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5.2 Agrégats mixtes de nucléobases

6.1.1 Spectre de fragmentation du dication [AK+2H] 2+ isolé

La figure 6.2 montre un spectre de fragmentation du dipeptide [AK+2H]2+ obtenu lors

de collisions avec la cellule de sodium. La molécule intacte est notée M2+ et se trouve à

m/q = 219/2 = 109, 5. On peut identifier sur cette figure les trois voies de dissociation principales qui proviennent de la capture électronique et que nous avons évoquées dans l’introduction du chapitre. La perte la plus importante est celle de l’hydrogène (pic M+-H

à m/q = 218) suivie de celle de NH3 (pic M+-NH3 à m/q = 202). On constate également

la cassure de la liaison N-Cα qui conduit à la formation des espèces c+ et z+ illustrées

sur la figure 6.2. Les autres pics, de moindre importance et présents sur le spectre, sont attribués à la dissociation induite par la collision (CID). Ceci peut être vérifié en utilisant de l’hélium ou du néon comme gaz dans la cellule de collisions, puisque seuls les processus de CID restent actifs.

Nous avons complété cette mesure par une étude de l’influence de différents paramètres du dispositif expérimental sur les voies de fragmentation. L’idée est effectivement de voir si les canaux de dissociation changent en fonction de la tension d’accélération du faisceau de biomolécules ou de l’énergie d’ionisation du gaz de la cellule de collisions. Si tel est le cas, on pourra alors en déduire que les états électroniques peuplés lors de captures électroniques varient avec ces paramètres.

Dans un premier temps, nous avons cherché à déterminer comment l’intensité de cha- cune des voies de fragmentation principales dépendait de l’énergie cinétique du faisceau de biomolécules [AK+2H]2+. Nous avons calculé la probabilité relative de perte de H,

P (−H), en divisant l’intensité du pic M+-H par l’intensité totale des ions qui proviennent de la capture électronique. Nous avons procédé de façon similaire pour la détermination des probabilités de perte relative de NH3, P (−NH3)et pour la probabilité de formation des es-

III.6

120 Partie III I Influence de la complexation sur la fragmentation de la liaison N-Cα

16

0

50

100

150

200

c

+

z

+

M

+

−NH

3

M

+

−H

M

2+

C

o

u

p

s

m / q

H3N C H CH3 C O N H C H COOH CH2CH2CH2CH2+NH3 + z c Fig. 1 Fig. 2

Figure 6.2 – Spectre de fragmentation de l’espèce [AK+2H]2+ (notée M2+) obtenu après collisions avec des atomes de sodium.

différentes, à savoir : 10, 20, 50 et 70 kV. La probabilité de formation des différents frag- ments suite à la capture d’un électron du sodium et en fonction de la tension d’accélération en sortie de source électrospray est présentée sur la figure 6.3.

La probabilité de formation des espèces c+et z+est quasiment constante (P (c+) = 0, 03

et P (z+) = 0, 3) et on peut donc la considérer comme indépendante de la tension d’accé-

lération. Il n’en est pas de même avec les espèces M+-H et M+-NH

3. En effet, comme le

montre l’évolution du trait noir de la figure 6.3, la probabilité de perte de H est égale à environ 0,5 pour les tensions d’accélération de 10 et 20 kV ; mais elle diminue à 0,4 pour les deux tensions d’accélération plus importantes (50 et 70 kV). Dans le même temps, la probabilité de perte de NH3 évolue dans le sens opposé. En effet, comme le montre

l’allure générale de la courbe bleue, la diminution de la perte d’hydrogène est accompa- gnée de l’augmentation de celle de NH3 (on passe de P (−NH3) = 0, 2 pour des tensions

d’accélération de 10 et 20 kV à P (−NH3) = 0, 3 pour les deux valeurs supérieures de

tension). Cette compétition entre les deux voies de fragmentation met en évidence le fait que l’état électronique, qui est peuplé lors du transfert de l’électron du sodium à la bio- molécule, dépend de la tension d’accélération. La vitesse de collision semble ainsi modifier le rapport de branchement entre les deux voies dissociatives. On peut penser que lorsque l’énergie cinétique du faisceau augmente, l’énergie d’excitation augmente également. Ainsi,

6.1 Dissociation du dipeptide alanine-lysine doublement chargé 121 III.6 20 Fig. 5

0

10

20

30

40

50

60

70

0,0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

P

ro

b

a

b

ili

Tension d'accélération (kV)

fragment z

+

fragment c

+

perte de NH

3

perte de H

Figure 6.3 – Probabilité de formation des fragments M+-H, M+-NH

3, c+ et z+ suite à la

capture d’un électron du sodium en fonction de la tension d’accélération du faisceau de biomolécules [AK+2H]2+.

de petits changements dans l’énergie d’excitation induisent des processus de fragmentation différents. L’expérience montre que l’accroissement de l’énergie d’excitation conduit à une perte de NH3 plus importante. Une autre explication peut également être formulée, si l’on

garde à l’esprit qu’un nombre important de conformères est présent dans le faisceau de biomolécules. La perte plus importante de NH3 pourrait alors provenir du fait que certains

conformères sont « privilégiés » ou tout au moins plus exposés dans les collisions à plus hautes vitesses.

Nous avons enfin réalisé des expériences avec différents gaz afin de voir l’influence de l’énergie d’ionisation du gaz sur la répartition des quatre canaux de fragmentation prin- cipaux. Nous avons utilisé les gaz Cs, Na, NO, Xe et Kr. La figure 6.4 montre l’évolution de la probabilité de formation des espèces M+-H, M+-NH

3, c+ et z+ après capture élec-

tronique dans ces différents gaz. On constate que la probabilité de formation de c+ et z+

est indépendante du gaz considéré, comme elle l’était déjà pour la tension d’accélération. Ainsi, la probabilité de cassure de la liaison N-Cα ne dépend ni de l’énergie cinétique du

faisceau de biomolécules, ni de l’énergie d’ionisation du gaz de la collision, alors même que la différence entre les énergies d’ionisation peut atteindre 10 eV. En ce qui concerne la perte d’hydrogène et de NH3, on remarque une différence importante suivant que l’on

III.6 25

0

2

4

6

8

10

12

14

16

0,0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

fragment z

+

fragment c

+

perte de NH

3

perte de H

P

ro

b

a

b

ili

Energie d'ionisation (eV)

Na

NO

Xe

Kr

Cs

REΜ

2+

= 5,8 eV

Figure 6.4 – Probabilité de formation des fragments M+-H, M+-NH3, c+ et z+ suite à la

capture d’un électron du sodium en fonction de l’énergie d’ionisation de différents gaz de la cellule de collisions. La ligne en pointillés indique la valeur calculée de l’énergie de recombinaison de l’espèce M2+ (5,8 eV).

considère les gaz Cs et Na, d’un côté, ou NO, Xe, Kr, de l’autre. En effet, la probabilité de perte d’un hydrogène passe de P (−H) = 0, 4 pour les gaz alcalins, à P (−H) = 0, 5 pour les gaz du deuxième groupe. De façon contraire, la probabilité de perte de NH3, di-

minue fortement lorsqu’on passe d’un groupe de gaz à l’autre (P (−NH3) = 0, 25pour Cs

et Na puis chute à une valeur moyenne de 0, 09 pour NO, Xe, Kr). L’équipe d’Aarhus a calculé5 une énergie de recombinaison électronique du dication [AK+2H]2+ égale à 5,8 eV

(trait en pointillés sur la figure 6.4). Cette valeur se situe entre les énergies d’ionisation des deux groupes de gaz que nous venons d’évoquer. Comme l’énergie de recombinaison est supérieure à celle d’ionisation pour les gaz Cs et Na, la capture électronique est exo- thermique pour les gaz alcalins, alors qu’elle est endothermique pour les gaz du second groupe (NO, Xe, Kr). Afin de mieux comprendre le mécanisme mis en jeu dans une telle réaction, un diagramme schématique des courbes d’énergies électroniques qui interagissent est présentée sur la figure 6.5. Pour cela, nous considérons le cas d’une réaction du type : A2++ B → A++ B+, où A est un ion doublement chargé (représentant une biomolécule) et B une atome neutre. Lorsque l’ion A2+ passe au voisinage de B, la particule chargée va

III.6

déformer le nuage électronique de l’atome B. Ainsi, la voie d’entrée A2++ Best légèrement

attractive à grande distance internucléaire à cause de l’interaction de polarisation et elle devient fortement répulsive lorsque la distance entre les particules (R) est faible. L’énergie électronique qui caractérise l’attraction à grande distance est proportionnelle à R−4, alors

que la répulsion à courte distance est en R−n, où n est un nombre qui peut être très grand

(supérieur à 6). La voie de sortie A++ B+, quant à elle, est fortement répulsive à cause

de l’interaction coulombienne qui est proportionnelle à R−1 (courbes bleues et violette).

Dans le cas d’une réaction exothermique (courbes bleues), un couplage fort intervient au niveau des croisements des courbes de potentiel (en rouge) et conduit au transfert de l’élec- tron. Suivant la probabilité de transition des différentes zones de croisement, l’électron a la possibilité de peupler un état électronique excité (courbe bleue en pointillés). Pour une réaction endothermique (courbe violette), l’énergie supplémentaire nécessaire à la réalisa- tion de la réaction provient de l’énergie cinétique du faisceau A2+. Cette réaction n’étant

énergétiquement pas favorable (en particulier à basse énergie de collision), l’électron est alors transféré de façon préférentielle dans l’état électronique fondamental (ou un état très proche). Ainsi, lors d’une réaction exothermique, la probabilité que l’électron transféré soit dans un état électronique excité du système est plus importante que dans le cas d’une réaction endothermique. Potentiel coulombien 1/R A2+ + B ou B A+ + B+ (état électronique fondamental de A+) A*+ + B+ (état électronique excité de A+) Réaction endothermique Réaction exothermique

Transfert d’un électron

A+ + B+ (état électronique

fondamental de A+)

(distance interparticulaire en unité arbitraire )

 la notation « B » correspond à un atome neutre de type Cs ou Na conduisant à une capture électronique exothermique.

 la notation « B » correspond à un atome neutre de type Xe ou Kr conduisant à une capture électronique endothermique.

él

ec

Figure 6.5 –Diagramme schématique des courbes de potentiel intervenant dans la réaction de transfert électronique : A2++ B → A++ B+.

Les résultats expérimentaux montrent que la perte d’hydrogène est favorisée dans le cas de collisions avec des gaz possédant une énergie d’ionisation élevée, c’est-à-dire dans le cas d’une réaction endothermique. Nous venons de montrer que dans ce type de réaction,

III.6

l’énergie d’excitation est moindre (transfert préférentiel de l’électron dans l’état fonda- mental). En conséquence, une diminution de l’énergie d’excitation du système conduit à un perte plus importante d’hydrogène, ce qui est en accord avec la conclusion établie pour l’expérience avec la tension d’accélération. De façon similaire, on peut également penser que la capture électronique avec des gaz possédant une énergie d’ionisation importante intervient, de façon dominante, pour des conformations du dipeptide qui possèdent une plus forte énergie de recombinaison électronique.

La synthèse de ces résultats montre que le mécanisme de capture électronique et la fragmentation, qui conduit aux espèces c+et z+, sont indépendants de la tension d’accélé-

ration et du gaz utilisé. L’énergie d’excitation du système a donc peu d’influence sur leur formation. À l’inverse, les changements dans le ratio de perte de H et de NH3 semblent

montrer que les processus de capture et de dissociation pour ces deux canaux sont diffé- rents de ceux impliqués dans la formation de c+ et z+. En particulier, une dépendance

entre l’augmentation de l’énergie d’excitation et la perte de NH3 a été mise en évidence.

Il semble donc que la capture de l’électron puisse se produire sur deux sites différents du dipeptide, l’un peu sensible à l’énergie d’excitation et conduisant aux espèces c+ et z+,

tandis que l’autre (perte de H et de NH3) dépend de façon plus évidente de l’énergie ciné-

tique du faisceau et de l’énergie d’ionisation du gaz utilisé. Pour préciser ceci, nous avons cherché à voir l’effet d’un environnement particulier sur les processus de dissocation du dipeptide [AK+2H]2+.