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Les spécificités du cancer en matière de gestion du maintien dans l’emploi

Chapitre 4 : Les contextes plus ou moins favorables au retour à l’emploi

1. Les variables exogènes : le type de pathologie et l’âge du salarié

1.1. Les spécificités du cancer en matière de gestion du maintien dans l’emploi

Sur le panel d’affections de longue durée que les acteurs de l’entreprise ont à gérer - cancers, maladies cardiaques, affections musculo-squelettiques, maladies psychosociales ou autres pathologies chroniques évolutives (sclérose en plaque, Sida,..), le cancer occupe une sorte d’intermédiaire sur l’échelle des difficultés à réadapter la personne au travail. Il semble à la fois poser moins de problème d’adaptation de postes que d’autres pathologies dont les séquelles sont plus lourdes ou plus difficilement gérables (maladies psycho-sociales notamment), tout en étant plus déstabilisant pour les collectifs de travail que certaines pathologies à caractère plus « mécanique », tels les problèmes de dos ou les maladies cardio-vasculaires. Les professionnels

une comparaison France Allemagne

du retour à l’emploi rencontrés s’accordent pour dire qu’il y a aujourd’hui de moins en moins d’employeurs qui considèrent que le cancer, plus que les autres pathologies, empêche le retour à l’emploi. Pour autant, le cancer se caractérise encore par une représentation subjective, voire irrationnelle des handicaps qu’il engendre, aux conséquences notables sur les conditions de maintien dans l’emploi.

Il apparaît tout d’abord que les acteurs ne font pas spontanément de distinction entre les types de cancers. Cette maladie est appréhendée de manière globale et génère un système de représentation propre, qui la distingue des autres, alors même que les séquelles des différents cancers peuvent être de natures diverses. Un premier niveau de discours sur le retour à l’emploi des malades ayant eu un cancer met en avant le caractère dichotomique des trajectoires des personnes, qui soit ne reviennent pas à l’emploi, soit reviennent dans les mêmes conditions qu’avant, ou presque. Le cancer est alors avant tout présenté comme une pathologie peu problématique dans le cadre du retour à l’emploi. Toutefois, en entrant plus avant dans l’explicitation des représentations de cette pathologie, il apparaît que le cancer suscite une multitude d’interrogations voire d’inquiétudes sur les capacités du salarié à être de nouveau dans une dynamique professionnelle. Il y a comme un « avant » et un « après » la maladie dans le regard que porte le collectif de travail, qui pèse sur les conditions du retour à l’emploi même si les médecins du travail et les ressources humaines soulignent que le cancer tend de plus en plus à se « dé tabouiser ». Pour une majorité d’acteurs rencontrés parmi les ressources humaines et l’encadrement direct, le problème essentiel posé par un salarié qui a eu un cancer et revient au travail est la gestion de son stress. Les salariés ayant eu un cancer bénéficient ainsi d’une attention particulière des responsables d’équipe, focalisée sur cette question. L’autre caractéristique de la représentation du cancer par les acteurs de l’entreprise est l’incertitude qui accompagne le devenir de la personne. L’idée selon laquelle « on parle rarement de guérison dans le cas d’un cancer » ou qu’il y a toujours « l’épée de Damoclès d’une rechute » engendre un regard particulier de la part des collègues. Ces différentes représentations se retraduisent particulièrement dans les adaptations de poste dites « informelles », qui renvoient souvent à ce que le collectif de travail suppose de l’état de santé de la personne concernée, de manière non construite ni même véritablement réfléchie et partagée avec la personne concernée.

« Avec le cancer, c’est évidemment la question du stress qui vient tout de suite. On a en tête qu’il faut ménager les gens qui ont eu un cancer de ce point de vue. Avec le cancer, on a peur de charger la personne, on se demande toujours si elle va craquer. On a peur aussi de lui faire courir des risques en la stressant » Télécommunication, responsable de service

« On ne devrait pas se dire ça, mais c’est vrai que ceux qui ont eu un cancer sont regardés comme des survivants. Ça vous chamboule une équipe. On a plus de mal à voir sereinement comment changer un poste, réintégrer la personne » Télécommunication, responsable de service

« Oui, bien sûr, les postes ont besoin d’être adaptés. Mais comment ? Qu’est-ce que ça veut dire que mettre moins de pression sur quelqu’un ou d’être plus attentif à ses horaires. Il n’y a rien de médical là dedans. Tout est à l’appréciation des responsables de service et des collègues » Télécommunication, Direction de l’établissement

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Ainsi, le fait que le cancer soit unanimement considéré, en France comme en Allemagne, comme une pathologie peu problématique en termes de retour à l’emploi semble induire un recours moins systématique aux adaptations de poste formalisées, notamment sur les postes administratifs, commerciaux ou le tertiaire de haut niveau. Une distinction est inconsciemment établie par les acteurs entre les situations qui relèvent d’« accidents » ou d’ « usure physique » et ont à ce titre une dimension « mécanique », et celles qui relèvent véritablement de la « maladie ». Les premières font plus facilement l’objet de réadaptations, envisagées comme une solution technique à un problème de nature mécanique. Par opposition, le cancer est fréquemment appréhendé comme une étape qui transforme irréversiblement la vie du salarié, face à laquelle il n’y a pas ou peu de réponse technique ou fonctionnelle à apporter. Paradoxalement, tout est mis en œuvre par le collectif de travail pour faire « comme avant », y compris en évitant au maximum d’adapter le poste de manière formalisée. En pratique, la manière d’appréhender la capacité de travail de la personne change sensiblement, mais en fonction de perceptions subjectives. Par ailleurs, le fait que les séquelles physiques visibles soient relativement rares dans les cas de cancer et que les handicaps engendrés par ce dernier soient plus difficiles à cerner, ne conduit pas à un cumul d’expériences qui permettrait de formaliser, au niveau de la DRH, des procédures d’adaptation de poste spécifiques. Néanmoins, ce constat n’est pas propre aux pathologies cancéreuses : on ferait vraisemblablement le même constat pour les pathologies psychiatriques dont tous les acteurs rencontrés s’accordent à considérer qu’elles sont beaucoup plus déstabilisantes pour les collectifs de travail et lourdes à gérer dans l’entreprise.

En Allemagne, la réinsertion des personnes atteintes du cancer est là aussi considérée en règle générale comme peu problématique. Si le pronostic est défavorable, la personne malade ne retourne souvent pas dans l’établissement. En cas de pronostic favorable, elle est proche de la guérison au moment de son retour. Sa motivation à la réintégration est souvent forte : le retour au travail « normal » permet de tourner la page de la maladie. L’empathie de l’entourage professionnel agit comme facteur positif de réintégration. Des aménagements du poste de travail ou des mutations ne s’imposent souvent pas ou sont relativement faciles à mettre en œuvre. Le dispositif de réinsertion progressive est très fréquemment utilisé, avec de bons résultats.

Enfin, la question du rapport entre cancer et handicap constitue un aspect central des conditions de gestion du retour à l’emploi, sur lequel France et Allemagne se distinguent en revanche nettement. En effet, en France, la réticence est grande, du côté des salariés comme de certains acteurs de l’entreprise, à assimiler les situations de salariés ayant eu un cancer à des situations de handicap. Dans l’essentiel des entreprises rencontrées, la possibilité de demander le statut de travailleur handicapé afin de faire bénéficier l’entreprise d’aides pour l’adaptation des postes n’est jamais évoquée, par aucun des acteurs de l’entreprise. Considérer le salarié qui a eu un cancer comme handicapé est perçu même comme quelque chose de choquant, qui ne peut aider en rien à la réintégration professionnelle, bien au contraire. L’effet stigmatisant de ce statut l’emporte sur les éventuels bénéfices que pourrait en retirer la personne. Seule l’établissement Grande Distribution a tenté de transformer de manière volontariste l’approche de la question à travers l’accord Handipacte sur l’intégration des personnes handicapées en entreprise. La mise en place de ce dernier a eu pour effet que les ressources humaines et la médecine du travail

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proposent la reconnaissance du statut de travailleur handicapé aux salariés qui ont eu un cancer et qui rencontrent une difficulté de réadaptation au travail. Toutefois, les acteurs rencontrés soulignent la fréquence des refus de la part des salariés. La rhétorique développée pour convaincre est que l’entreprise, bénéficiant d’aides, aura plus de facilité à maintenir dans l’emploi en trouvant des solutions adaptées. C’est donc sur une approche individuelle et utilitariste que le statut de travailleur handicapé est investi, et non sous l’angle de la reconnaissance d’une spécificité qui implique l’intégration dans un groupe de salariés bénéficiant de conditions particulières.

La question des présupposés et des représentations qui conduisent les collectifs de travail français à refuser cette démarche est complexe, alors qu’elle est systématique et socialement légitime en Allemagne. Mais elle renvoie moins à des différences de représentation du cancer qu’à des différences de représentation du handicap (voir chapitre 2). En Allemagne, l’approche du handicap héritée de la Grande Guerre et de la responsabilité sociale d’intégration des « gueules cassées » dans l’entreprise a structuré une représentation du handicap moins axée sur les handicaps congénitaux comme c’est encore le cas en France. Une perception moins exclusive des deux statuts de handicapé et de malade facilite une appréhension conjointe de la longue maladie et du handicap. Les entretiens menés auprès des élus de conseils d’établissement et des représentants des grands handicapés témoignent du fait que la prise de conscience qu’une majorité des handicaps sont acquis au cours de la vie, notamment dans la vie professionnelle, est aujourd’hui une dimension structurante de la représentation de la problématique du handicap en Allemagne. L’approche sociétale collective de responsabilité à l’égard des grands handicapés invalides de guerre a par ailleurs permis la mise en place d’un fonctionnement où la gestion du handicap au sein des établissements est plus collective et plus explicite. Aujourd’hui, les refus individuels de demander une reconnaissance du handicap ou de le rendre public existent, mais sont rares. Pour les malades du cancer, la démarche qui consiste à demander un certificat de grand handicapé est ainsi largement banalisée.

1.2. Des stratégies d’acteurs différentes en fonction de l’âge du