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Stratégies d’adaptation sensorimotrice

6 Perception et action des conducteurs

6.3 Le contrôle moteur en conduite

6.3.3 Stratégies d’adaptation sensorimotrice

Si l'on se place dans le cadre d'une tâche de pointage ou de suivi de trajectoire, mettant en jeu un contrôle visuo-moteur de la main. Nous savons que notre système nerveux central convertit dans un premier temps les coordonnées de la position visuelle de la main dans un référentiel égocentré (en angles articulaires, en élongation des muscles et des tendons…) afin que celle-ci contribue à améliorer la perception purement proprioceptive de la main (Wolpett & al, 1995 ; Goodboy & al, 1999). Dans ce processus, la vision participe à la perception que nous avons des angles formés entre les différents segments du bras jusqu'à l'épaule, origine du référentiel égocentré utilisé. Lorsque le retour visuel est altéré, les erreurs de trajectoire augmentent, en raison d'une mauvaise estimation de la position de la main. Cependant, très

Couplage visuo-haptique en environnement de conduite simulée 57 rapidement, les mécanismes d'adaptation sensorimotrice permettent de converger de nouveau vers une trajectoire menant à la cible identifiée. De nombreux travaux ont montré que nous sommes capables, dans une certaine mesure, de nous adapter à des modifications du "mapping" visuo-moteur, engendrées le plus souvent par l'introduction d'une perturbation sur le retour visuel (Welch, 1986 ; Flanagan & Rao,

1995). Quelles sont les stratégies qui nous permettent d'accomplir cette adaptation

sensorimotrice ?

Modulation d’impédance

Cette stratégie "grossière" consiste à augmenter l’impédance des bras par co- contraction des muscles antagonistes. Le raidissement des bras permet d’en améliorer la stabilité et de les rendre plus robustes aux perturbations extérieures. D'après

(Gribble & al, 2003), la co-contraction des bras décroit lorsque la cible à atteindre

augmente, donc lorsque l’exigence de précision de la tâche diminue. Ce résultat laisse penser que dans une tâche de manipulation d’outil (quel que soit la nature du mouvement effectué), la modulation d’impédance serait une stratégie efficace pour limiter l’effet des perturbations extérieures. Elle permettrait en outre d’améliorer quasi-instantanément la précision du mouvement (Hogan, 1984).

Cette stratégie semble également intervenir dans la conduite automobile. D'après des mesures d'électromyographie réalisées sur les bras de conducteurs lors d'une tâche de simulation de conduite, (Pick & Cole, 2006, 2007) concluent que les sujets semblent avoir régulièrement recours à la co-contraction des muscles antagonistes pour raidir les bras lorsqu'ils tournent le volant ou qu'ils le maintiennent en position.

Modèles internes

Cette stratégie s'appuie sur des représentations du monde qui nous entoure, et de son fonctionnement. Nous avons tous constitué, grâce à notre faculté d'apprentissage, une multitude de modèles internes qui répertorient le fonctionnement des outils que nous manipulons couramment. Si l'on prend l'exemple de la conduite d'un véhicule, les conducteurs tiennent compte inconsciemment des caractéristiques dynamiques de leur véhicule. Ils ont recours à un modèle interne de la conduite pour prédire la trajectoire, en fonction de leurs actions sur le volant et les pédales.

C'est l'apprentissage qui permet d'alimenter nos modèles internes. Cette faculté permet d'optimiser la performance de réalisation d'une tâche en présence de perturbations. C'est l'observation faite par (Lackner & DiZio, 2005) au cours de deux expérimentations : la première consiste en une tâche de pointage, dans laquelle les sujets sont soumis à une rotation du corps autour de son axe. La deuxième, également une tâche de pointage, est réalisée à l'aide d'un bras haptique, permettant d'imposer une force perturbatrice aux mouvements des sujets.

Il en ressort que la performance de pointage se dégrade lorsque la force de Coriolis entre en action, et qu'il suffit de 40 essais d'apprentissage pour retrouver la performance de départ. Lorsque la force de Coriolis est annulée, la performance de

Couplage visuo-haptique en environnement de conduite simulée 58 pointage se dégrade à nouveau : c'est l'aftereffect9 (Figure 32. A). Mais cette fois la performance initiale est retrouvée après 20 essais à peine. Pour le bras haptique, 90 essais après l'introduction d'une force perturbatrice des mouvements de la main, la performance de pointage n'atteint toujours pas le niveau de performance initiale. Par contre, à partir du moment où la force perturbatrice est supprimée, on constate une vingtaine d'essais avec un phénomène d'aftereffect avant de retrouver la performance initiale. Cet aftereffect est inexistant si les sujets réalisent la tâche de pointage avec la main, après avoir utilisé le bras haptique avec la force perturbatrice (Figure 32. B & C).

L'apprentissage permet donc une auto-calibration adaptative, plus ou moins efficace, du contrôle moteur en fonction de la perturbation imposée. Dans le cas d'une perturbation haptique de la main pendant l'accomplissement d'une tâche de pointage, il semblerait que le modèle interne constitué pour l'utilisation du bras haptique soit utilisé uniquement lors de la manipulation de ce dispositif. Lorsque la main est utilisée directement, sans avoir recours à un bras à retour d'effort, la calibration initiale du contrôle moteur reprend le pas quasi-instantanément. Les sujets semblent se débarrasser du modèle interne du bras haptique pour le remplacer par un modèle interne des mouvements propres.

Figure 31 : - A : erreurs de pointage avant, pendant, et après exposition des sujets à une force de Coriolis. - B : erreurs de pointage avant, pendant, et après l’application d’une force perturbatrice à la main des sujets par l’intermédiaire d’un bras à retour d’effort. - C : mêmes conditions qu’en B, mais après la force perturbatrice, les sujets réalisent la tâche de pointage à main nue. (Lackner & DiZio, 2005)

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Couplage visuo-haptique en environnement de conduite simulée 59 Combinaison de stratégies

En réalité, dans la pratique, les deux stratégies sont utilisées en parallèle avec des pondérations variables en fonction de la nature de la tâche demandée. Lorsqu'un utilisateur est confronté à l'utilisation d'un système dont il ne connait pas le fonctionnement, la stratégie de co-contraction est instantanément utilisée, car elle garantit une plus grande robustesse aux perturbations extérieures (Morasso &

Sanguinetti, 2003).

Avec l'apprentissage, cette stratégie laisse progressivement place à l'utilisation de modèles internes, au fur et à mesure de leur élaboration. Les mouvements deviennent alors plus précis et plus fluides, car ce rééquilibrage s'accompagne d'une diminution progressive de la co-contraction des muscles (Gribble & al, 2003). Cette "stratégie compensatoire" se base sur un apprentissage, par le système nerveux central, de l'environnement dynamique avec lequel nous interagissons, afin de produire une commande motrice qui anticipe le comportement de ce dernier (Morasso &

Sanguinetti, 2003).

6.4 Conclusion

Nous avons vu que les conducteurs utilisent des indices visuels, tels que le "tangent point", le "gaze sampling", la vision périphérique, le flux rétinien, ainsi que son gradient de vitesses. Ces indices leur permettent d'une part d'alimenter un modèle inverse en boucle ouverte, couplé à un modèle interne du fonctionnement du véhicule, pour estimer l'angle à appliquer au volant afin de suivre une trajectoire. D'autre part, ils fournissent un retour d'information en boucle fermée, permettant de corriger les erreurs de prédiction réalisée par la boucle ouverte.

Figure 32 : Modèle des interactions sensorimotrices impliquées dans une tâche de conduite. (Pick & Cole, 2003)

Couplage visuo-haptique en environnement de conduite simulée 60 Pour servir de support à une synthèse, nous reprenons ici un modèle proposé par

(Pick & Cole, 2003), qui décrit les interactions sensorimotrices propres à une tâche de

conduite (Figure 33). Dans un premier temps, en fonction des indices visuels de la route, le conducteur planifie une trajectoire à suivre, ainsi que les actions à effectuer au volant pour y parvenir. Ensuite, une boucle fermée s'engage, dans laquelle le système nerveux central intègre cette trajectoire planifiée ; la dynamique du véhicule par les indices visuels et vestibulaires de la conduite ; l'état de ses bras et les informations de retour d'effort transmises par le volant grâce à une multitude d'indices haptiques, visuels et proprioceptifs. Il en ressort une commande motrice qui activera le comportement des bras du conducteur afin de mettre à jour l'angle au volant. Dans ce modèle, seule la stratégie des modèles internes n'est pas représentée.

Ici, les bras sont considérés comme un système indépendant, dans la mesure où ils possèdent une inertie et un temps de réponse pour le système nerveux central. C'est à travers ses bras que le conducteur pourra appliquer simultanément la stratégie de modulation d'impédance par contraction des muscles, et la stratégie des modèles internes, consistant à prendre en compte, dans la production de la commande motrice, un schéma mental de la dynamique du véhicule. Cette dernière permet d'anticiper les effets des actions au volant sur la trajectoire, et de prendre en compte cette information pour produire la commande motrice nécessaire. Cela vaut également pour les éventuelles perturbations qui viendraient modifier le fonctionnement du véhicule. Par exemple, les conducteurs ont conscience que leur distance de freinage est plus grande sur sol mouillé. Ils adaptent en conséquence leurs modèles internes pour intégrer ce changement de propriété. Ils ont ainsi tendance à freiner moins fort, dès la sollicitation de la pédale.

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7 Les systèmes embarqués