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CHAPITRE  1   : LA REVUE DE LITTÉRATURE 11

2.1 La problématique 54

Cette recherche vise à comprendre ce qui favorise ou freine la progression de carrière des assistantes accessoiristes de plateau dans l’industrie du cinéma au Québec, car elles sont peu nombreuses dans les postes de chef quand elles sont pourtant majoritaires dans les postes d’assistantes (AQTIS, 2016). L’objectif de cette recherche est donc d’identifier les facteurs qui ont une incidence sur la progression et le plafonnement de carrière de ces femmes.

Comme nous voulons comprendre pourquoi les femmes assistantes accessoiristes n’atteignent pas les postes de chef en plus grand nombre, le concept de succès objectif de carrière nous permettra de constater si elles plafonnent dans leur carrière. Ce concept se mesure par le salaire, les promotions ou les statuts hiérarchiques et le nombre d’années passées dans le poste d’assistante accessoiriste pour les femmes comparé à celui des hommes.

Les théories de la carrière seront utiles pour analyser les choix de carrière des individus et faire ressortir les contextes, les facteurs sociaux et organisationnels à la fois subtils et complexes dans lesquels ils sont faits. Puisque les individus dans l’industrie du cinéma ne suivent pas un modèle de carrière de type traditionnel en évoluant au sein de la même organisation tout au long de leur vie, nous utiliserons un modèle de carrière qui s’inscrit dans la lignée des modèles de carrière renouvelés pour analyser la progression de carrière des assistantes accessoiristes dans l’industrie du cinéma. De plus, comme les femmes expérimentent des obstacles spécifiques dans leur progression de carrière et que seul le modèle kaléidoscopique de Mainiero et Sullivan (2008) prend en compte ces particularités, nous utiliserons ce modèle pour analyser la progression de carrière des assistantes accessoiristes. Le modèle (Mainiero et Sullivan, 2005, 2008) possède trois dimensions de carrière : le défi, l’équilibre et l’authenticité où l’une de ces composantes prend le dessus sur les deux autres

dans certaines phases de la vie des individus. Selon ces chercheures (Sullivan et Mainiero, 2007), les femmes suivent un type de carrière différent de celui des hommes, parce qu’elles accordent plus d’importance à la dimension d’équilibre à la mi-carrière, entre autres pour prendre soin de leurs enfants. Ce modèle nous permettra de comprendre les différents parcours professionnels des individus dans l’industrie du cinéma selon leurs parcours de vie. En somme, ce modèle permettra d’établir un cadre théorique pour analyser les données recueillies lors de l’étude sur les parcours professionnels des individus.

Ensuite, pour cibler les facteurs qui peuvent contribuer à exclure les femmes de certaines catégories d’emploi dans l’industrie du cinéma, nous avons passé en revue les études sur le sujet. La revue de littérature a d’abord montré que l’industrie du cinéma est un secteur d’activité compétitif et risqué où les emplois sont temporaires pour permettre aux organisations une meilleure flexibilité. Les individus suivent donc une carrière de type sans frontière parce qu’ils évoluent de contrat en contrat et de firme en firme. Le recrutement est informel donc les réseaux de contacts et la réputation sont des composantes essentielles pour réussir une carrière dans l’industrie du cinéma. En outre, pour remédier à l’insécurité provoquée par ce type de carrière, les individus forment souvent des équipes de travail qui cheminent ensemble de projet en projet. Cette formation d’équipe permet une certaine protection d’emploi, mais rend également les membres de l’équipe dépendants de leur chef. D’ailleurs, les chercheurs qui ont développé le modèle de carrière sans frontière ont analysé les carrières des individus dans l’industrie du cinéma parce que leur parcours professionnel est marqué par une mobilité inter firmes (De Fillippi et Arthur, 1998; Jones, 1996; Jones et De Fillippi, 1996). Il sera donc intéressant d’analyser les données recueillies sur les carrières des assistantes accessoiristes de plateau à l’aide de ce modèle pour déterminer si ce type de carrière désavantage les femmes comme Valcour et Tolbert (2010) le suggèrent, ou si à l’inverse, il peut procurer des avantages dans la progression de carrière des individus.

Le cadre théorique de notre recherche comprend également l’approche féministe en relations industrielles. Cette approche postule que les inégalités de genre, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques doivent être enrayées dans la société et sur le marché du travail. En outre, dans la mesure où les femmes sont très peu nombreuses dans le poste de chef

accessoiriste de plateau, cela pourrait créer des inégalités de revenu entre les genres, car ces femmes n’ont pas accès aux salaires plus élevés de chef. Par conséquent, il serait donc important de mettre en lumière les facteurs qui causent cette ségrégation verticale pour essayer d’y remédier.

De plus, comme les femmes composent la majorité de la main-d’œuvre dans le poste d’assistante accessoiriste de plateau et que les compétences requises pour ce poste sont davantage associées aux comportements stéréotypés féminins comme l’organisation, la propreté et la discrétion, on pourrait penser qu’elles subissent également une ségrégation horizontale qui les confine dans leur poste.

Bien qu’il existe plusieurs concepts pour tenter de comprendre ce qui freine les femmes dans leur progression de carrière, c’est l’approche de discrimination systémique de Chicha (1989) qui sera utilisée dans ce mémoire pour discerner les facteurs cumulatifs et interdépendants qui peuvent contribuer à limiter l’accès des femmes à certaines catégories d’emploi. C’est une approche dynamique qui met en lumière la complexité des facteurs sociaux et organisationnels qui peuvent se conjuguer pour discriminer les femmes à tous les niveaux dans les organisations de plusieurs secteurs d’activité.

Au Québec, les Réalisatrices équitables examinent attentivement la représentation des femmes créatrices à l’arrière (Lupien et Descarries, 2011) et à l’avant de l’écran (Lupien et al., 2013). Elles publient également plusieurs mises à jour de la situation des femmes scénaristes, réalisatrices et actrices sur leur site internet (2016), mais très peu de ces données concernent les techniciennes. Cette situation est probablement due au fait que l’AQTIS et IATSE 514 ne compilent pas ces données à l’inverse de la Sartec (association de scénaristes) et de l’UDA (association d’acteurs). Toutefois, la réalité des femmes qui sont en postes de création n’est pas la même que celle des techniciennes, car elles n’ont pas le même rapport de pouvoir vis-à- vis de l’équipe de tournage. Malgré toutes les difficultés qu’elles peuvent rencontrer, les réalisatrices, les productrices, les scénaristes et les actrices se situent en haut dans la ligne hiérarchique et bénéficient de plus de privilèges. Elles sont dans des postes où elles sont plus autonomes et libres que les assistantes accessoiristes qui sont sous l’autorité d’un chef et elles

ne vivent probablement pas les mêmes problématiques. Il est donc pertinent d’analyser plus en profondeur la réalité de ces techniciennes, car le phénomène n’est que peu documenté. Les quelques études qui se sont penchées sur le sujet ne concernent pas les techniciennes du Québec et malgré plusieurs similarités, les réalités cinématographiques ne sont pas identiques d’un pays à l’autre. Par exemple, en Nouvelle-Zélande, les techniciens sont tous des travailleurs autonomes non syndiqués (Jones et Pringle, 2015) à l’inverse des techniciens au Québec qui sont pour la plupart syndiqués.

La revue de littérature a identifié les difficultés qu’ont les femmes à progresser dans cette industrie. Ainsi, il existe une ségrégation verticale et une ségrégation horizontale, influencées, entre autres, par les stéréotypes de genre. En effet, les femmes sont sous-représentées dans les postes de pouvoir et les postes stratégiques et se concentrent dans les métiers à prédominance féminine et les postes d’assistantes.

Ainsi, les obstacles qui peuvent contribuer au plafonnement de carrière des femmes sont nombreux : 1) les stéréotypes de genre qui renforcent les rôles sexuels stéréotypés chez les individus; 2) l’effet de la masse critique qui renforce les stéréotypes de genre et qui met l’accent sur les différences sexuées des femmes dans une position minoritaire; 3) le double standard, car les performances des femmes au travail sont jugées plus sévèrement que celles des hommes ; 4) la double contrainte créant une certaine ambiguïté autour des comportements à adopter par les femmes sur les plateaux de tournage; 5) les normes organisationnelles de présentéisme désavantageuses pour les femmes; 6) le recrutement informel prisé dans ce milieu contribue à limiter l’accès des femmes de certains métiers, car elles ne sont pas présentes dans les « Old Boys Club » qui privilégient l’embauche de leurs semblables; 7) des mentors moins efficaces pour les femmes; 8) l’instabilité du milieu, la précarité financière qui émane des emplois temporaires, les longues heures de travail, la dispersion géographique des lieux de tournage et la disponibilité accrue qui est demandée sont des conditions de travail qui désavantageraient les mères, car elles auraient de la difficulté à équilibrer leur vie professionnelle et personnelle; 9) l’état civil et une structure familiale traditionnelle ajoutent une pression supplémentaire aux femmes qui vivent en couple à double carrière et 10) l’ambition professionnelle et les aspirations de carrière tendent à diminuer en vieillissant, car

les nombreuses difficultés rencontrées tout au long de la carrière par les femmes les conduisent parfois à revoir leurs ambitions à la baisse. Tous ces facteurs peuvent avoir une incidence négative sur la progression de carrière des femmes en les empêchant de gravir les échelons hiérarchiques de leur profession.

La question de recherche qui nous préoccupe est donc la suivante : quels sont les facteurs qui ont une incidence sur le succès objectif de carrière des assistantes accessoiristes de plateau dans l’industrie cinématographique au Québec?