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En Allemagne, une démarche plus assumée, mais soumise à l’acceptation du salarié

Chapitre 3 : Les temps de la gestion du retour à l’emploi

1. Le temps de l’arrêt maladie

1.3. En Allemagne, une démarche plus assumée, mais soumise à l’acceptation du salarié

En Allemagne, espace privé du salarié malade et espace professionnel apparaissent a priori moins cloisonnés. Une approche intégrée de l’insertion incite les acteurs à construire des passerelles entre temps de l’arrêt et temps de retour tout en respectant la sphère privée et la volonté du malade. Le positionnement des acteurs par rapport à l’arrêt prolongé pour cause de maladie est toutefois intimement lié à leurs choix de fond en matière de maintien/retour dans

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l’emploi. Une typologie des établissements allemands visités les classe en trois catégories en fonction de leur approche du retour à l’emploi après la longue maladie. L’approche « volontariste » tout d’abord, où la politique de réinsertion repose sur un consensus des acteurs et fait partie du statut autant que de l’image sociale de l’entreprise ; l’approche « négociée » ensuite, où le dynamisme de la représentation des grands handicapés (SBV, Schwerbehindertenvertretung) impose à la direction un comportement proactif en matière de réinsertion ; l’approche « contrariée » enfin, où la politique de réinsertion est - aux yeux de la direction et éventuellement de la représentation du personnel - un enjeu secondaire dans l’ensemble politiques sociales de l’établissement, sous contrainte d’autres priorités. Concernant l’étape de l’arrêt maladie, il est plus clairement énoncé par les acteurs que l’établissement d’un contact avec le salarié pendant l’arrêt maladie est bénéfique dans une perspective d’anticipation du retour à l’emploi, bien que le déclenchement du processus reste subordonné à la volonté du salarié de rester en lien avec son entreprise. Représentants des handicapés et représentants du personnel, vont être en recherche de ce contact pour faciliter la suite du processus. Cette démarche, qu’elle soit plus ou moins aboutie d’une entreprise à l’autre, est symptomatique d’une approche plus intégrée des différentes étapes du retour à l’emploi. En effet, la période d’arrêt est envisagée par les différents acteurs de l’entreprise comme un moment à prendre en compte pour anticiper le retour de la personne. Dans chaque entreprise, un mode de prise de contact avec la personne en arrêt est choisi (coup de téléphone, panier de chocolats, fleurs), et mis en œuvre systématiquement. Si le salarié répond et se déclare prêt à maintenir le lien avec l‘univers professionnel, des mesures sont mises en place pour anticiper le retour à l’emploi. Toutefois, d’une entreprise à l’autre, le mode d’investissement du temps de l’arrêt par les acteurs de l’entreprise diffère sensiblement, et n’est pas toujours au service de la reprise du travail dans les meilleures conditions possibles pour le salarié.

Dans les établissements les plus investis sur la question de la réintégration au travail, le temps d’arrêt des malades est approché dans une double perspective. D’une part, il faut laisser au/à la salarié-e le temps de la convalescence – et de la coupure. D’autre part, l’expérience montre qu’une coupure prolongée tend à compliquer voire à compromettre la réinsertion : il faut donc « penser » d’emblée les différentes étapes de la réinsertion. Quand les salariés malades sont anciens dans l’entreprise, le contact est assez souvent maintenu durant l’arrêt maladie, par les collègues, des supérieurs, la SBV, via des coups de téléphone notamment. La responsable du personnel membre de l’équipe d’intégration de Communication connaît la plupart des salariés par son passage dans un grand nombre de départements. On lui téléphone facilement. Le représentant des grands handicapés d’Expédition Logistique téléphone systématiquement aux malades dès lors qu’il a connaissance de l’arrêt prolongé. L’établissement Automobile a maintenu la tradition du paquet cadeau (chocolats, confitures…) offert aux malades ; la personne de confiance des grands handicapés va le leur apporter à domicile ou à l’hôpital. Le principe selon lequel il faut respecter la volonté de la personne (qui peut-être ne veut voir personne) est cependant sacré.

Les acteurs qui investissent ce rôle de prise de contact l’envisagent souvent comme une démarche permettant de rompre l’isolement des malades, de manière volontariste. Ainsi, la représentante des grands handicapés de l’établissement B de Métallurgie note l’influence parfois un peu morbide d’un entourage familial (rural) qui, incitant les malades notamment atteints du

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cancer à se ménager et à « surtout ne rien faire », renforce le caractère anxiogène de la maladie. « Les gens ont parfois besoin qu’on leur dise : vas-y, fais l’essai, on sera contents de te voir revenir. A la maison, on les enferme dans un placard parfois ». Pour autant, dans tous les établissements sont signalés des cas de coupures totales entre les malades et les entreprises pendant la longue maladie, généralement à l’initiative des malades. Les retours sans préparation, « du jour au lendemain sans crier gare », ont de bonnes chances de conduire à l’échec, selon l’avis concordant des médecins du travail, des responsables du personnel et des représentants des salariés. Si le salarié accepte le contact, la procédure de réintégration progressive peut alors être mise en place (la section suivante détaille les conditions de cette procédure).

Les malades de longue durée rentrent souvent, après la phase d’hospitalisation, en clinique de réadaptation. Dans l’idéal – mais qui semble rarement se réaliser – les contacts en vue de la future réinsertion devraient avoir lieu durant cette phase, selon nos interlocuteurs. Ni le malade, ni son médecin de famille ne sont jugés compétents pour rendre objectivement compte durant la réadaptation des caractéristiques et des exigences du poste de travail qu’il vont retrouver. Une convention vient d’être signéeavec l’assurance retraite dans la région de Métallurgie A et B pour que les médecins du travail jouent un rôle plus actif durant la réadaptation médicale de sorte que la thérapie puisse intégrer les exigences professionnelles mais aussi alerter sur les aménagements nécessaires du poste de travail. L’établissement Communication cherche à mobiliser durant la phase même de la réadaptation les organismes susceptibles de financer d’éventuelles aides techniques.

« A quoi ça nous sert d’attendre que la personne revienne après trois mois de maladie après une hernie discale ? Le salarié dit : Je veux bien reprendre le travail, mais mon médecin m’interdit de faire ceci et cela. Alors je n’ai plus qu’à le renvoyer à la maison en attendant la nouvelle table de travail qui n’arrivera pas avant trois semaines – du pur gaspillage ». Communication, responsable du personnel.

Il faut toutefois se garder d’idéaliser la démarche de prise de contact et ses effets. Dans certains établissements, cette possibilité d’établir un lien pour anticiper et optimiser les conditions du retour est utilisée comme un moyen de pression par l’entreprise. Les ouvriers de l’établissement A de Métallurgie doivent s’attendre à un entretien avec les services du personnel dès leur retour. Il faudra alors « justifier » son état de maladie et de santé retrouvé, devant les membres de la hiérarchie éventuellement en ignorance de la gravité de la maladie. « Il est déjà arrivé que le responsable du personnel ignore que la personne en face de lui avait développé un cancer. C’est très pénible », selon un membre du conseil d’établissement présent à ce type d’entretiens. Expédition-logistique suit pour les arrêts prolongés un protocole déjà ancien « d’entretiens de collaborateurs » en plusieurs étapes. Comme chez Métallurgie A ce système hésite entre les deux logiques de facilitation de l’insertion et de pression sur la personne malade. S’il s’agit aussi de réfléchir sur l’aide que peut apporter l’entreprise, l’entretien risque de préparer le diagnostic d’incapacité en cas de maladie prolongée ou réitérée. Les convocations chez le médecin du travail sont craintes. « Officiellement, il est interdit de téléphoner aux malades pendant l’arrêt maladie. Mais il est arrivé que les malades soient convoqués pendant

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cette période », affirme le représentant des grands handicapés, relatant le cas particulièrement choquant d’un jeune homme atteint d’un cancer grave qui après son opération a été sommé à répétition de rendre compte de son état de santé et de la durée probable d’incapacité. « En tant que représentant, je m’y oppose, je suis prêt à aller jusqu’au tribunal de travail. J’essaie de désamorcer les choses le plus possible en amont ; je parle de façon informelle avec les supérieurs hiérarchiques. Mais dans les filiales où il n’y a pas de représentants, ou une représentation faible, ça marche beaucoup à la pression. Très vite, c’est la menace du médecin du travail ». Les directions des filiales travaillent elles-mêmes sous une forte pression de résultat et jugent peu concevable d’aller contre les directives de la centrale. Au sein de la même entreprise, d’un établissement à l’autre, les approches et sensibilités sociales du management ne sont cependant pas les mêmes.