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C) Un isolement spécifique à Mayotte

3) Une spécificité résolument régionale

Le terme « isolé » dans l'expression « mineurs isolés étrangers » renvoi à une situation à la fois spatiale et physique, qui s'avère en réalité variable selon les profils ; d'autant plus à Mayotte, où le contexte appelle à des observations et des connaissances spécifiques pour comprendre ce phénomène. En effet, s'il est commun de qualifier les mineurs sans représentant légal sur le territoire de « mineurs isolés », à Mayotte un certain nombre d'entre eux, voire la majorité, est pris en charge par un membre de la famille élargie, de la communauté ou des voisins bienveillants, lorsque la figure parentale est absente44. Une solidarité traditionnelle qui s'active et s'organise de façon à ce que l'enfant ne se retrouve pas en danger. Aussi, une partie de la spécificité du contexte se situe dans cette présence

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Une présence communautaire qui concerne essentiellement les Comoriens, installés de longue date à Mayotte du fait d'un contexte historique singulier. Les mineurs originaires du continent africain ne bénéficient pas d'un tel réseau.

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communautaire forte, témoignant d'une implantation historique et numériquement importante.

La condition de mineur isolé à Mayotte est donc fluctuante, mouvante, la catégorie perméable. L'isolement peut en effet être seulement temporaire ; et la situation d'un mineur peut faire des va-et-vient entre différents statuts. Un mineur, français ou potentiellement en devenir, peut être ainsi privé de représentant légal à Mayotte lorsque ses parents français quittent le territoire pour un autre département français ou l'étranger et laissent l'enfant à la charge d'un membre de la famille. Le caractère inconstant de l'isolement d'un mineur à Mayotte est ainsi principalement dû à la mobilité, voulue ou subie, des responsables légaux et/ou des adultes référents.

C’est pourquoi il est important de préciser les différents degrés d'isolement qui prévalent à Mayotte, pouvant d'ailleurs être interprétés comme autant de degrés de risque pour les mineurs sans représentant légal. C'est dans le fameux rapport de David Guyot (2012), que fut établi ce constat, mettant en exergue trois principales modalités de l'isolement :

Les mineurs isolés avec adulte apparenté :

Ce sont les plus nombreux, estimés à 62% des mineurs isolés par l’OMI et essentiellement d’origine comorienne. D. Guyot interprète cette situation comme un indicateur du capital social des mineurs et de leurs familles ; une caractéristique qui leur confère une garantie de protection supérieure aux autres mineurs isolés. S'ils sont dépourvus de référents légaux sur le territoire, ils ne sont pas absolument isolés de tout parent, proche ou éloigné. Selon un certain nombre d’acteurs associatifs, qui travaillent au quotidien dans les quartiers et sur la prise en charge des mineurs isolés, ces derniers seraient en fait rarement totalement isolés.

Les mineurs avec adulte non apparenté :

Cette situation concernerait un mineur isolé sur cinq. Une modalité qui, de par la multiplicité de situations que sous-tend l'expression « non-apparenté », peut recouvrir des réalités très diverses. S'il est vrai que l'absence de lien de parenté avec le mineur n'est pas nécessairement un facteur de risque ou de danger, l'analyse des dossiers par D. Guyot révèle que ces prises en charge sont souvent improvisées, s'effectuant sur la base d'opportunités et de solidarité de voisinage par des personnes elles-mêmes en situation irrégulière et ne jouissant pas d’une existence confortable. Pour 2014, l’OMI indique que ce profil de mineurs concernerait 28 % des effectifs.

Les mineurs sans adulte :

Cette catégorie de mineurs, de loin la plus préoccupante et qui expose le plus les mineurs à un risque voire à un danger immédiat, relève en fait de deux cas de figure : soit le mineur est absolument seul, soit il évolue en compagnie d'autres mineurs. Dans l’optique d'un isolement consécutif à une reconduite à la frontière des parents, cette situation semble témoigner de l'isolement social préalable de ces derniers, n'étant pas entourés par les membres de leur communauté.

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En outre, Guyot indique que cette situation correspondrait souvent à un isolement de fratries entières, où comme nous l'avons vu, le rôle du parent est endossé par l’aîné-e. L'effectif de ces mineurs isolés évoluant sans aucun adulte auprès d'eux est estimé à 555 soit 19% de l'ensemble des effectifs (l’OMI les estime à 10% sans adulte), en 2012 ; une proportion considérable qui ne fait qu’indiquer un pan de la réalité à Mayotte, où évoluent de nombreux enfants que l'on peut considérer en danger et nécessitant une protection immédiate (Guyot, 2012). Une population des plus vulnérables et qui, mêlée à celle des autres mineurs isolés de Mayotte, visible dans tous les quartiers, donne sens aux surnoms donnés à l'île (« Mayotte l'île aux enfants perdus » ou « Mayotte l’île aux enfants abandonnés »).

Ainsi, il apparaît que la majorité des mineurs isolés de représentant légal sur le territoire ne soit pas isolée de toute forme de prise en charge familiale ou communautaire. C'est pourquoi chez les professionnels de l'action sociale comme chez les habitants de Mayotte cette notion de mineurs isolés questionne beaucoup. Des débats qui expriment des discours divers, certains affirmant qu'il n'y aurait en réalité aucun mineur d'origine comorienne qui soit réellement isolé sur l'île, du fait de cette présence familiale ou amicale symbolisée par une solidarité communautaire forte. Un fait qui témoigne également de la forte mobilité des individus au niveau de l'archipel.

En outre, on peut observer un isolement différent chez les mineurs isolés réfugiés originaires de l'Afrique des Grands Lacs, en ce sens que leur culture et leur univers de sens est fort éloigné de celui de l'archipel comorien. Une « solitude radicale » (Cresp, 2010) qui les affecte tout particulièrement et dans une autre dimension, dans la mesure où leur isolement familial est couplé à une solitude brutale en arrivant à Mayotte. En outre, la rupture d'avec leur société d'origine et la disparition de leurs « référents sociaux, familiaux

et spatio-temporels » bouleverse l'ensemble des liens et des repères construits au fil des

années. Une atteinte violente à l'équilibre psychique du mineur, qui le fragilise dans tous les aspects de sa vie ; s'observent dès lors des conduites de repli, de mutisme et d'effacement dans les comportements et relations aux autres, symptomatiques d’une solitude profonde (Cresp, 2010).

C'est pourquoi ils éprouvent davantage de difficultés à sortir de leur isolement social, d'autant qu'ils sont parfois rejetés ou craignent de l'être par la jeunesse mahoraise et comorienne de l'île. En effet, les mineurs originaires des Comores semblent avoir moins de difficultés de sociabilité avec les autres jeunes, ne connaissant pas ou de façon différente les sentiments de repli que peuvent vivre les MIDA. Les liens historiques de Mayotte avec l'Union des Comores expliquent cette forte présence de jeunes originaires d'Anjouan, souvent nés sur Mayotte et qui se sont socialisés ensemble dans la rue en y évoluant en groupes. Une forme d' « insertion par le bas », faute de pouvoir s'insérer d'une autre manière. Or, les mineurs du continent africain ne connaissent en général pas de tels réseaux de soutien, très isolés sur le plan social et relationnel.

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Car c’est un fait, la qualité de l'isolement des mineurs s'apprécie également au regard leurs interactions sociales avec leurs pairs ainsi que de leur implication et de leur insertion dans la vie du quartier. Très majoritairement, il apparaît que les mineurs isolés semblent ne pas connaître les associations présentes à Mayotte, ce qui les prive d'un soutien et d'un accompagnement socio-éducatif contenant. Et ce, d'autant que ces jeunes ne bénéficient d'aucune structure de loisir ou de quelconques activités, rien n’étant proposé pour cette frange de la population. Les diverses MJC construites sur l’île font office de façades, inutilisées car inaccessibles et non mises à profit pour les habitants de l’île ; les tarifs sont rédhibitoires pour les associations souhaitant louer un local, sans compter le nombre de MJC vides d’aménagements et de tout projet.

Par conséquent, on observe à Mayotte une conjoncture particulière où l’isolement des mineurs tend à apparaître comme conditionné par le contexte régional et culturel de l’île. Une population qui évolue dans une précarité statutaire et sociale problématique, où se pose de façon accrue la question de la place qu’occupe cette catégorie sociale spécifique dans la société mahoraise.

II) Quelle place pour les mineurs isolés dans la société