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Conflict of interest

C. Pistes explicatives des résultats obtenus

II. La spécificité pour cibler la reconstruction des réseaux neurofonctionnels

Selon le troisième PNDE, la spécificité d’un traitement favorise la reconfiguration des réseaux ciblés (Kleim & Jones, 2008). Ainsi, la connaissance des réseaux impliqués dans la dénomination de l’action permet l’élaboration de thérapies ciblées sur le déficit. Or, le traitement sémantique des verbes d’action implique un large réseau distribué incluant les aires motrices, prémotrices ainsi que les aires pariétales et temporales (Binder et al.,

Kemmerer, Adolphs, Damasio, & Damasio, 2003 ). En respectant le PNDE de spécificité, les thérapies sémantiques devraient donc intégrer des éléments susceptibles de favoriser le recrutement de ces aires, qui sont reliées à l’aspect dynamique des actions. L’intégration de l’aspect dynamique avait été initiée avec les thérapies utilisant les stratégies sensorimotrices, pour les unes avec l’exécution du geste associé à l’action et pour les autres avec l’observation de l’action.

Ainsi, suite à une thérapie utilisant d'exécution du geste, A. M. Raymer et al. (2006) avaient aussi trouvé une amélioration sur les verbes entraînés pour cinq des neuf participants, de même que Rodriguez et al. (2006) avaient constaté une amélioration sur les verbes entraînés pour un des quatre participants après administration d’une thérapie sémantique et phonologique et d’une thérapie utilisant l’exécution du geste. Les améliorations observées dans notre étude 1 rejoignent ces résultats. L'inclusion de l'exécution de gestes, point commun entre les trois études, apparaît comme une stratégie facilitatrice de la dénomination de verbes. Les gestes favoriseraient l'activation de caractéristiques sémantiques qui déclenchent l'activation de la représentation lexicale du mot cible (Morsella & Krauss, 2004). Ce résultat est en accord avec la théorie de la cognition incarnée et située qui fait valoir le rôle de régions sensorimotrices dans l'exécution motrice d'actions et dans le traitement du verbe d'action (Pulvermuller, 2018; Pulvermüller, 2012). Par contre, cette amélioration n’est pas généralisée aux items non entraînés.

Par ailleurs, Marangolo et al. (2010); Marangolo et al. (2012) ont montré une amélioration de la production de verbes d’action chez des personnes aphasiques suite à l’application d’une thérapie utilisant l’observation de l’action uniquement. Les améliorations observées dans notre étude 1 rejoignent aussi ces résultats. Nous avons utilisé à l’instar des études de Marangolo et al. (2010); Marangolo et al. (2012) l’observation de l’action comme stratégie facilitatrice de la dénomination de verbes. L’observation de l’action favoriserait également l'activation de caractéristiques sémantiques qui déclenchent l'activation de la représentation lexicale du mot cible. Ce résultat est en accord avec la théorie de la cognition incarnée et située. Un ensemble d’études ont de plus montré l’activation des aires motrices et prémotrices lors de l’observation de l’action (Buccino et al., 2001; Caspers et al., 2010; Cochin, Barthelemy,

le potentiel de réactivation des aires motrices via l’observation de l’action qui aiderait à la dénomination des verbes d’action. Par contre, les résultats trouvés par Marangolo n’ont pas été répliqués (Routhier et al., 2015). De plus, comme pour les études avec thérapies utilisant l’exécution des gestes, l’amélioration n’est pas généralisée aux items non entraînés.

L’apport principal de l’étude 1 est l’effet de généralisation retrouvé chez huit des dix participants. Comme souligné dans la méta-analyse conduite par de Aguiar et al. (2016), la généralisation aux items non entraînés est rare, puisqu’elle est observée chez seulement 14,5% des 142 cas recensés dans leur étude. Cet effet de généralisation est pourtant le reflet de l’acquisition des stratégies en vue de traiter les verbes d’action. À notre connaissance, il s'agit de la première étude à rapporter une généralisation à huit participants atteints d'aphasie, à la suite d'une thérapie d'extraction de verbes utilisant des stratégies sensorimotrices représentant le groupe le plus important de participants présentant une aphasie montrant une généralisation à des verbes non traités.

Ce résultat est en lien avec les résultats précédemment rapportés de Carragher et al. (2013). Les auteurs ont trouvé une généralisation des verbes non entraînés pour cinq participants sur les neuf participants, à la suite d'une thérapie combinant la production de gestes et des indices sémantiques et phonologiques (Carragher et al., 2013). Cette donnée est importante, car l’effet de généralisation sur les items non entraînés est le reflet de l’apprentissage des stratégies. Nickels (2002), dans une revue de la littérature sur le traitement de l'anomie, a indiqué qu'après une thérapie visant l'apprentissage de stratégies, la généralisation sur les verbes non entraînés a été retrouvée chez 60% des aphasiques. Les résultats de Carragher et al. (2013) sont obtenus suite à une combinaison d’indices sémantiques et sensorimoteurs avec l'exécution de gestes. Or, cette combinaison utilisée dans les études de Boo and Rose (2010) et de M. Rose and Sussmilch (2008) n’avait pas abouti à la généralisation des verbes non entraînés. L’hypothèse que l’on pourrait émettre ici est le dosage de thérapie qui était plus intensif dans la thérapie de Carragher et al. (2013) en comparaison à celui appliqué dans les études de Boo and Rose (2010) et de M. Rose and Sussmilch (2008). Nous discuterons de ce point dans la prochaine section C. L’absence de généralisation est également constatée suite aux thérapies avec observation

souffrant d'aphasie chronique souffrant d'anomalie du verbe modérée à sévère (Routhier et al., 2015).

En résumé, les stratégies sensorimotrices appliquées par Carragher et al. (2013), Marangolo et al. (2010) et Routhier et al. (2015) ont utilisé un seul type de stratégie sensorimotrice - le geste ou l'observation de l’action associée à la dénomination du verbe et n’ont pas conduit à l'amélioration des verbes non traités.

L'administration d'une combinaison originale de signaux sensorimoteurs - observation de l'action, du geste et de l'imagerie mentale - intégrés dans POEM a conduit à une généralisation aux verbes non traités. La combinaison de stratégies sensorimotrices pourrait avoir contribué à cette généralisation. Selon les modèles cognitifs de dénomination des mots, une combinaison d’indices sémantiques pourrait augmenter l'activation au niveau sémantique et faciliter le passage aux niveaux lexical et phonologique pour aboutir à la production du verbe (Goldrick & Rapp, 2002; Levelt, 1989). La combinaison des indices sensorimoteurs de la thérapie POEM exploite les caractéristiques sémantiques spécifiques des verbes d’action. Cette particularité de POEM peut aussi être liée au principe de spécificité de la neuroplasticité dépendante de l'expérience (Kiran & Thompson, 2019; Kleim & Jones, 2008), car la connaissance des substrats neurofonctionnels du traitement des verbes d’action permet de cibler les stratégies utilisées pour faciliter la dénomination de verbes.

La thérapie POEM se différencie de l’ensemble des études antérieures sur les thérapies ciblant l’anomie des verbes, car elle propose la combinaison inédite de trois stratégies sensorimotrices. Ces stratégies ont été basées sur les données cliniques issues des recherches précédentes, mais aussi sur les données neurofonctionnelles.

Jusqu’à présent, peu d’études sur les thérapies ciblant l’anomie des verbes et utilisant des stratégies sensorimotrices avaient donné lieu à des explorations neurofonctionnelles. L’étude de Parkinson et al. (2009) avait cherché à identifier les liens entre l’amélioration observée à une thérapie, notamment une thérapie utilisant le geste pour faciliter la production des verbes (mais aussi une thérapie sémantique et phonologique), et la localisation de la lésion. Cette étude menée auprès de 15 participants avec aphasie avait conclu globalement à une égale amélioration suite aux deux types de traitement, mais surtout à une corrélation inattendue : plus la lésion corticale antérieure était étendue,

meilleure était l’amélioration pour la dénomination des noms et des verbes. Par contre, une corrélation négative était retrouvée entre l’atteinte des ganglions de la base et l’amélioration, mettant en évidence l’importance de ces structures dans le traitement langagier. Notons ici que cette étude n’est pas spécifique aux verbes, ni à la thérapie avec gestes.

L’unique étude portant sur les effets d’une thérapie ciblant l’anomie des verbes et utilisant des stratégies sensorimotrices est l’étude de Gili et al. (2017), à notre connaissance. Gili et al. (2017) ont étudié les effets de l’AOT sur les discours, avec un focus sur la comparaison entre la thérapie délivrée à l'aide de vidéos montrant l'action dans un contexte écologique ou de vidéos montrant l’action mimée par des gestes. Les auteurs ont constaté des changements d'intégration fonctionnelle dans le réseau sensorimoteur après l’AOT avec utilisation de vidéos présentant des actions écologiques, mais pas après l’AOT avec l'utilisation de vidéos présentant des actions mimées par gestes. Les résultats de cette étude sont très intéressants et seront discutés dans la section D.

III. Corrélats neurofonctionnels en lien avec la nature de