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4 STRATEGIES D’ADAPTATION DES ACTEURS FACE AUX

4.3 FACE AUX PROBLEMES D ’ APPROVISIONNEMENT DES MARCHES : COORDINATION

4.3.1 Stratégies d’adaptation des producteurs

Les stratégies d’adaptation des producteurs face aux problèmes d’approvisionnement des marchés peuvent être issues d’initiative commune mais le plus souvent elles sont à caractère individuel. Deux grands types de stratégie ont été identifiées : la vente groupée et la fidélisation à un acheteur.

4.3.1.1 Coordination horizontale

Au cours des entretiens effectués sur les marchés, aucun cas de stratégie commerciale en commun des producteurs n’a été rencontré. Tandis que les stratégies de production (champs communautaires, entraide) et de transformation (entraide) sont courantes, que les producteurs fassent ou non partie d’un GIC.

Cependant, des initiatives de commercialisation en commun de producteurs existent concernant la filière manioc. En effet, la rencontre avec des responsables de l’organisation non gouvernementale Organisme de Développement, d’Étude, de formation et de Conseils (ODECO) nous a permis de prendre connaissance du cas de la commercialisation collective de bâtons de manioc du GIC Nnem Mbock de Ngalli II. Ce groupe a son siège dans le village de Ngalli II situé à 28 km de Yaoundé.

Le groupe Nnem Mbock comporte un bureau exécutif, un comité de solidarité (même fonctionnement qu’une caisse secours) et un comité de commercialisation. Ce comité de commercialisation est composé de trois femmes élues pour deux ans et chargées de commercialiser les produits du groupe. Les produits vendus de manière groupée de ce GIC sont essentiellement les bâtons de manioc. Les autres denrées sont commercialisées de manière individuelle car la production n’est pas importante.

Traditionnellement, les femmes vendent individuellement leurs produits au marché de Nkometou se trouvant à 8 km du village, particulièrement le dimanche qui est le grand jour de marché. Chaque producteur prépare ses produits. Pour réduire les coûts de transport, les producteurs peuvent s’organiser pour se rendre ensemble au marché afin de remplir un car ou une pick-up (250 Fcfa/filet de 100 bâtons) au lieu de se rendre seule sur le marché en moto (500 Fcfa/filet de 100 bâtons).

Mais face aux difficultés rencontrées par certains membres (saturation du marché local pour le manioc frais avec chute des prix, maintien d’un prix important du transport, manque de liquidité), le GIC a décidé de mettre en place un champ collectif de manioc avec commercialisation collective des produits issus de ce champ. De plus, pour commercialiser son produit sur le marché, le producteur doit avancer de l’argent que ce soit pour acheter le matériel nécessaire pour sa confection (feuilles de marantacées pour les bâtons) ou son conditionnement (sacs, filets, bacos), pour transporter les produits et louer un espace de vente sur le marché. Les bâtons de manioc vendus collectivement sont réalisés à partir du manioc provenant du champ communautaire du groupe et non des champs individuels des membres. Toutes les opérations de la production à la transformation du produit sont réalisées de manière rotative par l’ensemble des producteurs. Les bâtons sont vendus à Yaoundé (marché de Mfoundi). Le GIC a identifié des transporteurs avec lesquels a été signé un contrat de transport selon lequel le transport coûte 300 Fcfa/filet de 100 bâtons en car ou « OPEP » de Ngalli 2 à Yaoundé (au lieu du prix de 350-400 Fcfa normalement) et la quantité minimum transportée est de 10 filets pour l’« OPEP » et 30 filets pour le car Hiace.

Avant d’aller vendre leurs produits sur ce marché, les membres ont prospecté le marché, pris contact avec quelques acheteurs sur place. A l’issue de ces négociations et ont noué des relations avec cinq acheteurs de bâtons de manioc. C’est sur la base de leur entente verbale que les femmes livrent les bâtons le lundi et le jeudi. Elles sont payées en espèce immédiatement après vérification de la livraison (comptage).

L’avantage de vendre à des acheteurs préalablement identifiés est une durée d’attente pour vendre la marchandise ne dépassant pas une heure, juste le temps de vérification des quantités et du paiement. Les négociations sont faites à l’avance ce qui fait que le jour convenu le comité de commercialisation fait tout simplement la livraison. Tandis que la vente aux revendeurs sans accord préalable a de nombreuses contraintes. En effet, dans ce cas de figure, le temps pour les négociations est souvent long et très souvent du fait de leur manque d’avoirs elles ne paient pas tout de suite. Il faut parfois attendre 2 à 3 heures, le temps qu’elles aient vendu la quantité de bâtons nécessaire pour régler le livreur. Cependant, la vente avec négociation à l’avance a comme désavantage la vente à un prix fixé sans tenir compte des conditions du marché du jour de livraison. Or le prix fixé est sur les bases d’une situation d’abondance de bâtons sur le marché. Donc il y a un manque à gagner en comparaison avec la vente avec négociation (perte de 700 Fcfa par filet de 100 bâtons).

Au retour du marché, l’argent est mis dans la caisse du GIC. Une partie (10%) servira comme fond de roulement pour le fonctionnement du GIC. Le reste est mis de côté dans une caisse dans laquelle les membres peuvent retirer l’argent, au prorata des jours travaillés dans le champ communautaire, pour financer leurs activités de production et de commercialisation individuelles.

La fonction de « compte courant » mise en place par le GIC a permis de résoudre le problème des besoins financiers des membres pour commercialiser leurs produits individuellement. Mais le problème de surproduction demeure : les femmes ne peuvent faire face au manque de débouchés pour le manioc frais sur le marché d’où la vente individuelle des producteurs du manioc sous forme de bâtons.

4.3.1.2 Fidélisation producteur-acheteur

Cette fidélisation peut se faire soit au niveau de la zone de production, du village avec des collecteurs soit au niveau des marchés urbains avec des revendeurs ou des grossistes.

4.3.1.2.1 Fidélisation producteur-collecteur

La fidélisation entre producteur et collecteur se caractérise par une fixation des prix d’achat dont la variation saisonnière est moins importante que celle des prix de vente. Les prix sont variables en fonction des possibilités de commercialisation des producteurs directement sur les marchés urbains et en fonction des informations dont il dispose. Par exemple, la Fédération des unions de GIC de la Méfou et Akono (FUGIMA) de Ngoumou, dont les membres commercialisent leurs bâtons de manière individuelle, à la fréquence d’une à deux semaines, s’était fidélisée avec un collecteur qui était l’intermédiaire d’un importateur de bâtons sur la France à raison d’une vente à 50 Fcfa par bâton de 250 g soit le prix le plus courant auquel ils vendent leurs bâtons sur Yaoundé. Tandis que le prix d’achat des collecteurs auprès des producteurs ne venant que rarement sur les marchés urbains de Yaoundé ne sont que de 25 Fcfa par bâton. Or avec un tel prix les membres de la FUGIMA préfèrent aller vendre directement leur marchandise sur Yaoundé.

Les collecteurs passent des commandes pour que les producteurs aient le temps de faire rouir le manioc et de le transformer. La qualité est avec le prix pratiqué localement le caractère principal du choix de la zone. Par conséquent, le collecteur est intransigeant sur l’aspect qualitatif du produit et en cas de déficience le collecteur risque de rompre le « contrat » passé avec son fournisseur. Selon les quantités escomptées de produits transformés, le collecteur fidélisé peut passer par un ou plusieurs producteurs. Si les quantités sont importantes, le collecteur a pour stratégie de se fidéliser avec des producteurs organisés en association. Ainsi, il s’assure d’une bonne qualité du produit sous l’effet de la pression du groupe sur l’ensemble des producteurs. La vente à crédit peut aussi avoir lieu mais ne peut s’instaurer qu’après des commandes fréquentes et régulières le temps que la confiance s’instaure pour les producteurs. De plus, avec ce type de négociation des contrats oraux sont passés entre le collecteur et les producteurs qui fixent le prix à l’unité et la nature du produit. Les paramètres des transactions tels que le lieu de la livraison, la date de livraison et la quantité sont réajustables d’une commande sur l’autre (le lieu par les producteurs ; la quantité par le collecteur ; la date par le collecteur). Mais de tels accords sont surtout possibles à proximité des grandes agglomérations car en cas de rétractation de l’acheteur sur sa commande la présence d’un marché à fort débouché joue le rôle d’assurance. Le règlement peut être fait en totalité au moment de la livraison chez le producteur, ou une avance peut être faite au moment de la commande dont la valeur va du tiers à la moitié de la somme totale, le restant sera réglé au moment de la livraison. Cette demande d’avance faite par le producteur-transformateur lui sert d’assurance en cas de désistement de l’acheteur alors que le produit est confectionné. Plus le producteur se trouve dans une zone enclavée et plus il demandera au collecteur de faire une avance pour se prémunir du risque de rétractation.

Dans le cas des racines de manioc, le collecteur fidélisé n’habitant pas la zone de production passe sa commande par téléphone à un intermédiaire se trouvant sur la zone en lui indiquant la nature du manioc qu’il désire, la date où il viendra chercher la marchandise et la quantité. Dans ce cas de figure, le passage par un intermédiaire est nécessaire car ce type d’achat n’est pas régulier mais conjoncturel. Le collecteur arrive sur la zone la veille de la livraison afin de confirmer sa commande auprès des producteurs (pas de récolte si pas de confirmation de la commande d’où pas de perte de marchandise possible).

Les avantages pour les producteurs sont qu’ils n’ont pas besoin de s’éloigner de leur lieu de résidence, que les volumes sont consistants par rapport au marché local et que les frais de transport du village au lieu de commercialisation sont à la charge du semi-grossiste et donc les risques y afférant. Tandis que la fidélisation permet aux collecteurs de s’assurer d’une très bonne qualité de marchandise sous le coup de la menace. De plus, la vente à prix fixé a pour principal inconvénient pour le producteur de ne pas tenir compte des conditions du marché du jour de livraison. Or le prix fixé est sur les bases d’une situation d’abondance de produit sur le marché. Donc il y a un manque à gagner pour les producteurs en comparaison avec la vente négociée sur les marchés urbains de Yaoundé.

4.3.1.2.2 Fidélisation avec des commerçants sur les marchés urbains

La vente avec fidélisation entre producteurs-grossistes et commerçants basés sur les marchés urbains est différente de celle avec les collecteurs. En effet, dans le précédant cas, la fidélisation était synonyme de prix fixé. Tandis que dans ce cas, la fidélisation rime avec vente à crédit. Ce lien est d’autant plus fort qu’il existe un lien direct entre les acteurs en dehors de cette simple transaction (parenté, origine,

déplacement sur la zone de production). En effet, dans le cas des enquêtes au niveau de Ngoumou, 42,5% des producteurs reconnaissent avoir une relation fidélisée avec un revendeur de bâtons sur les marchés de Mvog-Mbi ou de Mokolo.

Les prix d’achat dépendent de l’approvisionnement du marché et peuvent être très variables sur une courte période pour les produits les plus périssables (bâtons et manioc) tandis que pour le macabo les variations de prix qui sont importantes (du simple au double) sont saisonnières. La vente fidélisée à un opérateur a de nombreux avantages. Tout d’abord, les volumes vendus par les producteurs sont consistants par rapport à leur marché local. De plus, le producteur ne perd pas de temps du fait de son assurance d’écoulement du produit. Enfin, le risque de se faire payer à un prix inférieur du prix du marché est amoindri. Si un tel cas de figure arrive et que le producteur l’apprend, il y aura perte de confiance dans cet acheteur et donc rupture du contrat tacite de livraison avec ce dernier. En cas de rupture de contrat, l’approvisionnement de ce revendeur sera donc plus difficile. Ce qui aura pour conséquence au niveau du revendeur, s’il veut garder son revenu mensuel stable, de se lever plus tôt pour avoir de la marchandise et donc une qualité de vie familiale moindre. Cependant, l’ensemble des risques de la commercialisation dus au transport est à la charge des producteurs. Les problèmes de transport (état des routes, état des véhicules) peuvent retarder l’acheminement des produits par les producteurs d’où un risque de perte de marchandise et de perte de sa valeur.

Cet accord fidélisé, qui est entretenu de manière commune par des présents faits de part et d’autre, est aussi une garantie de sécurité pour le commerçant du fait de la qualité du produit. Dans le cas contraire, il risque en effet de rompre l’accord ce qui s’accompagnerait de la perte des nombreux avantages qu’en retire le producteur. Ce type d’accord permet aussi au commerçant fidélisé de s’approvisionner à moindre frais du fait de l’achat à crédit de la marchandise. Le commerçant paye le producteur-grossiste après avoir vendu les quantités nécessaires pour s’acquitter de la somme due au producteur. Et si le commerçant n’a pas réussi à vendre assez de marchandise au moment du départ du producteur, il règlera le restant dans un délai de quelques jours. De plus, dans le cas des bâtons, avec ce type d’accord, le producteur-grossiste peut aussi envoyer sa marchandise sans l’accompagner sur le marché. Pour cela, il demande au chauffeur de livrer le colis à ce commerçant. Le délai de paiement de la marchandise est le même que précédemment. L’argent sera transmis par l’intermédiaire d’un autre producteur du village venu sur le marché ou du chauffeur qui a transporté la marchandise. Généralement dans le cas du macabo, il n’y a pas le même type de crédit (possibilité de départ sans la totalité de l’argent) que celui fait avec la vente du manioc. Ceci s’explique par le fait que le producteur vient de relativement loin et ne revient pas régulièrement au niveau des marchés et que les villages des zones de production importante en macabo ne sont pas couvertes par des lignes « OPEP » comme le sont les villages « manioc » entourant la ville de Yaoundé. Le transport public consiste à emprunter des agences de voyage puis à prendre une moto-taxi d’où un problème de sécurité des transferts de fonds. Par conséquent, le producteur peut rester deux à trois jours sur Yaoundé le temps d’être payé en totalité et sera logé dans ce cas de figure chez une parenté ou le commerçant.