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C) Un isolement spécifique à Mayotte

2) Vers un double isolement des mineurs

Il est intéressant de constater que l'isolement des enfants n'est pas uniquement dû à la politique migratoire et donc à la douloureuse attractivité de Mayotte. D'autres modalités entrent en jeu, notamment lorsque ces mineurs sont déjà isolés de toute figure parentale ; mais aussi lorsque l’on considère la dimension culturelle des migrations de mineurs.

Pour commencer, le fait qu'un certain nombre de mineurs arrivent seuls à Mayotte dans le cadre d'un confiage auprès d'un membre de la famille sur l'île française, semble en précipiter certains dans l'isolement total. En effet, lorsqu’ils arrivent dans l'optique d’un accueil par un membre de la parentèle, certains se retrouvent confrontés à des paramètres qu'ils n'avaient pas envisagés ; ni eux, ni leurs parents en amont. Car il est des situations où le parent aux Comores n'a pas correctement organisé l'arrivée de son enfant sur le territoire, conduisant à une période d'errance et d'isolement avant qu’il soit pris en charge. Parfois aussi le parent accueillant à Mayotte est sur le point de quitter le territoire ; que ce soit après avoir obtenu « les papiers » ou pour des vacances (en métropole, à la Réunion ou à Anjouan par exemple).

Mais le plus souvent il s’agit de l'aspect économique et surtout des difficultés d'intégration de nombreux mineurs envoyés en confiage chez leur famille élargie qui tendent à précariser et à provoquer leur isolement. En effet, une partie de ces jeunes ayant quitté les Comores pour Mayotte se retrouve confrontée à un double isolement. Le membre de la famille chez qui le mineur doit se rendre pour être accueilli peut à son tour faire défaut, de diverses manières.

Tout d’abord il faut savoir que si certains ont obtenu des « papiers », ces tiers apparentés sont souvent en situation irrégulière et peinent à vivre convenablement ; souvent sans ressources ou très pauvres, leurs logements sont exigus et peinent à offrir un espace pour

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chacun. Aussi, bien qu'ils acceptent d'accueillir les mineurs qui se retrouvent isolés, la précarité de leur situation est source d'instabilité. Dans certains cas, ces tiers ne peuvent même pas héberger les mineurs au sein de leur foyer ; ces derniers vivent alors dans un banga entre frères et sœurs, vaguement visités à des occasions destinées à leur apporter de la nourriture.

Des difficultés qui puisent en partie leur source dans les obstacles auxquels se heurtent les ESI (étrangers en situation irrégulière) lorsqu’ils souhaitent d'obtenir un titre de séjour à Mayotte. Depuis l'extension du champ d'application du Ceseda42 sur l’île, les textes antérieurs se sont vus profondément transformés, complétés mais aussi contraints à des dispositions dérogatoires spécifiques à Mayotte. C'est le cas du renforcement des difficultés pour les personnes étrangères voulant obtenir un titre de séjour ou pour faire valoir leurs droits contre les décisions administratives qui les concernent43.

D'autre part, ces jeunes peuvent connaître une situation d’isolement problématique lorsque la personne qui les prend en charge s'essouffle et n'arrive plus à supporter le poids de la prise en charge. En effet, un certain nombre de mineurs tendent à avoir un comportement difficile, bravant l'autorité et les règles imposées par leur référent de fait. D'autres fois, ce sont les affinités ou le contexte relationnel qui pose problème ; le manque de place au sein du foyer ou de volonté d'en créer une pour cet enfant peut aussi entrer en ligne de compte. Une fois dans le quotidien de la relation et de la prise en charge, certaines familles ne parviennent pas à investir la relation, tendant ainsi à le délaisser progressivement. Les travailleurs sociaux témoignent de ces cas où, suite à un conflit avec le tiers accueillant, le mineur se retrouve dans la rue. Si certains sont mis dehors, leur comportement n'étant plus ni compris ni toléré, d'autres fuguent d'un univers familial qu'ils ne supportent plus.

L'isolement prend donc aussi sa source dans ces conflits et tensions familiales. Et les conséquences sont graves ; le mineur se retrouve dès alors livré à lui même, devant chercher un hébergement chez des amis ou des connaissances lorsqu'il n'y a aucun autre adulte de sa famille sur le territoire pour s’en occuper.

Sans compter que l'allongement de la durée de l'isolement pour ces mineurs n'est pas toujours propice à une pérennisation de la prise en charge familiale ; les parents étant empêchés de revenir à Mayotte de façon croissante, l'accueil solidaire nécessite d'être mobilisé sur une plus longue temporalité. Aussi, cela peut créer des tensions au sein des

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Depuis le 26 mai 2014, la partie législative du Ceseda est venue remplacer l'ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte tandis que la partie réglementaire du Ceseda remplace le décret du 17 juillet 2001, pris pour l'application de cette ordonnance. Le droit au séjour est désormais régi par le livre III du Ceseda.

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Cette extension se traduit aussi par la création de nouveaux titres de séjour, qui auraient pu permettre de faciliter le séjour régulier des étrangers et donc stabiliser les formes familiales, rendant moins précaire la situation des mineurs. Or, cette nouveauté reste symbolique, étant donné les conditions spécifiques requises pour ces titres ; réduisant ainsi les possibilités de leur délivrance.

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familles accueillantes, dans la mesure où la prise en charge d'un ou plusieurs mineurs supplémentaires n'est pas toujours chose évidente ; les foyers étant déjà eux même en grande difficulté.

En outre, les reconduites à la frontière sont fréquentes et lorsqu'elles touchent aussi ces membres de la famille ; les mineurs peuvent se retrouver doublement et totalement isolés, n'ayant plus personne pour s'occuper d'eux à Mayotte. Des enfants ainsi forcés de vivre une nouvelle rupture, les conduisant à imaginer d’autres solutions de survie.

Par ailleurs, et c’est là une caractéristique particulière illustrant une forme d’isolement autrement problématique, ces conflits allant jusqu'au rejet physique du mineur concernent aussi des familles monoparentales vivant à Mayotte, suite au départ ou à la reconduite à la frontière de l’un des deux parents. Des situations critiques qui semblent davantage être le fait de figures paternelles ; lorsque la mère n'est plus à même de prendre en charge ses enfants et que le père, présent sur le territoire, est en conflit avec le mineur ou démissionnaire de ses fonctions parentales, cela peut conduire à l'isolement de ceux qui n'ont personne d'autres que les aînés de la fratrie pour les prendre en charge.

Certains jeunes se retrouvent ainsi à vivre dans la rue, ayant des difficultés à trouver un hébergement et à subsister sans protection ni référent affectif. L'accès à la nourriture est le plus problématique, c’est pourquoi ils sont voués à voler pour manger ; des situations qui sont souvent repérées par les assistants sociaux des établissements scolaires lorsque les enfants sont scolarisés.

Ce fut par exemple le cas de cette fratrie de deux enfants, née à Mayotte et mise à la porte du foyer par le père pour d'obscures raisons ; la mère vivait à la Réunion, ayant choisi de ne pas emmener ses enfants avec elle. Les mineurs se sont perdus après l'expulsion du domicile. Les membres de la famille présents à Mayotte ont refusés de s'occuper d'eux, les renvoyant chez leur père. L'un des deux enfants fut signalé à l’Aide Sociale à l’Enfance par la gendarmerie lorsqu'il est allé porter plainte contre son père ; il vivait dehors et chez un ami depuis plus d'un an. Le deuxième mineur est resté introuvable.

Des événements qui semblent illustrer la prégnance d’une crise des relations parentales au sein des foyers ; cette forme d'abandon de la part de la figure paternelle interpelle les travailleurs sociaux, car ces situations concernent tout un pan de la société. face à ces mineurs en perte de repère, les éducateurs doivent dès lors resituer la « normalité » de ce que sont en général les relations pères-enfants, leur expliquant qu'il s'agit là d'un comportement illégal et incorrect ; un père se devant d'assumer la responsabilité et la charge de son enfant, sous peine de poursuites judiciaires. Tout un travail de reconstruction du schéma des relations sociales est à mener pour ces jeunes qui vivent des situations de rejet et d’exclusion de la part de leur figure parentale référent.

Ces mineurs en situation de double isolement, à la fois de part l’absence de représentant légal sur le territoire (ou en mesure de s’en occuper) et aussi de part les

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tensions et défaillances qui existent dans les prises en charges familiales, sont particulièrement vulnérables. Des enfants ainsi forcés de vivre de nouvelles ruptures, d’incessants ajustements et de brusques changements les conduisant à mettre en œuvre des stratégies de survie inadaptées pour leur jeune âge. L'instabilité de leur situation peut ainsi en mener un certain nombre à se retrouver bien malgré eux dans une errance dangereuse, pouvant durer un certain temps ; jusqu'à ce qu'ils soient repérés par un service social ou une association, ou encore jusqu'à ce qu'une personne bien intentionnée les oriente et/ou les accompagne vers un service social. Parfois aussi le jeune va de lui-même faire part de sa situation pour être placé en famille d'accueil, ayant atteint un seuil de non-retour. Mais beaucoup ne parviennent pas à s’extirper de ce cercle vicieux dans lequel ils se retrouvent.

Ainsi, sur les 343 situations d'isolement recensées au 1er octobre 2015 par l'OPEMA, diverses modalités d'isolement apparaissent, fluctuantes selon les solidarités mises en œuvre. Le contexte de Mayotte est en ceci spécifique que les mineurs originaires des Comores nés de parents étrangers, voient le fondement de leur isolement dans le choix de leurs parents de ne pas les emmener avec eux au moment de la reconduite, et sa pérennité dans le renforcement de la lutte contre l'immigration dans les eaux territoriales.

Mais la situation se complexifie encore à un second niveau, face à la présence de membres de la famille à Mayotte qui vont s'organiser pour accueillir le mineur ; toutefois ces tiers apparentés étant souvent en situation irrégulière, le mineur peut souffrir d'une nouvelle séparation et donc d'un double isolement lorsqu’ils sont délaissés ou que les interpellations et expulsions vient concerner la personne accueillante. On s'aperçoit donc que si l'isolement spécifique de certains mineurs à Mayotte tend à être atténué par une forte présence communautaire, bien qu’elle ne soit pas toujours source de stabilité et de confort émotionnel pour ces jeunes.