en cinéma l’hiver pour m’occuper de mon enfant et pour m’occuper de toutes les autres choses que je n’ai pas le temps de m’occuper dans la vie comme rénover mon sous-sol. » - AAH1

Pour les deux cheffes et un des assistants, il est impossible d’accepter les contrats qui nécessitent une mobilité géographique trop grande, c’est-à-dire en région éloignée de Montréal ou à l’extérieur du pays :

« J’ai refusé des contrats parce que c’était vraiment trop loin, par exemple tous les contrats en Gaspésie. Les films que je fais en extérieur, je m’organise toujours pour revenir la fin de semaine. Si c’est plus de six heures d’auto, je n’y vais pas. » - APF2

Ceci a donc une incidence négative sur le succès objectif de carrière de ces personnes, car elles refusent des contrats pour privilégier leur famille.

e) La réduction des aspirations de carrière

Une des assistantes aurait aimé devenir directrice artistique, une aspiration professionnelle qui est toujours présente, mais qui semble être devenue un projet à long terme et mise sur la glace depuis l’arrivée de ses enfants :

« C’était plus ça que je voulais en venir à faire et peut-être que j’irai faire quelques études en vue de, mais ce sont les horaires qui ne me conviennent pas en ce moment. Les enfants ne seront pas toujours des bébés toute leur vie. » - AAF2

f) La décision de ne pas avoir d’enfants

Pour deux des assistantes qui n’ont pas d’enfants, le fait de ne pas avoir de support familial les inquiète parce qu’elles auraient de la difficulté à concilier leur vie professionnelle et personnelle :

« La réalité c’est que moi, je n’ai pas de famille ici donc je n’ai pas de soutien pour m’aider ici. Je n’ai pas d’oncles, de tantes qui vont nous aider et qui seront disponibles pour garder à la dernière minute. J’ai rien, je suis toute seule. Tout ça sont des facteurs qui font en sorte que je ne suis pas certaine de vouloir des enfants. Je ne suis pas certaine d’avoir ce qu’il faut pour accueillir tout ça. » - AAF8

Pour ces participantes, le manque de support familial est un problème les empêchant d’avoir des enfants quand ce sont pourtant les conditions de travail qui sont problématiques. Pour éviter de devoir choisir entre sa carrière et un enfant, cette assistante préfère ne pas avoir d’enfants.

La maternité a donc une incidence négative sur le succès objectif de carrière des mères de notre étude, car elles choisissent d’arrêter de travailler temporairement, définitivement ou de se réorienter dans un autre domaine lorsqu’elles ont des enfants à l’inverse de la majorité des pères de cette étude. De plus, beaucoup d’entre elles réduisent le nombre d’heures travaillées en acceptant des contrats moins lucratifs aux horaires de travail moins chargés et refusent des contrats où une mobilité géographique est trop grande. Elles réduisent leurs aspirations professionnelles ou font le choix de ne pas avoir d’enfants pour continuer à travailler dans leur profession.