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Figure 3: Modèle du système lexical par Hillis and Caramazza (1995)

C. Nature du verbe

II. Perspective psycholinguistique

Avant de nous intéresser aux modèles psycholinguistiques développées pour modéliser les verbes, nous allons présenter les variables psycholinguistiques à considérer dans l’étude des verbes en raison de leurs influences dans leur traitement.

a. Les variables psycholinguistiques

Tout d’abord, selon Helen Bird, Howard, and Franklin (2003); H. Bird, Lambon Ralph, Patterson, and Hodges (2000), les verbes ont une moindre imageabilité que les noms. L’imageabilité représente la facilité avec laquelle un mot réfère à une image mentale. Selon Helen Bird et al. (2003), l’imageabilité est un facteur influençant la performance en dénomination des personnes avec aphasie. Ainsi, les auteurs ont contrôlé l’imageabilité de noms et de verbes et ont proposé une tâche de dénomination à quatre personnes avec aphasie. Les résultats ont montré qu’à imageabilité égale, les performances en dénomination de noms et de verbes étaient équivalentes. Ainsi, ce critère d’imageabilité sera à contrôler puisqu’il serait à même d’expliquer certaines des dissociations observées entre noms et verbes chez les personnes avec aphasie.

De plus, en français, les verbes sont également moins fréquents que les noms (Greidanus, 2014), de même qu’en langue anglaise (Helen Bird et al., 2003). Lors d’une tâche de description d’images par des personnes sans trouble neurologique, il a pu être montré que les verbes utilisés en description étaient généralement abstraits et de haute fréquence, tandis que les verbes concrets d’action étaient de basse fréquence et de haute imageabilité (H. Bird et al., 2000). Dans ce contexte de discours narratif, les auteurs ont montré que la dégradation des connaissances sémantiques survenant dans cette pathologie rendait la

dénomination de noms et de verbes difficile, et que les effets d’imageabilité et de fréquence étaient différents pour les noms versus pour les verbes. Les personnes avec démence sémantique perdent d’abord les mots de faible fréquence, ce qui avait pour conséquence sur le discours narratif la conservation apparente de verbes abstraits moins imageables et plus fréquents. La fréquence sera aussi à considérer dans les études sur les verbes. Enfin, l’âge d’acquisition peut aussi être un critère influençant la dénomination. En français, les verbes sont généralement acquis plus tardivement que les noms (Dominique Bassano, 1998; D. Bassano, 2000). D’ailleurs, Kern, Chenu, and Türkay (2012) soulignent que le français, comme l’anglais est une langue dite noun-friendly, c’est à dire que l’ordre des mots favorise les noms placés en fin de phrase dans les structures typiques Sujet- Verbe-Objet, contrairement à des langues dites verb-friendly où le verbe est placé en fin d’énoncés Sujet-Objet-Verbe comme le turc et le mandarin. b. Les modèles psycholinguistiques relatifs aux verbes i. La perspective émergentiste versus lexicaliste versus combinatoire Ici, nous abordons le comment pour caractériser les processus cognitifs du traitement des verbes. Afin de synthétiser au mieux les modèles psycholinguistiques les plus influents, nous reprendrons la synthèse schématisée extraite de Vigliocco et al. (2011). Trois perspectives sont données : lexicaliste, sémantique/pragmatique et émergentiste. Dans la perspective lexicaliste, les informations grammaticales sont récupérées automatiquement en mémoire lors de la compréhension ou de la production des phrases (Levelt, 1989). Ainsi, les informations grammaticales sont associées au mot, à l’instar des informations sémantiques et lexicales. Dans la perspective combinatoire, les catégories grammaticales sont définies suivant leurs positions syntaxiques ainsi que les affixes/suffixes qu’ils peuvent prendre. Dans la perspective émergentiste, la classe grammaticale n’appartient ni au niveau lexical ni n’apparaît en lien avec une position syntaxique, mais est une émergence de la combinaison de contraintes dont la plus importante est la contrainte sémantique. Ainsi, les noms réfèrent de façon prototypique aux objets, tandis que les verbes référent aux actions. A cette contrainte sémantique, s’ajoutent la contrainte de

fréquence d’occurrence, avec en français, les noms généralement précédés par des articles et les verbes généralement en deuxième position dans les phrases dans des structures fréquentes Sujet-Verbe-Objet, et la contrainte phonologique avec des régularités phonologiques apparaissant entre les noms et les verbes.

L’ensemble des données linguistiques et psycholinguistiques pointent l’importance du sens dans le traitement des verbes, ce qui est particulièrement intéressant dans le contexte de thérapie sémantique que nous développons qui s’appuie sur les caractéristiques sémantiques des verbes pour faciliter dénomination. En lien avec les traits sémantiques des verbes, plusieurs modélisations existent dont nous présentons quelques conceptions. ii. L’organisation sémantique des verbes Miller and Fellbaum (1991) ont proposé une organisation lexico-sémantique taxonomique des verbes en s’inspirant du modèle taxonomique des noms de Rosch and al. (1976) avec un exemple présenté en Figure 7a. Ainsi, à l’instar des noms, les verbes sont organisés dans des structures hiérarchiques à 3 niveaux : le niveau de base, surordonné et subordonné. Les catégories se distinguent par leur niveau d’inclusion sémantique, les catégories supérieures incluant les items inférieurs (Fellbaum, 1999). Pour illustrer notre propos, l’exemple donné par Kim and Thompson (2004) présenté en Figure 7b est repris et traduit, avec au niveau surordonné, le verbe « faire », au niveau de base, les verbes « laver, nettoyer, peindre », et au niveau subordonné pour « nettoyer », les verbes «récurrer, frotter, dépoussiérer ». Ainsi, les verbes du niveau subordonné intègrent le même concept relié au nettoyage dans l’exemple, mais se distinguent par des traits sémantiques spécifiques (Kim & Thompson, 2004). Le niveau subordonné sera le plus inclusif des différents trais sémantiques. Cette organisation repose sur le même principe d’inclusion que celui de noms, certains verbes pouvant être définis par d’autres verbes (Fellbaum, 1999). Les verbes entretiennent des relations d’hyperonyme-hyponyme, à l’instar des noms (Kim & Thompson, 2000).

Figure 7: Organisation taxonomique lexico-sémantique pour les noms et pour les verbes. (a) Organisation taxonomique lexico-sémantique pour les noms selon la théorie de Rosch and al. (1976) et (b) pour les verbes selon Kim and Thompson (2004). selon une traduction libre Hypothèses posées sur l’origine de l’anomie des verbes

Une analyse lexico-sémantique portant sur le manque du mot a été réalisée auprès de personnes souffrant d’aphasie, en situation de dénomination d’actions (Duvignau, 2008; Duvignau, Gaume, & Nespoulous, 2004; Duvignau et al., 2008). Cette étude a mis en évidence la production d’énoncés non conventionnels, tels que cet énoncé d’un locuteur souffrant d’aphasie : « Elle a déchiré l’orange, déchiré c’est pas le mot je crois, elle l’a déchiré

en plusieurs morceaux » pour « Elle épluche une orange » (extrait de Duvignau (2008)). Ce

type de production montre une proximité sémantique de deux verbes, plus précisément les verbes déchirer et éplucher, n’appartenant pas au même domaine sémantique. Un noyau de sens commun existe pourtant entre ces deux verbes : l’hyperonyme « enlever » renvoyant à deux domaines sémantiques différents : /humain/ pour « déshabiller » et /végétal/ pour « éplucher ». Devant ce type de paraphasies sémantiques similaires retrouvées chez des personnes avec la maladie d’Alzheimer, Kim and Thompson (2004) avaient proposé que le niveau subordonné soit plus difficile d’accès dans le cadre de l’anomie, avec un accès facilité à des verbes de niveau de base ou surordonné. Une autre hypothèse a été proposé par Elie, Duvignau, and Rogé (2005), reprenant les travaux de Duvignau, avec une représentation schématique présentée à la Figure 8. Pour ces auteurs, il existe une implication des noms avec un classement par domaine sémantique de verbes.