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2 Les spécificités d’un projet de FFD

Rappelons en préambule que la FFD se situe à la frontière de plusieurs disci- plines ce qui la rend à la fois suspecte, passionnante et complexe à appréhender dans toutes ses dimensions.

Les projets de FFD ont la particularité d’être des projets complexes car non seulement ils se retrouvent à cheval sur plusieurs disciplines, mais ils font aussi inter- venir un grand nombre d’acteurs d’origines culturelles différentes, ils évoluent dans un contexte particulier et ils combinent deux logiques de projet différentes. En effet, le développement d’objets d’apprentissage tels que animations, simulations, etc. relève bien souvent d’une approche traditionnelle de gestion de projet de développe- ment, alors que la création d’activités, et la mise en contexte de certains éléments relève plutôt de la gestion de projet d’innovation. Nous identifions, par conséquent, une spécificité des projets de FFD au niveau de la mise en œuvre du contenu des éta- pes ainsi que la détermination du type d’étapes à retenir et de leur séquençage.

Pour ce qui concerne les objets pédagogiques, nous observons qu’actuelle- ment un nombre important de ressources en ligne sont de type «documentation ency- clopédique», sorte de «livres multimédia électroniques» affichant des éléments plutôt statiques agrémentés d’images ou de vidéos mais avec peu d’interactivité. Ce type de documents, dont les contenus sont organisés à la manière d’un manuel éducatif, relève d’une conception transmissive de l’enseignement. Cette conception ne semble pas amener de réelle plus value à l’enseignement, si elle est la seule démarche mise en place. Nous avons tenté de comprendre pourquoi cette démarche est la première privi- légiée en observant les pratiques mise en place dans l’enseignement traditionnel.

Dans une approche classique de l'enseignement supérieur, on demande sou- vent à un expert du domaine (Enseignant chercheur), quels sont les concepts clefs, et les ouvrages de références nécessaires à la compréhension de son domaine. Puis on lui demande de construire un scénario d'enseignement à partir de ces concepts clefs. Dans bien des cas, l'enseignant universitaire se base sur son «feeling» et son expé- rience pour concevoir des situations d'apprentissage «intéressantes». Le plus souvent il reproduit les situations qu'il a lui même appréciées lorsqu’il était étudiant. C’est cette approche que nous qualifierons d'approche «intuitive de l'enseignement». L’enseignement va se baser sur son intuition pour créer des situations d’apprentis- sage.

Lorsque l'on s'intéresse à l'enseignement dit classique (présentiel), l'ensei- gnant peut adapter son cours en temps réel car il est en contact avec ses étudiants, et a un retour immédiat. Il peut aisément se rendre compte si son auditoire ne comprend pas le contenu de son cours, s’il manque certaines bases aux étudiants, et adapter son cours pour répondre aux questions. Dans le cas de projet de FFD, les paramètres sont différents. Il faut avoir prévu à l’avance tous ces éléments, et il est difficile de repérer les problèmes liés à la manière de diffuser l'information, le suivi et les réponses aux questions se font à distance. L’adaptation du contenu du cours ne peut se faire qu’a posteriori et dans un délai plus long.

Comme nous quittons une phase d’initiatives individuelles, et exceptionnelles, pour entrer dans une phase de production de masse. Il me semble que nous pouvons bénéficier des nombreuses expériences et constatations faites par nos pairs dans le

observation des pratiques courantes au sein des universités, notamment dans les pro- jets du Campus Virtuel Suisse.

Une pratique souvent observée au début des projets de FFD est celle où l’enseignant reproduit le système classique de diffusion de savoir encyclopédique, en y associant la croyance que l'accès à l'information suffit pour engendrer la connais- sance (approche transmissive). Les présentations de cours sont mises en ligne sans réelle organisation, de nombreuses références sont fournies, et les étudiants, surchar- gés d’informations, ont de réelles difficultés à apprendre. Malgré la présence de nou- veaux outils, il n’y pas de modification de la pratique enseignante, et les enseignants n’ont pas perçu les difficultés d’adaptation du matériel pendant le déroulement du cours. Toutes les ressources sont investies dans la réalisation de contenus sans imagi- ner de nouvelles stratégies pédagogiques qui pourraient être amenées par les techno- logies. Par exemple la possibilité de récupérer et adapter du matériel développé par d’autres en accédant aux banques d’objets pédagogiques. On constate que peu d’enseignants réutilisent ouvertement le matériel d’autres enseignants («Syndrome du n’a pas été fait ici»). Ils en arrivent même à créer à nouveau leur propre matériel d’enseignement. Dans certains projets de FFD, nous avons pu observer que le choix des outils a consommé énormément de temps et d’énergie en début de projet (ref. [132] -). Ce choix d’outils s’est parfois révélé inapproprié, et le cours a été conçu en fonction de ces outils et non pas en fonction d’un scénario pédagogique bien précis. Les résultats ont parfois été surprenants, voire décevants et avec peu de valeur ajou- tée.

De toute évidence les enseignants, victimes de leur inexpérience en FFD et de la méconnaissance des outils et de leurs possibilités, ont souvent sous-estimé:

- le temps nécessaire à la réalisation du projet, avec pour conséquences le manque de disponibilité pour la gestion du projet (ils ont l’impression de perdre du temps), la délégation de la rédaction du contenu à d’autres personnes (assistants), et une phase d’analyse trop rapide afin d’avoir plus rapidement un objet concret issu du développement. Par manque de temps les formations aux outils sont souvent négli- gées.

- les compétences techniques : Quelques enseignants sont venus aux technolo- gies pour faire comme tout le monde, ou sous la pression d’une institution voulant

imposer des outils, ou pour participer à un projet financé en partie par des fonds exter- nes. Les difficultés rencontrées pour utiliser les outils technologiques ont déclenché des peurs et le rejet de ces outils avec pour conséquence la non utilisation du produit par l’enseignant lui-même. Un autre cas de figure a concerné les enseignants ayant l’impression de maîtriser l’aspect technologique, et qui en tant que leader de projet ont voulu imposer des choix techniques en ignorant les conséquences à la fois techni- ques et pédagogiques. D’autres n’ont pas perçu le changement de pratique d’ensei- gnement qui doit accompagner un projet de FFD. Cela induit un refus du changement et la peur associée par rapport aux nouveaux rôle et statut de l’enseignant.

De plus, on a pu noter la déception des enseignants et des partenaires de pro- jets, lorsque le produit ne correspond pas aux attentes ou qu’il n’a pas abouti. Dans ce cas un des effets pervers est le renforcement des anciennes pratiques aussi bien pour les enseignants impliqués dans ces projets que pour ceux faisant partie de leur entou- rage. D’autres ont été submergés par les difficultés et les différents aspects des projets de FFD.

Du point de vue des apprenants on a pu identifier des effets pervers tels que report des frais d’impression sur les étudiants, sous couvert d’autonomisation de l’apprentissage. Des pertes de temps et d’énergie dans l’apprentissage usant de la FFD, pour des projets à faible valeur ajoutée par rapport a un enseignement classique avec à la clef de fortes déceptions et le risque d’un rejet futur.

Finalement du point de vue financier, les institutions ont couvert des dépasse- ments de budgets et géré le personnel engagé sur des projets à durées limitées (ce fut le cas au Centef).

Pour remédier à ces difficultés, nous proposons de fournir une bonne informa- tion aux enseignants désirant initier un projet de FFD, afin de les sensibiliser aux technologies et aux différents aspects à traiter. La première information concerne le changement de pratique induit et l’évaluation du degré de changement que l’ensei- gnant est prêt à accepter. La deuxième information concerne la mise en place d’un «vrai projet», utilisant une méthode de gestion de projet respectant les étapes décrites ci-après, et définissant clairement les acteurs qui devront intervenir (Ingénieur péda-

gogique, pédagogue, psychologue, informaticiens, designers, tuteurs, experts, psy- chologue), leurs activités et leurs responsabilités.

Une topographie rigoureuse de projet (ref. [34] -) permettant d’identifier les caractéristiques principales du projet doit être réalisée. L’élaboration d’un scénario pédagogique est primordiale. Ce scénario doit décrire non seulement l’enchaînement des sessions de cours, mais aussi les activités prévues, les conditions de travail pour les étudiants, préciser les objectifs pédagogiques, et les attentes du professeur que ce soit en terme d’apprentissage, de compétences attendues ou en terme d’évaluation. Avec l’aide de l’ingénieur pédagogique on pourra commencer à chercher des objets d’apprentissage, ou des scenarii d’apprentissage dans les nombreuses banques de données existantes (Merlot, Edna, Ariadne, etc.) ou sur Internet. Le professeur sera ainsi sensibilisé aux paramètres spécifiques de la réutilisation et pourra en tenir compte s’il est amené à adapter des objets existants, ou en produire de nouveaux.

Ces paramètres sont :

• La granularité des objets pédagogiques; elle doit être suffisamment fine pour faci- liter la réutilisation, mais pas trop sinon on risque de perdre une partie importante du contexte, des liens avec d’autres objets pédagogiques et les rendre inutilisa- bles.

• La connaissance et l’adéquation avec les standards du elearning. On évitera ainsi de se retrouver piégé dans un environnement qui ne correspond pas à des stan- dards, et les objets et scenarii pédagogiques produits seront plus facilement main- tenus, exportables et réutilisables.

• Les difficultés de la définition de scenarii pédagogiques, la définition de séquen- ces et la réorganisation de ces séquences.

Au niveau des institutions la mise en place d’un cadre favorable à l’innova- tion, la facilitation de l'accès aux différentes catégories d’acteurs concernés par les projets et la motivation en fournissant des moyens (techniques, financier, etc.) sont aussi importantes que de communiquer sur la volonté d'aller dans cette voie ou de valoriser les investissements des enseignants-chercheurs pour la partie enseignement.

Pour résumer, les projets de FFD sont des projets complexes relevant à la fois d’une dynamique de projet d’innovation et celle de projet de développement classi- que. Il est difficile d’aborder les projets de FFD, comme des cours traditionnels et de nombreux aspects ont été oubliés, voire ignorés dans les expériences vécue précédem- ment. Il est nécessaire pour réussir l’intégration des projets de FFD dans l’enseigne- ment de préparer les équipes enseignantes aux spécificités des projets de FFD, et de les former à l’utilisation de nouveaux outils d’enseignement. On ne peut se contenter de gérer le développement du projet comme la production d'un cours classique sauf si l'on désire seulement mettre son contenu textuel en ligne, et «faire comme d'habi- tude»

2.1 Du projet de cours traditionnel au projet d’e-cours

Pour concevoir des situations d'apprentissage «intéressantes», l'enseignant universitaire se base le plus souvent sur son intuition et son expérience, c’est l’appro- che intuitive - plutôt suivie par les «early adopters» (ref. [101] -). Parfois il reproduit des situations qu'il a lui même appréciées lorsqu’il était étudiant. Placé dans le cadre d’un enseignement présentiel l'enseignant, percevant immédiatement l’accueil de son auditoire, peut adapter son discours en temps réel.

Si l’on observe du point de vue de la gestion de projet la manière dont, placé dans ces circonstances, le cours est préparé on constate que :

• la phase d’analyse est d’autant plus réduite que l’enseignant possède de l’expé- rience. L’effort porte plutôt sur la scénarisation (instructional design) qui com- prend outre l’inventaire des connaissances à transmettre, la manière de les présenter afin que l’apprentissage soit optimum, ce qui revient à réfléchir d’une part à la séquence pédagogique et d’autre part à la manière de proposer chacune des activités et/ou des tâches de la séquence (p.e. déroulement de la présentation d’un cas ou d’un exercice, organisation d’un travail pratique, etc.);

• la phase de production et la phase de livraison sont le plus souvent confondues; • les phases de tests (contrôles des connaissances) et d’évaluation des apprenants

veaux clients (étudiants) lesquels ont souvent des besoins et des attentes différents de celles de leurs prédécesseurs.

• il n'est pas nécessaire d'adopter une systématique de gestion de projet trop lourde à mettre en œuvre pour un seul acteur d’autant plus que le nombre de paramètres à prendre en compte est relativement petit.

Il en va tout autrement dans le cas d’un cours de FFD. Tout doit être très soi- gneusement prévu à l’avance car si l’on se place du point de vue de:

la conception et de la réalisation du cours : le nombre d'acteurs impliqués et les paramètres à prendre en compte sont beaucoup plus nombreux (intervention de concepteur d’animations, de graphistes, ajout de la notion de tutorat à mettre en place, etc.);

la délivrance du cours : (i) il est impossible de réagir ou de construire son cours en temps réel, (ii) l’adaptation du contenu ne peut se faire qu’à posteriori et enfin (iii) le suivi et les réponses aux questions se font très souvent de manière asyn- chrone.

2.2 De l’aspect recherche d’un projet de FFD

De par leurs activités dans le milieu académique, les professeurs ont à la fois le statut d’enseignant, et celui de chercheur, aussi l’enseignement universitaire et la recherche se retrouvent liés structurellement. Lors de la mise en place ou la création de projets de FFD, l’enseignant va faire des hypothèses quand à la meilleure manière de transmettre les connaissances qui peuvent être nouvelles pour ses apprenants. Par la suite il va devoir imaginer des activités qui cadrent avec les compétences que ses étudiants devront être capable d’utiliser. Nous considérons donc que le projet de FFD possède naturellement une dimension recherche, en ce sens qu’elle amène un ensei- gnant à explorer un champ de nouvelles pratiques, voire de nouvelles connaissances qui sortent de son domaine d’expertise s’il n’est pas chercheur en science de l’éduca- tion. Il nous a donc semblé normal d’étudier la démarche de gestion de projet de recherche, puisque c’est celle qui semble la plus naturelle à mettre en œuvre pour un chercheur quel que soit son domaine de recherche.

2.3 De l’aspect innovant de la FFD

A l’instar de nombreux chercheurs (INRP1, TECFA2) nous estimons que l’objectif premier de la mise en place d’un projet de FFD vise à améliorer l’enseigne- ment. L’utilisation des TIC permet d’innover en la matière dès lors qu’elle apporte une véritable valeur ajoutée par l’offre d’une riche palette de nouvelles possibilités (simulations, hypermédia, travail collaboratif, environnements virtuels, réalité vir- tuelle, visualisation 3D, etc.). Ainsi, peut-on espérer que tout projet de FFD comporte une certaine, voire une forte, composante innovation. Par conséquent, nous avons étu- dié le domaine de la gestion de projet d’innovation, afin de tenter d’identifier des points communs ou des divergences entre la conduite de projet d’innovation et celle de projet de FFD. Mais dans un premier temps nous nous sommes d’abord intéressé au domaine de la gestion de projet en tant que tel.

CHAPITRE 2