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Synthèse des principales caractéristiques des taxa

Face aux diverses conditions environnementales rencontrées sur les récifs, les taxa de coraux étudiés ont montré une forte variabilité dans leur susceptibilité et leur réponse en termes de structure de taille des populations, de recrutement, de dynamique et de cinétique de transition, et ce à différentes échelles spatiales, temporelles et taxinomiques (cf., sections III.4.a. à III.4.c.). Basée sur ces données quantitatives de dynamique des populations, la présente section synthétise les principaux traits d’histoire de vie de ces taxa afin d'examiner les différentes stratégies qui font de ces espèces les taxa dominants des communautés coralliennes dans l’Indo-Pacifique.

177 Pocillopora est le taxon qui investit le plus dans la production et la dispersion des larves (Adjeroud et al. 2007a ; McClanahan et al. 2007 ; Penin 2007). L'allo-recrutement semble important pour ce taxa, comme le suggèrent nos résultats (Tableau 37) ainsi que ceux d'une étude de génétique de populations qui met en évidence des flux géniques très intenses à l'échelle de l'archipel de la Société (Magalon et al. 2005). Grace à cette caractéristique, Pocillopora dispose des meilleurs atouts pour la colonisation de nouveaux habitats ou encore la recolonisation de sites dénudés du recouvrement corallien suite à une perturbation. Les colonies de Pocillopora montrent une cinétique de croissance, une capacité compétitrice et une susceptibilité aux perturbations naturelles intermédiaires entre les genres Acropora et Porites (Harriott 1999 ; Connell et al. 2004; McClanahan et al. 2007 ; Adjeroud et al. 2009 ; Kayal et al. sous presse). Les populations de Pocillopora se caractérisent par des tailles de colonies relativement petites avec des longévités relativement courtes (Adjeroud et al. 2007b, la présente étude).

Les espèces de Porites massifs se caractérisent par une grande résistance face à diverses perturbations tels que les phénomènes de blanchissement (McClanahan et al. 2007 ; Penin et al. 2007b), les cyclones (De’ath & Moran 1998 ; Adjeroud et al. 2005 ; la présente étude) ou encore les proliférations d’Acanthaster planci (Faure 1989 ; De’ath & Moran 1998 ; Pratchett 2009 ; Kayal et al. sous presse). A l’inverse de Pocillopora, le genre Porites investit faiblement dans la production et la dispersion des larves pour la colonisation de nouveaux habitats (Adjeroud et al. 2007a ; Penin 2007). La contribution de l’auto-recrutement au maintien des populations locales semble importante (Tableau 37). De même, les colonies de Porites présentent généralement une faible vitesse de croissance et une faible capacité compétitrice sur le substrat, notamment face aux autres scléractiniaires ou à diverses communautés algales (Miller & Hay 1998 ; Lirman 2001 ; Jompa & McCook 2002 ; Connell et al. 2004). Néanmoins, une fois établies sur le récif, les colonies de Porites sont difficilement extirpables grâce à leur forte résistance aux perturbations et à leur capacité à montrer une mortalité partielle plutôt que totale (Kayal et al. sous presse ; la présente étude), ce qui se traduit par une forte longévité, de grandes tailles, et une persistance des colonies au sein des habitats récifaux (Adjeroud et al. 2007b ; McClanahan et al. 2007 ; Green et al. 2008 ; Adjeroud et al. 2009).

178 Le genre Acropora se caractérise par une vitesse de croissance relativement élevée et une bonne compétitivité des colonies pour la préemption de l’espace et des ressources sur le récif (Stimson 1985 ; Harriott 1999 ; Baird & Hughes 2000 ; Connell et al. 2004). En termes de recrutement, le genre Acropora montre une stratégie intermédiaire entre les genres Pocillopra et Porites (Tableau 37), avec un recrutement relativement faible et dissocié des populations résidentes (Adjeroud et al. 2007a ; Penin 2007 ; la présente étude). Le genre Acropora montre une grande susceptibilité à diverses perturbations tels que les phénomènes de blanchissement (McClanahan et al. 2007 ; Penin et al. 2007b), les cyclones (Adjeroud et al. 2005, 2009), ou encore les proliférations d’Acanthaster planci (Faure 1989 ; De’ath & Moran 1998 ; Pratchett et al. 2009 ; Kayal et al. sous presse). Ces perturbations semblent restreindre les populations d’Acropora à de petites tailles de colonies, et résultent en une extirpation rapide des Acropora des communautés coralliennes due à une forte probabilité de mortalité et des phénomènes de mortalité partielle plus intenses (Kayal et al. sous presse).

Stratégies évolutives des taxa

Sur les récifs de Polynésie française, le genre Pocillopora se caractérise par un fort investissement dans la reproduction, mais une relative faible durée de vie, une capacité compétitrice moyenne, et de petites tailles de colonies (Tableau 37). L’ensemble de ces traits d’histoire de vie est assimilable à une stratégie de vie opportuniste de type r, avec un bon potentiel de colonisation des habitats mais une relative faible capacité à persister face à une pression compétitrice importante (Pianka 1972 ; Connell 1978 ; Parry 1981). Contrairement au Pocillopora, le genre Porites démontre un faible investissement dans la reproduction, mais avec une bonne survie et des populations caractérisées par des colonies de grandes tailles (Tableau 37). Ces traits d’histoire de vie sont proches de celles qui caractérisent une stratégie de vie « equilibrium » (ou « spécialiste ») de type K, avec des espèces à faible taux de colonisation mais à grands succès au sein des habitats (Pianka 1972 ; Connell 1978 ; Parry 1981). Cependant, contrairement à une stratégie purement de type K, les colonies de Porites ne sont pas de bons compétiteurs pour l’espace sur le récif (cf., ci-dessus). A l’opposé de Porites, le genre Acropora montre une forte capacité compétitrice sur le substrat et un faible recrutement (Tableau 37), ce qui l’assimile également à une stratégie de type K. Cependant, la forte susceptibilité de ce taxon à diverses perturbations semble restreindre la taille des colonies et des populations au sein des habitats récifaux (cf., ci-dessus).

179 La dichotomie de la classification des stratégies de vie des espèces selon la simple dimension r-K a été critiquée par de nombreux auteurs, soulignant l’insuffisance de ce schéma pour représenter la diversité des stratégies observée dans la nature. Dès 1970, Pianka soulignait qu’il serait difficile de trouver des organismes à stratégie purement de type r ou K, mais que les espèces devaient trouver un compromis situé quelque part dans le continuum entre ces deux extrêmes (Pianka 1970). Quelques années plus tard, Southwood (1977) et Whittaker & Goodman (1979) soulignaient le rôle des caractéristiques des habitats, et notamment la stabilité et la sévérité environnementale, dans la stratégie de vie des espèces. En 1974, Grime proposait un modèle tripartite (Figure 75) sur les différents types de stratégies fondamentales rencontrées chez les plantes (Grime 1974, 1977). D’après cet auteur, les habitats naturels peuvent être classifiés selon un espace bidimensionnelle entre un gradient de stress abiotique et un gradient de perturbation. Selon ce schéma, il existe trois types d’habitats exploitables par les plantes et où les espèces ont évolué de façon adaptée, (1) habitat à stress abiotique bénin et perturbation faible, (2) habitat à stress abiotique sévère et perturbation faible et (3) habitat à stress abiotique bénin et perturbation intense, et un quatrième habitat non viable, (4) habitat à stress abiotique sévère et perturbation intense ; et pour chaque type d’habitat viable il existe un type de stratégie évolutive associée, (1) stratégie compétitive, (2) stratégie stress-tolérante et (3) stratégie rudérale (Figure 75).

Les stratégies rudérale et stress-tolérante correspondent respectivement aux stratégies de type r et K du modèle dichotomal, tandis que la stratégie compétitive constituerait un intermédiaire sur le continuum r-K (Grime 1974, 1977). Encore une fois, ces stratégies représentent des extrêmes théoriques, la majorité des plantes présentant des stratégies basées sur un compromis dans la résistance aux pressions compétitives, abiotiques et d’instabilité environnementale. Depuis l’exposition initiale du modèle triangulaire par Grime (1974), ces stratégies de vie ont été identifiées dans diverses communautés végétales (Grime 1977 ; Brzeziecki & Kienast 1994) et animales (Winemiller & Rose 1992 ; Winemiller 2005).

180 Figure 75. Schéma conceptuel représentant le model triangulaire de Grime (1974) selon laquelle les stratégies

rencontrées chez les plantes (combinaisons entre C, S et R) émergent d’un arrangement de trois stratégies fondamentales basées sur la compétitivité (C pour competition, ici au sommet du triangle), la tolérance au stress

(S pour stress, ici au coin gauche du triangle) et la capacité de colonisation (R pour ruderal, ici au coin droit du triangle), adapté d’après Grime (1977). La position relative des trois taxa de coraux étudiés (Acropora,

Pocillopora et Porites) est illustrée.

Sur un modèle « grimien » (Grime 1974, 1977), Pocillopora présente une stratégie rudérale adaptée à la colonisation des habitats dans un environnement instable, avec une courte durée de vie et un fort investissement dans la reproduction (Figure 75). Porites montre une stratégie stress-tolérante adaptée à perdurer dans un environnement marginal, avec une forte persistance des colonies et un faible investissement dans la reproduction. Acropora présente une stratégie de vie compétitive adaptée à la préemption des ressources dans un environnement bénin, avec une forte aptitude à la croissance et un relatif faible investissement dans la reproduction et la survie (Figure 75). En 1979, Bak & Engel avaient déjà identifié trois stratégies de vie distinctes parmi les coraux des récifs des Antilles hollandaises, avec une stratégie basée sur le recrutement avec une faible compétitivité et une courte durée de vie (équivalente de la stratégie opportuniste de Pocillopora), une stratégie basée sur la longévité avec un faible recrutement (équivalente de la stratégie stress-tolérante de Porites), et une stratégie basée sur la reproduction asexuée par fragmentation (qui correspondrait à la stratégie compétitive d’Acropora ; Bak & Engel 1979). Loin d’aller à l’encontre de l’hypothèse d’existence d’un compromis tripartite de type « grimien » dans la stratégie de vie des espèces coralliennes, cette observation par Bak & Engel consolide d’autant plus cette hypothèse que

181 parmi les taxa étudiés, seul Acropora semble montrer un réel succès de reproduction asexuée basée sur la dissémination de fragments et la génération de nouvelles colonies (p.s., les données de fragmentation issues de la présente étude ne sont pas reportées dans le cadre de ce manuscrit).

Implications pour les communautés récifales

Les taxa coralliens présentent des traits d’histoire de vie diversifiés, ce qui résulte en un panel varié de performances, de susceptibilités et de réponses des coraux sous diverses conditions environnementales. Cette variabilité intrinsèque génère des paysages coralliens fortement diversifiés en termes de composition, de structure et de taille des communautés coralliennes (Adjeroud et al. 2007b ; Kayal et al. sous presse ; la présente étude), ce qui à son tour joue un rôle important pour la faune récifale associée via des interactions trophiques et liées à la disponibilité des habitats (Öhman & Rajasuriya 1998 ; Spalding & Jarvis 2002 ; Grabowski et al. 2008 ; Graham et al. 2008 ; Halford & Caley 2009 ; la présente étude). Selon leur stratégie de vie respective, les espèces coralliennes ne prospèrent pas sous les mêmes conditions environnementales. Les perturbations intenses ont tendance à profiter aux espèces les plus opportunistes aptes à une recolonisation rapide des habitats suite à l’extirpation des coraux (ici Pocillopora), sous réserve bien sûr de la disponibilité et de l’approvisionnement en larves à partir des populations adjacentes. Les perturbations récurrentes ou les stress chroniques profitent plutôt aux espèces les plus résistantes difficilement extirpables (ici Porites), à condition de ne pas aller au-delà du seuil de tolérance de ces espèces. Une relative stabilité environnementale en l’absence de perturbation majeure est optimale pour la pérennité des espèces compétitrices (ici Acropora), mais de telles conditions semblent de nos jours globalement en raréfaction sur les récifs coralliens. Avec l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des perturbations sur les récifs coralliens à l’échelle planétaire, un essor des espèces stress-tolérantes au sein des communautés coralliennes est proéminant dans diverses régions du globe (Loya et al. 2001 ; McClanahan et al. 2007 ; Green et al. 2008 ; Adjeroud et al. 2009 ; Pratchett et al. 2009 ; la présente étude). Cette dérive progressive de la composition des assemblages coralliens risque d’avoir des implications majeures en termes de diversité, de productivité et de services écologiques auprès de nombreuses communautés animales et végétales, y compris pour l’homme.

182 III.4.e. Perspectives

Ce chapitre a permis de quantifier la dynamique des populations des principaux taxa coralliens, et d'examiner la diversité de leurs traits d’histoire de vie et leur susceptibilité face aux perturbations. Ces différences dans les stratégies de vie des espèces soulignent particulièrement le rôle des conditions environnementales dans les performances et le succès des divers taxa au sein des habitats récifaux.

Une question cruciale est de déterminer dans quelle mesure la variabilité environnementale prédite pour les prochaines décennies risque d’influencer la trajectoire des populations et la structure des communautés coralliennes. Tandis que le Chapitre IV de ce manuscrit tente de répondre en partie à cette question en modélisant la trajectoire des principaux taxa coralliens sous divers scénarios environnementaux, un outil de prédiction efficace de la dynamique de ces communautés constituerait une avancée majeure, permettant d’anticiper les altérations des habitats récifaux sur de grandes échelles temporelles.

En outre, une continuité des suivis de la dynamique des populations de coraux sur les pentes externes récifales de Moorea permettrait non seulement d'examiner la dynamique de recolonisation et de résilience, mais également d’identifier les divers facteurs environnementaux qui jouent un rôle clef dans la régulation des communautés coralliennes en dehors des périodes de perturbation. De même, de nombreuses questions demeurent à être étudiées pour perfectionner notre compréhension de la dynamique des populations et des stratégies de vie des taxa coralliens, notamment les processus qui influencent la fécondité, la production larvaire et la connectivité entre les populations dans un milieu insulaire et fragmenté tel celui des récifs de la Polynésie française.

183 Chapitre IV. Trajectoire des populations et résilience corallienne

Au cours de ce programme de recherche doctoral sur la dynamique des populations de coraux en Polynésie française, les récifs étudiés ont subi l’impact consécutif de deux perturbations majeures, une explosion démographique du prédateur Acanthaster planci et le passage d’un cyclone tropical. Les deux premiers volets de ce manuscrit décrivent ces phénomènes et leurs impacts sur les populations coralliennes et diverses communautés récifales associées (cf., Chapitres II et III). Ce troisième et dernier volet a pour but l’élaboration d’un outil mathématique qui, en utilisant les données récoltées au cours de cette étude, vise à anticiper la trajectoire des populations et la structure des communautés coralliennes, et au-delà la résilience des écosystèmes récifaux. Le modèle présenté dans ce manuscrit constitue une ébauche qui sera affinée et perfectionnée au-delà du cadre temporel de ce programme doctoral.

Le script utilisé pour l’élaboration du modèle mathématique a été développé en collaboration avec Julie Vercelloni, dans le cadre d’un stage sous ma direction. Ce modèle a été construit dans l’environnement R version 2.12.0 (15.10.2010), © The R Foundation for Statistical Computing.

IV.1. Contexte scientifique et objectifs

Dans le contexte actuel de déclin de l’état de santé des récifs coralliens, il devient primordial d’être en mesure d’anticiper l’évolution écologique des communautés récifales afin de, si nécessaire, palier à un effondrement des écosystèmes coralliens. Aujourd’hui, les outils mathématiques et informatiques nous permettent dans certaines mesures de prédire la trajectoire des populations sur le moyen terme (i.e., plusieurs décennies) à partir d’observations en milieu naturel sur des durées temporelles relativement restreintes (i.e., plusieurs saisons). Cette approche permet notamment de simuler différents scénarios environnementaux et de tester l’effet de différents facteurs intrin- et extrinsèques sur la trajectoire des populations et la structure des communautés (Fong & Glynn 2000 ; Mumby 2006).

184 Le Chapitre III de ce manuscrit décrit l’exploration quantitative de la dynamique des populations des trois principaux taxa de coraux rencontrés sur la pente externe des récifs de Moorea et de Raiatea (Polynésie française), basé sur un suivi in situ des populations à différentes échelles spatiales et temporelles. Ce suivi a notamment permis l'échantillonnage de cette dynamique selon différentes conditions environnementales, avec des périodes de relative stabilité et à l'inverse des périodes de perturbation. Dans le présent chapitre, ces données de dynamique des populations sont utilisées afin de modéliser la trajectoire des populations sur de plus longues échelles temporelles (de l'ordre de la décennie au siècle) et d'évaluer l'impact des perturbations sur la structure et la résilience des communautés coralliennes. Dans cette démarche, la contribution relative des trois taxa dominants Acropora, Pocillopora et Porites, aux assemblages coralliens est examinée sous différents scénarios environnementaux.

IV.2. Méthodologie