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Communautés benthiques

La prédation exercée par les Acanthaster engendre un changement progressif au sein des communautés benthiques, avec la transition d’un paysage dominé par les coraux à un paysage dominé par les algues. Cet essor des communautés algales suite au déclin de leurs principaux compétiteurs (les coraux) se traduit par une augmentation du recouvrement en turf algal, tandis que le recouvrement en macro-algue et en algue calcaire encroûtante reste inchangé. Cette observation va à l’encontre de ce qui a été observé dans différentes régions du globe où la mortalité massive des coraux a laissé place à un paysage récifal dominé par les macro-algues qui ont rapidement proliféré, inhibant par compétition un éventuel retour vers une dominance corallienne (Nyström et al. 2000 ; Bellwood et al. 2004 ; Rousseau et al.

90 2010). Sur les pentes externes des récifs de Polynésie française, les eaux tropicales océaniques pauvres en nutriments (régulation bottom-up) et la relative forte pression de prédation par les herbivores (régulation top-down) semblent restreindre la biomasse algale à une croissance sous forme de turf (Lewis et al. 1987 ; Smith et al. 2010).

Cette régulation des communautés algales à une forme de croissance restreinte au turf avait déjà été observée sur les récifs des pentes externes de Moorea lors des précédents évènements de mortalité massive des coraux, et pourrait en partie expliquer la forte résilience corallienne observée dans cette région (Adjeroud et al. 2009). En effet depuis les années 1980, il s’agit du troisième épisode intense de mortalité corallienne enregistré à Moorea, avec une vague de prolifération d’Acanthaster observée de 1979 à 1984 et le passage d’un cyclone et d'un blanchissement en 1991 (Tableau 1). Ces perturbations passées ont fait chuter le recouvrement corallien de ≈ 45 à 10 %, et ≈ 50 à 20 % respectivement, mais suite à chacune de ces perturbations les assemblages de coraux ont pu « récupérer » et la couverture corallienne est revenue à des valeurs équivalente au seuil pré-perturbation en moins de 10 ans (Bouchon 1985 ; Adjeroud et al. 2009). Bien que les dernières perturbations aient affecté les récifs avec bien plus de sévérité que par le passé, l’historique de résilience et la capacité de recrutement post-perturbation observée dans cette région (cf., Chapitre III) laissent penser que ces récifs pourraient récupérer, au moins à un certain point, dans les décennies à venir.

Parallèlement à l'augmentation des recouvrements en turf algal faisant suite à la mortalité des coraux, nos travaux montrent également une hausse du recouvrement en sables et débris, probablement issus d’une érosion progressive des squelettes de coraux morts (Spalding & Jarvis 2002).

Face à la prédation des Acanthaster, les différents taxa de coraux n’ont pas montré une susceptibilité analogue. Le genre Acropora a été le plus affecté et ses populations ont été rapidement extirpées des assemblages de coraux. Les plus affectées sont ensuite les espèces du genre Montipora (également de la famille des Acroporidae), des autres genres confondus et de Pocillopora, avant que les Acanthaster ne s’attaquent à défaut au genre Porites. Cette extirpation séquentielle des proies est communément observée dans les relations proie-prédateur (Kvitek et al. 1992) et la hiérarchie observée coïncide avec les préférences alimentaires reportées pour l’Acanthaster planci (De’ath & Moran 1998 ; Pratchett 2007b ; Kayal et al. sous presse). Au sein des communautés coralliennes, la prédation préférentielle

91 des Acanthaster selon les différents genres a engendré un shift des assemblages de survivants, avec l’émergence de Porites comme nouveau genre prédominant. Cette relation avait déjà été observée de par le passé sur les récifs de Moorea (Bouchon 1985 ; Faure 1989), ainsi que dans d’autres régions (Rotjan & Lewis 2008 ; Pratchett et al. 2009).

Effet en cascade des perturbations sur la faune associée

Nos résultats montrent clairement que la prolifération des Acanthaster à un impact indirect très marqué sur les assemblages de Chaetodon corallivores de la pente externe de Moorea, dont la densité, la biomasse et la diversité sont fortement corrélées au recouvrement corallien. De même, la diversité de ces corallivores est sensiblement liée à la diversité corallienne. Par le passé, ces assemblages de Chaetodon avaient déjà montré des fluctuations en lien avec la variation du recouvrement corallien (Adjeroud et al. 2002 ; Berumen & Pratchett 2006). Cette association sensible entre les populations de Chaetodon et le recouvrement corallien a été soulignée dans diverses régions du globe, ce qui fait de ces poissons de bons indicateurs de l’état de santé récifal (Cadoret et al. 1995 ; Berumen & Pratchett 2006 ; Pratchett et al. 2006 ; Graham et al. 2008 ; Valavi et al. 2010).

Même en dehors des assemblages de corallivores, de nombreuses espèces de poissons montrent un lien fort avec le recouvrement corallien (Öhman & Rajasuriya 1998 ; Spalding & Jarvis 2002 ; Graham et al. 2008 ; Feary et al. 2009 ; Halford & Caley 2009) et la diversité des Chaetodon tend généralement à refléter la diversité totale en poissons récifaux (Kulbicki & Bozec 2005). Sur l’île de Raiatea, les populations de Chaetodon de faibles profondeurs sur le site Miri Miri montrent une dynamique de déclin similaire à celle observée à Moorea, tandis qu’à 18 m sur ce site ainsi qu’à Uturoa, ces assemblages semblent être plutôt en début de phase de résilience.

A l’inverse des corallivores, les assemblages herbivores de Scaridae montrent une hausse en densité et/ou en biomasse durant la période d'étude, et ce pour l’ensemble des sites de Moorea. Une telle hausse de l’herbivorie en réponse à l’essor de la biomasse algale consécutive à la mortalité massive des coraux est communément observée en milieu corallien (Spalding & Jarvis 2002 ; Rousseau et al. 2010), notamment suite à des phénomènes de prolifération d’Acanthaster planci (Moran 1990). Il est intéressant de noter que dans notre

92 étude, cette hausse de l'herbivorie concerne les poissons (Scaridae), alors que les assemblages d’échinides ne montrent pas de variations significatives durant la période d'étude.

La dynamique des assemblages de Chaetodon corallivores et de Scaridae dénote une forte régulation bottom-up de ces espèces sur les récifs de pente externe de Polynésie française, où l’abondance des proies semble déterminer à court terme la biomasse des consommateurs au sein de ces différents groupes trophiques.

Structure et dynamique des communautés récifales

Les récifs de Polynésie française sont soumis à des perturbations naturelles récurrentes qui influencent fortement la dynamique des communautés coralliennes. Les coraux jouent un rôle central dans ces écosystèmes, et cette dynamique corallienne entraine directement ou indirectement une modification d'autres communautés récifales dont la composition, la structure et la dynamique sont sensiblement associées au recouvrement corallien. Ainsi, suite à une perturbation de grande ampleur, du type Acanthaster ou cyclone tels qu’observés au cours de la présente étude, la mortalité massive des coraux engendre une réaction en chaîne qui se propage dans diverses communautés récifales via des voies d’interaction trophiques ou compétitives entre les espèces, et résulte en l’effondrement ou l’essor des différentes populations. Sur les récifs de Moorea et de Raiatea, à l’image de différentes îles en Polynésie française, le déclin corallien suite à la prolifération d'Acanthaster a engendré un déclin de leurs prédateurs, les poissons de la famille des Chaetodontidae, et un essor de leurs compétiteurs directs, les algues, par libération du substrat occupé par les coraux. Ce développement algal semble avoir à son tour généré une augmentation des populations de poissons herbivores de la famille des Scaridae (Figure 41). Cette réponse de l’écosystème récifal, en termes de capacité d’ajustement de la biomasse des consommateurs à différents niveaux du réseau trophique, contribue probablement à l’élasticité20 et à la forte résilience des récifs de cette région (Adjeroud et al. 2009), notamment via une variation des pressions de régulation des communautés benthiques, avec une diminution de la corallivorie en faveur de l’herbivorie, ce qui peut favoriser un retour vers un système à dominance corallienne (Mumby et al. 2007b ; Mumby & Harborne 2010).

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93 Cependant, malgré la forte résilience des récifs de Polynésie française en termes de couverture corallienne totale, la récurrence chronique des perturbations tend à générer un shift progressif dans la composition relative des différents genres coralliens au sein de ces communautés, et notamment à favoriser l’essor graduel des coraux massifs du genre Porites au détriment des autres taxa (Adjeroud et al. 2009, la présente étude). Cette dérive de la composition corallienne pourrait avoir des implications à long terme sur la structure des communautés et les fonctions écologiques des récifs de cette région (Öhman & Rajasuriya 1998 ; Norström et al. 2007 ; Pratchett 2007a).

Figure 41. Représentation schématique des principaux forçages et interactions entre les communautés récifales

de pente externe à Moorea suite au passage de perturbations de grande ampleur. La perturbation Acanthaster induit une mortalité massive des coraux par prédation (interaction trophique) mais n’affecte pas la structure tri-dimensionnelle (3D) des récifs. La mortalité des coraux favorise l’essor de la couverture algale par libération du

substrat occupé (interaction compétitive). Le déclin corallien engendre l’effondrement des assemblages de poissons corallivores, tandis que l’essor algal favorise les communautés herbivores (interactions trophiques). Le

passage du cyclone tropical engendre, par destruction des colonies corallienne (perturbation abiotique), une chute de la complexité structurale de l’habitat récifal vers une bi-dimensionnalité (2D), et encore une fois une occupation du substrat par les algues (interaction compétitive). Cette perte de la qualité de l’habitat en termes de

complexité structurale, et de disponibilité et diversité des refuges a probablement de fortes implications sur le fonctionnement, la régulation et la résilience de nombreuses communautés au sein de ces récifs coralliens.

94 II.4.c. Perspectives

Cette première partie du programme de recherche doctoral a permis de quantifier, avec une résolution spatio-temporelle inégalée, la dynamique de déclin des communautés coralliennes face à deux perturbations de grande ampleur, une explosion démographique d’Acanthaster planci et un cyclone. Elle a permis non seulement d’identifier les taxa de coraux les plus susceptibles face à ces perturbations, mais également d’évaluer le lien entre la dynamique de ces espèces « fondatrices » et diverses assemblages jouant un rôle clef dans le fonctionnement des communautés récifales.

Ces premiers résultats soulèvent cependant diverses questions, notamment sur la dynamique de résilience des communautés coralliennes et des différents assemblages. Une question cruciale est, par exemple, de déterminer dans quelle mesure les relations inter-communautés observées au cours de la dynamique de perturbation (i.e., en phase de déclin corallienne) sont similaires à celles d’une dynamique de résilience (i.e., en phase d’essor corallienne) ? La résilience des communautés étant fondée sur des processus de recolonisation des habitats, les différentes espèces vont probablement montrer des dynamiques de résilience fortement dissociées dans l’espace et dans le temps, selon leurs traits d’histoire de vie respectifs (e.g., en fonction des stratégies reproductives, des capacités de dispersion larvaire et de la connectivité entre les populations, des processus de recrutement, des taux de croissance ou des susceptibilités à la mortalité).

Les chapitres suivants de ce manuscrit tenteront de répondre au moins en partie à ces questions, notamment en ce qui concerne la trajectoire des populations pour les principaux taxa scléractiniaires. En revanche, la dynamique de résilience des diverses assemblages associés ne pourra être examinée qu’à travers la continuité des suivis in situ de ces récifs durant la phase de recolonisation. La connaissance de cette dynamique de résilience des communautés récifales, bien qu'elle soit difficile à appréhender, constituerait une avancée majeure dans la compréhension des processus de maintien de la biodiversité au sein des habitats naturels.

95 Chapitre III. Dynamique des populations de coraux

III.1. Contexte scientifique et objectifs

La dynamique des populations de coraux est principalement gouvernée par les processus de recrutement, de croissance et de mortalité, qui reposent sur les performances individuelles des membres constitutifs des populations (i.e., chaque individu présente une certaine aptitude au recrutement, à la croissance et à la survie). Ces performances individuelles sont fortement variables, d’une part selon des facteurs intrinsèques propres aux espèces considérées, ce que l’on définit par les traits d’histoire de vie des taxa, et d’autre part selon des facteurs extrinsèques caractéristiques de leur environnement. L’agencement des traits d’histoire de vie des espèces, en termes d’investissement versus compromis dans le recrutement, la croissance ou la survie des individus, peut être résumé sous l’appelation « stratégie de vie », ce qui va nous permettre de distinguer les espèces à stratégies colonisatrices, des espèces compétitrices ou encore résistantes aux perturbations. Le succès de ces différentes stratégies dans la nature repose fortement sur les conditions environnementales, selon la position relative des habitats le longs de gradients de stress biotiques (e.g., prédation et compétition) et abiotiques (e.g., luminosité, hydrodynamisme, sédimentation, température), position que l’on peut caractériser en termes de qualité de l’habitat. La trajectoire des populations de coraux est ainsi orientée par une interaction complexe entre de nombreux facteurs dont, faute de temps, un nombre restreint seront étudiés au cours de ce programme doctoral.

Le chapitre précédent de ce manuscrit a porté sur la caractérisation des perturbations naturelles qui ont affectées les récifs des îles de la Société (Polynésie française) sur la période d'étude. Cette première partie a permis de définir le contexte environnemental dans lequel se sont déroulées les investigations de la dynamique des populations de coraux sur les pentes externes de Moorea et de Raiatea, et l’impact de ces évènements à l’échelle des principales communautés récifales. Le présent chapitre porte plus précisément sur la quantification des paramètres vitaux des coraux (i.e., taux de recrutement, de croissance et de mortalité), grâce à des suivis saisonniers et interannuels des performances individuelles des colonies sur le récif. Bien entendu, ces performances sont fortement influencées, d’une part par les conditions

96 environnementales décrites dans le Chapitre II de ce manuscrit, et d’autre part par l’identité taxinomique et les traits d’histoire de vie des espèces considérées. Afin de tenir compte de ces variabilités intrin- et extrinsèques, la dynamique des populations coralliennes a été suivie sur différents taxa représentant les genres dominants dans cette région, et à diverses échelles spatiales et temporelles.

Durant la période de ce programme doctoral, les communautés coralliennes de la pente externe récifale de Moorea et de Raiatea ont été fortement touchées par deux perturbations consécutives, une prolifération du prédateur Acanthaster planci (octobre 2003 à février 2010) et un cyclone tropical (février 2010). Ces deux perturbations ont différé dans la nature, l'intensité et l'échelle spatio-temporelle de leurs impacts sur les récifs, et les différents taxa coralliens ont montré des susceptibilités contrastées à ces deux perturbations (cf., Chapitre II). Le présent chapitre examine de plus près la dynamique des populations des principaux taxa coralliens de cette région afin (1) d’explorer plus spécifiquement l'importance des traits d’histoire de vie et la susceptibilité des taxa face à ces perturbations, et (2) de quantifier la réponse des populations en termes de recrutement, de croissance et de mortalité sous divers gradients environnementaux. Ce chapitre central constitue ainsi le cœur de ce programme de recherche doctoral en quantifiant les taux des principaux paramètres vitaux des coraux, et représente un lien entre le Chapitre II de ce manuscrit portant sur le forçage externe exercée par les perturbations sur les communautés coralliennes, et le Chapitre IV sur la prédiction de la trajectoire des populations de coraux sous divers scénarios environnementaux.

97 III.2. Méthodologie