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Explosion démographique d’Acanthaster planci

Pour de nombreux récifs, les explosions démographiques d’Acanthaster planci sont parmi les perturbations les plus dévastatrices pour les communautés coralliennes (Nyström et al. 2000). Bien qu’observées sur une grande échelle géographique à travers l’Indo-Pacifique, les mécanismes responsables de leur occurrence sont à ce jour encore mal connus (Birkeland 1982 ; Dulvy et al. 2004 ; Brodie et al. 2005 ; Houk et al. 2007 ; Fabricius et al. 2010). De même, peu d’études ont jusqu’alors examiné les facteurs qui influencent leur développement ou qui régulent leur impact sur les populations coralliennes en milieu naturel (Kayal et al. sous presse).

La prolifération d’Acanthaster observée lors de la présente étude a montré une dynamique similaire sur les deux îles étudiées, Moorea et Raiatea. Sur chacune de ces îles, la prolifération a démarré à partir d'une zone bien distincte, d’où les densités d’étoiles de mer se sont propagées vers le reste du récif par migration des individus (Figure 40). Localisés sur le site de Tiahura à Moorea et aux alentours du site Uturoa à Raiatea, ces « points d’origine » se trouvent sur les deux îles au pied de la pente externe récifale, dans la zone des 20-35 m de profondeur (i.e., entre la profondeur maximale considérée dans la présente étude et la limite supérieure de la plaine sableuse qui s’étend au pied du récif). Cette observation coïncide avec l’hypothèse proposée par Johnson et al. (1991) selon laquelle les explosions démographiques d’Acanthaster prennent origine dans les zones profondes à la base des récifs, où les recouvrements en débris coralliens et en algues calcaires encroûtantes sont élevés. Ces travaux suggèrent que l’algue calcaire Lithothamnium pseudosorum produirait des signaux chimiques qui favoriseraient l’installation des larves planctoniques d'Acanthaster.

87 A l’image de ses proies, l’Acanthaster planci présente un cycle de vie bentho-pélagique, avec une phase de dispersion larvaire dans la colonne d’eau et une phase benthique prédominante sur le récif. Après installation sur le substrat, les larves d’Acanthaster jusqu’alors planctoniphages se métamorphosent pour former des étoiles de mer (Moran 1990). Suite à un phénomène de recrutement localisé et massif, tel que ceux supposés responsables des proliférations observées sur les récifs, les Acanthaster demeurent probablement sur le même site durant plusieurs années, période pendant laquelle les juvéniles se nourrissent tout d’abord d’algues calcaires encroûtantes et restent hautement cryptiques (Yamaguchi 1974 ; Kettle & Lucas 1987 ; Zann et al. 1987). Après environ un an, les juvéniles de 1-3 cm montrent un changement dans leur régime alimentaire en devenant corallivore, et c’est qu’après 2 ans et une taille d’environ 15-20 cm que ces individus sont aptes à la reproduction et présentent un comportement moins cryptique (Kettle & Lucas 1987 ; Zann et al. 1987).

La migration des Acanthaster adultes sur le récif semble motivée par la recherche de nourriture qui pousse les individus à se déplacer à la recherche de nouvelles proies. En effet, durant les épisodes de prolifération, les densités élevées de ce prédateur conduisent dans un premier temps à un déclin massif et localisé des populations coralliennes sur le site de recrutement (ici Tiahura 18 m sur l’île de Moorea, Figure 17). L’instinct de prédation force probablement alors les étoiles de mer à quitter leur habitat initial vers des zones à recouvrement corallien élevé (Keesing & Halford 1992 ; Keesing & Lucas 1992), propageant successivement la prolifération aux sites et profondeurs adjacents (Figure 40).

Cette migration a lieu de façon grégaire avec des densités variables dans l’espace et dans le temps. Le déplacement de ces groupes d’individus se fait, selon les sites, au cours d’une ou de plusieurs vagues ascendantes le long de la pente récifale (Figure 13). Les densités ici observées sont parmi les plus importantes reportées dans la littérature (maxima de 30.3 ± 6.1 SE ind.200 m-2 à Moorea, soit 151 650 ind.km-2 ; et 38.0 ± 3.0 SE ind.200 m-2 à Raiatea, soit 190 000 ind.km-2), bien au delà du seuil maximal de coexistence durable avec les coraux estimé à environ 1 000 ind.km-2 (Keesing & Lucas 1992). Face à ces hordes de prédateurs, les populations de coraux des pentes externes de Moorea ont montré un déclin drastique, avec une chute du recouvrement corallien de 40 à 60 % en 2005 à < 5 % en 2009, et à < 1 % en 2010 avec l’impact complémentaire du cyclone Oli. Cette chute du recouvrement corallien s'est accompagnée d'une réduction de la diversité des communautés coralliennes.

88 Figure 40. Schéma conceptuel décrivant la propagation des densités d’Acanthaster planci telle qu’observée sur

les récifs de Moorea. Les axes Z schématisent le gradient de profondeur le long de la pente externe récifale de l’île. Les chiffres indiquent les localisations successives où les Acanthaster sont observés dans le temps. 1) les

Acanthaster sont initialement observés au pied de la pente externe sur le site de Tiahura (20-35 m de profondeur), 2) les étoiles de mer migrent vers les sites et profondeurs sous-jacents suite au déclin du recouvrement local, 3) les Acanthaster continuent leur migration vers les zones non-affectées et prolifèrent dans

ces autres zones récifales. La localisation des sites d’étude autour de Moorea est également indiquée.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer les proliférations d’Acanthaster sur les récifs. Certains travaux ont identifié les blooms phytoplanctoniques comme favorisant une survie importante et un recrutement massif des larves zooplanctoniques des Acanthaster. Ces blooms résulteraient d’une augmentation de la concentration en nutriments dans les eaux océaniques suite au lessivage des sols (Brodie et al. 2005 ; Fabricius et al. 2010) ou encore à la variation cyclique des climats océaniques (Houk et al. 2007). La prolifération observée sur les îles de la Polynésie française pourrait concorder avec cette hypothèse, étant donné que dans un premier temps, seules les îles hautes19 où des lessivages de sols sont fréquents ont été touchées par ces explosions démographiques. Cependant aucune information sur d'éventuelles augmentations en nutriments et sur des blooms phytoplanctoniques n'est disponible pour étayer cette hypothèse. Dans diverses régions du globe, la prolifération initiale d'Acanthaster se propage progressivement à différents récifs par une succession d’explosions

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Les îles hautes sont des îles relativement jeunes caractérisées par la présence de montagnes volcaniques, et qui contrastent avec les atolls qui se caractérisent par la présence d’un lagon et ne présentent que très peu de terres émergées

89 démographiques dites secondaires et présumées résultant de la reproduction des populations issus de la prolifération initiale (Brodie et al. 2005 ; Houk et al. 2007 ; Fabricius et al. 2010). Dans ces conditions, une propagation dans les prochaines années de la prolifération des Acanthaster aux autres îles et atolls de Polynésie est envisageable.

Passage du cyclone tropical Oli

Le passage du cyclone Oli en février 2010 n’a pas montré d’impact significatif sur un recouvrement corallien déjà fortement affecté par la prolifération des Acanthaster (Figure 17). Le cyclone a cependant engendré une chute significative de la rugosité du substrat sur la majorité des stations (Figure 16) en brisant et arrachant un nombre important de colonies coralliennes (Figure 11). Cette perte de la complexité de l’habitat par destruction des squelettes de colonies mortes et vivantes peut cependant avoir d’importantes conséquences sur la résilience et la diversité corallienne (Stimson 1985 ; Connell et al. 2004 ; Norström et al. 2007), ainsi que sur diverses communautés récifales (Öhman & Rajasuriya 1998 ; Spalding & Jarvis 2002 ; Grabowski et al. 2008 ; Graham et al. 2008). Dans le prochain chapitre de ce manuscrit, nous verrons en détails dans quelle mesure le passage du cyclone Oli a affecté la dynamique des populations de coraux sur la pente externe des récifs de Moorea, et les conséquences que cela peut avoir sur la capacité de résilience de ces récifs.