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L’interface entre l’espace du soin et l’espace du travail

Chapitre 3 : Les temps de la gestion du retour à l’emploi

1. Le temps de l’arrêt maladie

1.4. L’interface entre l’espace du soin et l’espace du travail

Outre la question du lien entre le salarié et son collectif de travail, une autre dimension de la question de l’arrêt maladie et de la transition avec le retour à l’emploi concerne l’articulation entre l’espace du soin et l’espace du travail, et la capacité des différents acteurs qui y officient à établir des synergies autour des trajectoires des personnes.

En France, la faiblesse des passerelles entre l’espace du soin et celui du travail est notable. Ainsi, le chef du service social d’un centre de lutte contre le cancer pointe de lui-même les défaillances de son activité sur le terrain du retour à l’emploi. L’essentiel des interventions du service touche au conseil pour assurer les meilleurs revenus de substitution possibles pour des personnes menacées par la précarité suite à une rupture trop longue avec le milieu du travail, ou dans des situations où le retour à l’emploi n’est plus envisageable. Mais le fait de préparer le retour dans l’entreprise avec un salarié en fin de traitement n’est pas intégré dans l’activité du service.

Plus largement, l’interface entre médecin conseil, médecin traitant, qui sont deux acteurs clés dans cette étape qu’est l’arrêt maladie, et le médecin du travail, apparaît très faible, ce que déplorent souvent les acteurs de l’entreprise, notamment les ressources humaines et les médecins du travail. Selon plusieurs médecins du travail, il manque une prise de conscience chez les médecins traitants et les médecins conseils, des conséquences des décisions qu’ils prennent sur la sphère du travail. Ainsi, les médecins traitants devraient s’enquérir plus en amont des métiers des salariés et de leurs contraintes, afin de préparer ces derniers aux éventuelles difficultés à prendre en compte au moment du retour au travail. Du côté de la Sécurité Sociale, la politique d’activation des travailleurs qui se développe actuellement apparaît clairement à travers les contrôles plus stricts effectués auprès des salariés en arrêt. Mais cette remise au travail ne s’accompagne pas d’une réflexion sur les postes de travail concernés. Certains médecins du travail voient ainsi revenir à leur poste des salariés qu’ils auraient déclaré inaptes. Il faut alors adapter le poste ou, quand ce n’est pas possible, trouver une solution pour maintenir la personne en emploi. Plus encore, le médecin conseil, dont les décisions ont pourtant une importance capitale, est le grand absent du processus de retour à l’emploi. Refusant d’être en contact avec les ressources humaines au nom de la protection du salarié, il

une comparaison France Allemagne

est également très difficilement joignable par le médecin du travail. Ses décisions ont des incidences considérables sur les marges de manœuvre des acteurs de l’entreprise. Pour autant, il n’y a pas de dialogue avec lui autour des cas des salariés concernés.

« La législation est ainsi faite que quand la Sécu dit qu’il faut reprendre « LE » travail, ça s’impose. Mais c’est bien autre chose de retrouver « UN » travail, c'est-à-dire un poste, avec ses spécificités, ses contraintes. » Ressources Humaines, Grande Distribution

« Les gens qui sont centrés sur le soin ont, et c’est normal, la guérison comme objectif. Mais ils ne parlent pas du travail. Par exemple, passer la visite de pré-reprise, ce n’est pas connu, ni chez les salariés, ni chez les médecins traitants. Or, elle peut être passée n’importe quand, elle n’a pas de valeur juridique, mais elle peut donner des pistes, on peut réfléchir à la manière de s’y prendre. » Médecin du travail, Grande Distribution

« C’est de plus en plus difficile de joindre les médecins conseils. On tombe sur des plateformes, on laisse des messages mais on ne vous rappelle jamais. Ce n’est pas pour contester leur avis, mais pour discuter, comprendre. Nous on doit prendre le problème à bras le corps, selon l’angle du travail, qui est bien spécifique. » Médecin du travail, Etablissement hospitalier

En définitive, selon les acteurs de l’entreprise, il manquerait en France du côté de l’espace du soin et de la Sécurité sociale une réflexion en termes d’aptitude au poste de travail. Cette question reste cantonnée à la sphère du travail puisque c’est le médecin du travail qui, à travers la déclaration d’aptitude ou d’inaptitude, juge de l’adéquation entre les capacités du salarié et son poste de travail. Or c’est à ce niveau précis que se situe la question du maintien dans l’emploi. La gestion de cette question n’est donc pas transversale aux différents espaces que traverse la personne en affection de longue durée.

En Allemagne, les acteurs ayant à gérer dans les établissements visités le retour des salariés en longue maladie entretiennent des contacts étroits avec les acteurs de la Sécurité sociale. Cette situation ne peut sans doute pas être extrapolée, même si les caisses, dans un souci d’économies, cherchent à promouvoir la politique de prévention des entreprises et développent une approche plus offensive à leur égard. Les représentants des grands handicapés sont souvent particulièrement engagés dans ces relations, ce qui permet de régler un certain nombre de problèmes avant même le retour du salarié en longue maladie (aides techniques, plan de réintégration progressive, etc.). Le point faible du système est toutefois, selon les acteurs interviewés, l’articulation déficiente entre acteurs de la réhabilitation et acteurs gérant le retour dans l’établissement. Il n’y a guère de contacts entre médecins du travail et cliniques de réhabilitation durant cette phase pendant laquelle le malade n’est suivi de l’extérieur que par son médecin traitant. Des projets pilotes ont été montés pour intégrer davantage les médecins du travail dans les dispositifs de la réhabilitation médicale. La gestion du maintien dans l’emploi s’inscrit donc dans un réseau d’acteurs et de compétences qui dépassent l’établissement et inscrivent la question dans une problématique de gestion publique, dont les normes encadrent le fonctionnement des acteurs des entreprises.

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