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8.5 Optimisation du fonctionnement : perspectives

8.5.2 Sensibilité d’une electrospray en fonction de la biomolécule

De nombreuses études fondamentales portant sur les processus de fonctionnement des sources electrospray s’intéressent à la dépendance des caractéristiques de l’analyte vis-à-vis de la réponse du processus d’electrospray. Ce type de recherche est d’autant plus pertinent que la réponse des electrosprays change significativement d’une biomolécule à l’autre alors que la solution utilisée pour diluer la poudre est identique [196, 197]. Ainsi une meilleure compréhension du comportement des biomolécules dans le processus d’electrospray est in- dispensable dans la perspective d’une optimisation fonctionnelle du dispositif. Dans cet objectif, nous nous intéressons ici au chargement de l’analyte qui intervient à différents ni- veaux et nous discutons les aspects liés à l’activité surfacique des biomolécules qui semblent jouer un rôle prépondérant dans l’efficacité de production des ions biomoléculaires en phase gazeuse.

Processus de chargement de l’analyte

Il existe essentiellement trois voies d’ionisation dans le processus d’electrospray qui vont conduire à des espèces biomoléculaires chargées. La première trouve son origine dans la solution où l’analyte existe déjà sous forme ionique. La séparation de charge qui intervient ensuite au niveau du cône de Taylor permet, par la création de gouttelettes, la formation en phase gazeuse des ions qui portent l’excès de charge. Ainsi la séparation des charges constitue la première méthode grâce à laquelle les biomolécules, qui possèdent des grou-

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pements fonctionnels acides ou basiques, vont être produites sous forme d’ions en phase gazeuse dans l’electrospray. En particulier, les peptides et les protéines forment facilement des entités positivement chargées par protonation à cause de la présence de sites fortement basiques. À l’inverse, les nucléotides se trouvent aisément négativement chargés lors de la déprotonation de leurs groupements acides.

Le chargement par cette première méthode de l’analyte est néanmoins beaucoup plus com- pliqué dans le cas d’espèces qui ne possèdent pas de groupes acides (pour la déprotonation) ou basiques (pour la protonation). Il est alors possible de former des adduits avec différents ions, ce qui peut conduire à la création d’entités négatives ou positives selon le type de solvant utilisé. Par exemple, dans le cas d’un fonctionnement de la source en mode négatif, il est possible de former des adduits chargés négativement à partir du chlore contenu dans un solvant tel que le chloroforme [198]. Des molécules neutres ou ne possédant que des sites très faiblement acides vont ainsi pouvoir produire un faisceau négatif stable. Pour un fonctionnement en mode positif, les expérimentateurs ont souvent recours à la formation d’adduits comportant des cations tels que des ions sodium ou ammonium par l’adjonction de sels2 dans la solution [199]. Cependant, la concentration en sel doit rester faible afin

d’éviter une pollution du spectre, qui rend difficile la détection des biomolécules. Remar- quons qu’il est fréquent que de faibles concentrations de sodium soient présentes comme impuretés dans les solvants utilisés pour préparer la solution [200].

La seconde voie d’ionisation intervient au niveau du contact entre la solution et l’aiguille métallique portée à la haute tension par l’intermédiaire de réactions électrochimiques [153]. Lorsque l’aiguille est portée à un potentiel positif, il s’agit de réactions d’oxydation, alors que dans le mode de production d’espèces négatives, ce sont des réductions qui inter- viennent. Ainsi, grâce à ces réactions, des biomolécules neutres peuvent être converties en molécules chargées qui seront ensuite guidées dans la source electrospray. D’un autre côté, ce type de réactions peut également avoir un effet destructeur, puisqu’elles peuvent conduire à l’endommagement des biomolécules. Ces réactions électrochimiques induisent en effet des oxydations de l’analyte (changement des états d’oxydation des biomolécules), du contact métallique ou du solvant. Par exemple, en mode positif, l’oxydation du contact métallique de l’aiguille en acier va conduire à la production de cations Fe2+ dans la solu-

tion [201]. Leur création au niveau de la pointe n’est généralement pas un problème puisque ces cations sont le plus souvent solvatés et ne jouent donc pas de rôle dans la processus de chargement de l’electrospray. Ceci étant, du point de vue de l’optimisation de la source, le changement de l’aiguille pour une pointe formée d’un métal différent peut grandement influencer les réactions électrochimiques qui se produisent au niveau du contact avec la solution. Cet aspect est particulièrement intéressant dans le cadre d’études, qui porte- raient sur l’interaction de biomolécules et d’ions métalliques (par exemple dans le cas des porphyrines) [202].

La dernière voie d’ionisation des biomolécules dans le processus d’electrospray provient 2. Un sel est un composé ionique composé de cations et d’anions et qui forme un produit neutre qui ne possède pas de charge (par exemple : NaCl).

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de réactions en phase gazeuse. En effet, comme la formation du spray intervient à pres- sion atmosphérique, des interactions en phase gazeuse se produisent, ce qui conduit à la formation d’espèces chargées [156, 203]. Ces interactions interviennent lorsque l’analyte a quitté la solution, c’est-à-dire à la fin du processus de formation des espèces chargées. Il s’agit essentiellement de réactions de transfert de protons en phase gazeuse, dans lesquelles des molécules qui ont été protonées en solution vont céder leurs protons aux analytes qui possèdent une plus grande basicité en phase gazeuse. Ainsi, des biomolécules neutres for- mées par évaporation des gouttelettes peuvent devenir chargées par ces réactions en phase gazeuse. Remarquons que cela se produit généralement lors de l’inversion de basicité, qui intervient entre la phase liquide et la phase gazeuse [156]. En effet, cette inversion s’ex- plique par le fait que, pour une même molécule, la basicité en phase liquide et la basicité en phase gazeuse ne sont, a priori, pas corrélées et peuvent être assez différentes. Précisé- ment, la basicité en phase gazeuse est définie par rapport à l’affinité protonique, alors que la mesure de la basicité en phase liquide s’exprime en terme de pKa (grandeur définie à

partir de la constante d’acidité). Dans le cadre de l’optimisation de la réponse d’un source electrospray, il est utile de mentionner les résultats de l’expérience menée par Amad et ses collaborateurs [204]. L’équipe a montré que les propriétés du solvant avait une incidence très forte sur l’intensité de production des biomolécules chargées. Ils ont observé la formation d’agrégats de méthanol et d’eau pour différentes proportions du mélange méthanol/eau. Leurs résultats montrent que les molécules de solvant, qui possèdent la plus grande affinité protonique en phase gazeuse (ici les molécules de méthanol : 761 kJ/mol), vont capturer les protons des autres molécules de solvant (eau : 697 kJ/mol), éliminant toute production d’agrégat d’eau. Ceci est observé dès les plus petites concentrations en méthanol. Dans la situation où le solvant utilisé possède une affinité protonique en phase gazeuse plus grande que celle de la biomolécule, la réponse de l’analyte peut être complètement supprimée. Ainsi, il faut être particulièrement vigilant lors de l’utilisation du solvant. Pour obtenir les meilleures performances, on s’attachera toujours à utiliser un solvant possédant une affinité protonique en phase gazeuse plus petite que la biomolécule que l’on souhaite étudier avec la source electrospray.

Activité surfacique des biomolécules

La réponse d’une source electrospray est également conditionnée par la biomolécule elle-même. Ainsi, deux molécules différentes placées dans des solutions de composition iden- tique n’ont pas la même efficacité de production. Zhou et Cook ont montré, en 2001 [196], que la réponse était significativement plus importante avec la phenylalanine (acide aminé) qu’avec la sérine (autre acide aminé) dans les mêmes conditions de production. Cette différence dans la réponse de la source electrospray provient de la structure même de l’ana- lyte. Dans l’expérience précédente, la chaîne latérale de la phenylalanine est hydrophobe (apolaire), tandis que celle de la sérine est polaire. Le résultat obtenu est lié au fait que les ions apolaires vont préférer se placer à la surface des gouttelettes, c’est-à-dire à une interface avec l’air. Les molécules apolaires vont avoir tendance à être plus facilement dé-

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solvatées et à avoir une meilleure réponse que les molécules polaires restées à l’intérieur de la gouttelette. De façon générale, les analytes qui ont une forte affinité pour la surface des gouttelettes possèdent une meilleure efficacité de production dans l’electrospray. Ce comportement peut s’expliquer par plusieurs raisons. D’une part, parce que les ions les moins solvatés se retrouveront plus facilement isolés en phase gazeuse lors de l’évaporation et vont donc contribuer de façon plus importante à la réponse de la source. D’autre part, parce que les ions polaires qui se retrouvent à l’intérieur de la gouttelettes vont être neu- tralisés par recombinaison avec des espèces de charge opposée, afin d’assurer la neutralité de l’intérieur de la gouttelettes (l’excès de charges est présent à la surface de la goutte). Les ions ainsi neutralisés vont principalement s’évaporer sous forme de sels et ne seront donc pas détectables par le spectromètre. Par conséquent, ce sont essentiellement les espèces présentes à la surface qui contribueront à la réponse de la source. Plus un analyte est pré- sent à la surface et plus l’efficacité de production par electrospray sera grande. Ceci peut être vérifié expérimentalement en étudiant l’intensité de production d’espèces possédant une faible activité de surface. L’équipe de Bahr a ainsi montré que des oligosaccharides qui sont difficiles à obtenir avec une electrospray traditionnelle (à cause des raisons que nous avons évoquées), pouvaient néanmoins être produits en grande proportion avec une source nanospray [205, 206]. La différence de réponse entre les deux systèmes s’expliquant par le fait que les gouttelettes générées par la source nanospray sont 100 à 1000 fois plus petites que celles d’une electrospray traditionnelle. Comme le rapport surface/volume de la goutte est très grand dans les sources nanospray, la production des oligosaccharides est, ici, facilitée car il est possible de générer, plus directement, des ions en phase gazeuse.

L’importance de l’activité surfacique dans la réponse de la source electrospray doit donc être prise en compte lors du choix des molécules à étudier, pour les expériences ultérieures qui nécessiteront des faisceaux stables et intenses de biomolécules. Par exemple, dans l’étude des peptides, si le choix est possible, on peut choisir de privilégier les molécules qui possèdent des chaînes latérales apolaires (hydrophobes).

Par ailleurs, si la biomolécule à étudier est fortement apolaire, on peut envisager, du point de vue instrumental, d’utiliser des aiguilles de plus petits diamètres dans le but de former des gouttelettes plus petites et de faciliter ainsi la production des espèces en phase gazeuse. L’examen microscopique de la formation du cône de Taylor a montré que celui-ci prend forme sur l’extérieur de l’aiguille. C’est donc le diamètre extérieur de la pointe qui conditionne la taille des gouttes [153, 159]. La diminution du diamètre intérieur, quant à lui, permet d’utiliser des flux plus faibles et donc de consommer moins de solution. A l’heure actuelle, les aiguilles les plus fines ne peuvent être réalisées qu’à partir de capillaire en verre non conducteur. La difficulté de la miniaturisation des pointes, outre leur fragilité, réside donc essentiellement dans la polarisation de la solution à l’extrémité de l’aiguille. À l’avenir, et compte tenu des améliorations proposées dans cette partie, il est possible d’envisager la réalisation de dispositifs en verre métallisé comprenant plusieurs pointes de très petits diamètres et permettant la formation de multiples cônes de Taylor, afin d’accroître l’intensité du faisceau.

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