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Méthode du "tangent point" en conduite

6 Perception et action des conducteurs

6.2 Méthode du "tangent point" en conduite

C'est (Land & Lee, 1994) qui observent en premier cette propriété des conducteurs, qui consiste à fixer le regard sur le point tangent à la courbe intérieure de la route, lors de manœuvres de prise de virage. Cette méthode est baptisée "tangent point", c'est l'une des stratégies visuelles employées par les conducteurs pour planifier leur trajectoire en courbe.

Lors d'une expérimentation, ils font conduire à des sujets, un véhicule équipé d'un dispositif pour enregistrer l'angle au volant, et d'une caméra pour enregistrer la direction du regard des conducteurs. Ils s'aperçoivent que les angles de direction du regard et de direction de lacet du véhicule évoluent de façon corrélée (Figure 28). De plus, en analysant la dispersion des points de fixation, on s’aperçoit que les conducteurs fixent, pendant 80% de la durée expérimentale, le "tangent point".

Couplage visuo-haptique en environnement de conduite simulée 52 Figure 27 : A gauche : enregistrements pour deux sujets lors d'une tâche de conduite, représentant l'évolution des angles de direction du regard et de lacet du véhicule. On voit que pour les deux sujets, les deux courbes son parfaitement superposables, suggérant que les conducteurs regardent dans la direction où ils tournent le volant.

A droite : représentation de la densité de répartition des points de fixation du regard. On voit que les conducteurs ont tendance à fixer le point tangent au bord courbe de la route. (Land & Lee, 1994)

Afin d'expliquer ce comportement, les auteurs suggèrent que le "tangent point" fournit une mesure très facile de la courbure d’un virage. En effet, en connaissant l'angle entre la direction du regard et la direction de lacet du véhicule, il est très facile de déduire la courbure de la route, par quelques règles trigonométriques de base. D'après les résultats de cette expérimentation, c'est probablement le calcul fait par notre cerveau pour évaluer l'évolution de la courbure d'un virage. En outre, l'angle mesuré par le "tangent point" semble être proportionnel à l’angle qui est appliqué au volant.

Dans une revue d'articles, (Land, 2001) suggère que le "tangent point" pourrait avoir une propriété supplémentaire qui le rend si intéressant. En effet, la zone au sol autour du "tangent point" est la seule zone du champ visuel où le flux visuel est stationnaire (Figure 29. D). C'est donc la seule zone où les yeux peuvent se reposer sans subir en permanence le réflexe opto-cinétique, propre à l'observation des flux visuels latéraux.

Cependant, (Wilkie & Wann, 2003) relativisent le rôle du "tangent point" dans la stratégie visuelle de prise de virage. D'après leurs expérimentations, le rôle du flux visuel extra-rétinien (vision périphérique), mais également du gradient de vitesse (mesurable sur la Figure 29 par la différence de longueur des lignes), jouent également un rôle de tout premier plan dans la perception d'une trajectoire courbe. Ces indices participent à la perception de la courbure de notre trajectoire, suivant des pondérations qui peuvent varier en fonction des conditions d'efficacité de chaque indice. Par exemple, en fonction de la texture du sol, ou de l'éclairement de la route, le gradient de vitesse des différents points du champ visuel peut être difficilement perceptible.

Couplage visuo-haptique en environnement de conduite simulée 53 Dans ce cas, il sera accordé plus de poids aux indices issus du flux visuel extra- rétinien et du "tangent point".

Figure 28 : Schémas du flux rétinien dans différentes conditions de déplacement et d'observation. - A : Le sujet se déplace droit devant et regarde dans la même direction. Le flux visuel est rectiligne et converge vers le point de fixation du regard. - B : Le sujet se déplace droit devant et regarde sur la gauche. La direction du regard forme un angle avec la direction de déplacement. A gauche du point de fixation, le flux visuel se courbe. - C : Le sujet se déplace en tournant sur la gauche et regarde droit devant. On observe le même flux rétinien qu'en B et C. - D : Le sujet se déplace en ligne droite, tout en fixant un point au sol sur la gauche de la direction de déplacement. On observe qu'autour du point de fixation (représenté par un "o"), le flux visuel est stationnaire. Il a tendance à tourbillonner autour de ce point. (Wilkie & Wann, 2003)

Il n’en demeure pas moins que la méthode du "tangent point" reste naturellement employée 80% du temps en virage. Le fait que les conducteurs emploient inconsciemment cette méthode, nous incite à penser qu’elle est particulièrement efficace et précise, sans pour autant requérir une attention excessive de la part des conducteurs.

À titre d’exemple, (Kandil & al, 2009) comparent deux méthodes de suivi de trajectoire en voiture : la méthode du "tangent point" et celle du "gaze sampling". Cette dernière consiste à fixer des points successifs de la trajectoire à suivre. La perception du flux optique, permet alors de corriger un angle trop important au volant (survirage), ou un angle insuffisant au volant (sous-virage) (Figure 30). Les résultats de l’étude confirment que les conducteurs utilisent naturellement la méthode du "tangent point", ils n’ont pas recours d’eux-mêmes au "gaze sampling". Lorsqu’on les force à utiliser les deux méthodes, on observe que pour la condition "tangent point", les conducteurs ont une conduite plus fluide en termes de positionnement du véhicule en entrée de virage, et de stabilité de la position volant. Ces résultats conduisent les auteurs à conclure que la prise de virage est plus "fluide" en observant le "tangent point". Dans une étude ultérieure, (Kandil & al, 2010) vont plus loin en démontrant

Couplage visuo-haptique en environnement de conduite simulée 54 que plus le virage est serré, moins la visibilité est bonne, plus les conducteurs ont recours à la méthode du "tangent point" pour estimer la courbure d’un virage.

Figure 29 : La méthode du "gaze sampling" consiste à fixer des points successifs sur la trajectoire que l’ont doit suivre. Afin de corriger leur trajectoire, les conducteurs utilisent le flux optique pour savoir s’ils sont en situation de sous-virage, de survirage, ou de virage correct. (Kandil & al, 2009)

Pour contrebalancer cette théorie, certaines études relativisent l’unanimité de l’importance du rôle du "tangent point", dans le suivi d’une trajectoire courbe. C’est le cas de (Robertshaw & Wilkie, 2008) qui remarquent dans leur expérimentation que l’utilisation de la méthode du "tangent point" ne favorise pas particulièrement une prise en main plus précise du volant. Leurs résultats tendent plutôt à démontrer que les conducteurs tournent dans la direction où ils regardent. En fait, les conducteurs fixent leur regard sur des points de la route par lesquels ils veulent passer, ou qu’ils veulent inclure dans leur trajectoire. Ce qui accrédite la thèse du "gaze sampling".