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LA STERILISATION DES HANDICAPES MENTAUX

La première recherche sur les représentations de la sexualité des handicapés mentaux avait permis de mettre en évidence l'importance du thème de la stérilisation dans la gestion et l'accompagnement de la sexualité de ces personnes.

La diffusion des travaux de recherche précédents a suscité l'émergence de nombreuses demandes d'intervention dans des institutions recevant des personnes handicapées mentales. Au fil des années, ces interventions ont permis le développement d'une activité d'intervention psycho-sociologique. La méthode d'intervention adoptée, testée de manière quasi expérimentale dans la recherche sur le Malaise des praticiens, visait à favoriser l'élucidation des représentations des professionnels dans le cadre de leur activité professionnelle. Ces interventions ont ainsi permis d'explorer en profondeur les représentations et les pratiques des professionnels. C'est dans le contexte de ces interventions qu'il a été possible d'observer les représentations et les attitudes des professionnels à l'égard de la stérilisation des femmes handicapées mentales. Il s'agit donc d'un volet de mon activité de recherche qui repose principalement sur une pratique d'intervention clinique psycho-sociologique et à partir de laquelle un travail de recherche a pu être élaboré sous forme d’analyses secondaires.

Les expériences que j’ai pu avoir au cours de nombreuses interventions psycho-sociologiques (formations notamment) réalisées auprès d'acteurs engagés professionnellement dans la prise en charge et l'accompagnement de personnes handicapées mentales, et de familles de celles-ci, m’ont appris que la stérilisation des femmes handicapées mentales ne résulte pas uniquement d'un "souhait des parents" et que cette opération est souvent pratiquée avec l'accord des équipes éducatives et des médecins qui pratiquent l'intervention.

Le recours à cette pratique semble cependant poser des "problèmes" aux professionnels qui y sont confrontés et contraints d'assurer son accompagnement éducatif. Dans la mesure où cette pratique leur pose des problèmes et active parfois une forte culpabilité, ceux-ci sont amenés à adopter des stratégies défensives pour gérer leur contribution spécifique à ces interventions.

Nous avons organisé notre réflexion sur le matériel recueilli lors de différentes interventions auprès de ces professionnels, à partir de la notion juridique de consentement. Poser le problème de la stérilisation des personnes handicapées mentales en termes de consentement a le mérite de faire apparaître l'un de ses aspects majeurs, à savoir le fait que la stérilisation est "proposée" - voire imposée - aux personnes handicapées mentales par les membres de leur entourage et que la demande de stérilisation n'émane pratiquement jamais spontanément des personnes elles-mêmes. Dans ce cas contraire, il se serait agi de poser le problème en termes de définition des conditions qui peuvent permettre l'accès à ce type d'intervention, ainsi que des restrictions à ce droit tel que l'on peut l'observer, par ailleurs en ce qui concerne les conditions d'accès à l'Interruption Volontaire de Grossesse. On sait bien que les personnes handicapées mentales ne prennent quasiment jamais l'initiative de cette démarche malgré les propos qu'on leur prête souvent. Cette situation renforce notre doute quant à leur pleine conscience de l'opération qui est pratiquée sur elles et quant au caractère propre de leur demande (Diederich, 1990, Heshusius, 1987).

Dans un travail mené auprès de plusieurs équipes de professionnels travaillant dans des internats pour adultes handicapés mentaux, nous avons pu poursuivre l'exploration de l'hypothèse du conflit de représentation comme mécanisme de défense à l'égard de la culpabilité soulevée par la stérilisation (Giami, Lavigne, 1993). La pratique de la stérilisation, et son caractère irréversible suscite un malaise important chez les professionnels. Ceux-ci parviennent à résoudre les conflits liés à ce malaise en déniant le caractère irréversible de la stérilisation lorsqu'ils sont en situation d'aborder ce problème avec les personnes concernées.

La recherche du consentement des personnes soumises à des interventions stérilisantes est fondée sur l'information qui leur est dispensée concernant la nature de ces interventions. La question du consentement permet de faire la lumière sur les enjeux et les pouvoirs qui sous-tendent les processus de prise de décision qui aboutissent à la stérilisation d'une personne handicapée mentale. On se trouve donc confronté à des représentations des personnes handicapées mentales qui sont élaborées par les membres de leurs entourages. Ces représentations portent sur les capacités cognitives de ces personnes, leur aptitude à comprendre les problèmes les concernant directement, sur leurs relations avec leurs différents entourages qui peuvent être amenés à exercer sur eux des pressions et sur leur aptitude à donner leur consentement.

Les processus au travers desquels les professionnels participent à la prise de décision d'un intervention stérilisante sont fondés sur les représentations suivantes. Tout d'abord, les éducateurs reconnaissent que des femmes handicapées mentales expriment le désir d'avoir un enfant. Mais ils s'empressent d'ajouter que celles-ci sont incapables d'en assurer l'éducation. L'information sur la nature de l'intervention pose deux types de problèmes aux professionnels. D'une part, ils considèrent qu'ils annoncent une "mauvaise nouvelle" à ces personnes et d'autre part, ils considèrent que celles-ci ne sont pas capables de comprendre les implications de cette intervention. Cette situation suscite des réticences à entreprendre l'information précise des femmes handicapées mentales. Les professionnels considèrent en outre qu'il est possible de pratiquer des interventions réversibles. Ce qui a pour effet de réduire la dramatisation suscitée par le caractère irréversible de la stérilisation . La "mise en confiance" de la personne handicapée mentale qui permet d'obtenir son consentement repose sur un leurre partagé par ceux qui sont chargés de donner l'information. Bien évidemment, ce leurre n'est pas partagé par tous les professionnels mais il nous est apparu constituer la réponse spontanée de ceux-ci à nos interrogations concernant la gravité de l'intervention. Par ailleurs, les professionnels s'appuient en dernière analyse sur la décision parentale : "Pour la

HANDICAP MENTAL, SEXUALITE ET SIDA

Alors que Lang (1994) avait noté une diminution du volume des articles publiés sur le thème de “la sexualité des handicapés mentaux” au cours des années 80, la période actuelle est marquée par un regain d'intérêt pour "la sexualité des handicapés mentaux". Ce regain d'intérêt est suscité par la prise en compte de problèmes liés à certaines des conséquences liées à l'exercice de la sexualité, notamment sous sa forme génitale. Il s'agit d'une part, des débats occasionnés à l'occasion de la publication des avis du Comité National Consultatif d'éthique sur "la contraception des personnes handicapées mentales" (n° 49) et sur "la

stérilisation envisagée comme contraception définitive" (n° 50) et d'autre part, des

réflexions qui portent sur le développement de la prévention du VIH chez les handicapés mentaux (Greacen, Hefez, Marzloff, 1996). Ces préoccupations ont été concrétisées plus récemment par la publication d'une circulaire de la Direction de l'Action Sociale “relative à la prévention de l'infection à VIH dans les établissements et services accueillant des personnes handicapées mentales” et par la publication le 18 décembre 1997 d’un rapport du Conseil National du Sida intitulé : Les oubliés de la prévention. Handicaps mentaux, sexualité et VIH. Le rapprochement des situations impliquant la stérilisation et la prévention du VIH chez les personnes handicapées mentales est riche d'enseignement. Les deux situations révèlent des contradictions importantes dans les prises en charge de la sexualité des personnes handicapées. Elles impliquent des modalités de fonctionnement de la parole différents. Dans les deux cas, les débats actuels révèlent un déficit concernant le développement de l'éducation sexuelle des personnes handicapées mentales, c'est à dire l'exercice d'une relation de parole entre éducateurs, familles et personnes handicapées, à propos de la sexualité.

La question de la stérilisation constitue le mode de réponse qui permet de faire l'économie de la parole. En effet, la majorité des stérilisations contraceptives réalisées sur des femmes handicapées mentales le sont en l'absence de l'obtention d'un consentement libre et éclairé. Ces opérations sont réalisées à l'insu des personnes, à l'occasion d'interventions chirurgicales. Dans les cas où une information est dispensée à ces jeunes femmes, celle-ci est incomplète ou bien tente d'atténuer le caractère définitif de l'acte en le présentant comme réversible (Giami, Lavigne, 1993). Quelques expériences éparses et très