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Sous l'œil des critiques : Rachilde

Cette rapide étude de la critique et l'évolution de son jugement de la littérature féminine pourrait, lorsque l'on connaît les violentes attaques que Rachilde porta contre ses représentantes,

353 Colette, « Mes idées sur le roman », Le Figaro, 30 octobre 1937, T.3, p. 1831-1832.

354 Colette, La Naissance du jour, T.2, p 609.

355 Colette, L'Étoile Vesper, T.3, p. 643.

356 Colette, La Vagabonde, T.1, p. 828.

laisser croire que ces arguments sont valables pour l'ensemble les femmes de lettres. Cependant, si l'on regarde dans le détail les analyses que firent ces mêmes critiques de l'œuvre de Rachilde, ou même de Colette, aucun des arguments avancés traditionnellement pour définir l'écriture féminine n'est mentionné. Sans doute faut-il croire que Rachilde et Colette furent jugées exceptionnelles par leurs contemporains pour échapper aux habituels reproches. Il ne s'agit certes pas de passer en revue toutes les appréciations faites de leurs œuvres, mais seulement de voir comment ces mêmes critiques appréciaient leur écriture et surtout de définir ce qui constituait leur singularité. Exceptionnelle, Rachilde le fut aux yeux de la critique masculine et ce, dès la parution de son premier roman, Monsieur Vénus (1884), jusque dans les années trente, époque à laquelle elle sombra dans l'oubli. Il est vrai qu'avec ce premier titre, Rachilde déstabilise l'opinion : son style ne correspond en rien à ce que la littérature féminine donne habituellement à lire. Une particularité que ne manque pas de noter Pierre Quillard en 1893, dans son compte rendu du

Démon de l'Absurde : « Rachilde : ce nom [...] invitera peut-être la bande radoteuse de la critique

à [...] refaire [...] quelques considérations peu inattendues sur l'infériorité intellectuelle de la femme358 ». Dans sa préface de À Mort (1886), Rachilde rendra compte de cet étonnement : « Le sexe de Rachilde n'ayant jamais été suffisamment constaté, on se demandait si elle ne se représentait pas dans la virile Raoule359 ». Cette ambiguïté sexuelle n'est pas du goût de certains, parmi lesquels le Dr Luiz qui lui consacre un chapitre intitulé « Rachildisme » où sont consignées ces lignes : « Cette individualité, semi-femme, semi-garçon (on ne sait pas au juste) devint subitement le champion du fellatorisme par un livre [...]. Le livre de cet être dévoyé, d'un sexe incertain, a pour titre : Monsieur Vénus360 ». On comprend de ce fait pourquoi le personnage de Rachilde parut ambigu à ses contemporains dans la mesure où, en plus de la confusion avec l'héroïne de son roman, des littérateurs, comme Ernest Gaubert, parleront de « l'art à la fois subtil et viril de ses romans361 ». Si son écriture n'a rien de féminin, elle est donc décrétée virile, comme son auteur d'ailleurs. Les critiques, en lui reconnaissant un style viril, comparent son écriture à celle de ses confrères de lettres, et lui reconnaissent de ce fait un talent supérieur à celui des autres femmes de lettres. Cette appréciation sera d'ailleurs confirmée et développée par Han Ryner, dans son Massacre des Amazones : « Rachilde a reçu des dons considérables et [...] a le malheur d'être perdue au milieu des petites-maîtresses du Mercure de France. Il fallait un mâle [...]. Rachilde, plus virile que ces chaussettes-roses, fut condamnée à être l'homme de la bande, le pacha362 ». Cette idée sera reprise par les critiques jusque dans les années trente. Ainsi en 1929, dans son Histoire de la littérature féminine en France, Jean Larnac expliquera cette virilité de style par le fait que, dans les romans de Rachilde, on « découvre un romantisme fantastique qu'on

358 Pierre Quillard, « Rachilde », Le Mercure de France, XII-1893, p. 323.

359 Rachilde, préface de À Mort, p. XIX.

360 Dr Luiz, Les Fellatores, mœurs de la décadence p. 203-204.

361 Ernest Gaubert, Rachilde, p. 35.

pourrait dire désincarné, tant on le devine le résultat d'un pur jeu cérébral et une attitude volontairement virile363 ».

Il va de soi que sa supériorité venait du fait que, de l'avis des critiques, elle s'était dégagée de cette sensibilité typiquement féminine pour développer cette cérébralité qui était l'apanage de la seule écriture masculine. Cette intellectualité se retrouve également tout au long des critiques qu'inspirent ses romans, et Jean Larnac ne n'est pas le premier à l'avoir relevée. Ainsi, en 1893, Camille Mauclair, dans son Éloge de la luxure, parlait déjà du « spécial ragoût d'esprit364 » de Rachilde, et Ernest Gaubert, en 1907, qualifiait le style de Rachilde de « jeu cérébral et esthétique365 » ; en 1928 encore, Noël Santon parlait de l'œuvre de Rachilde comme d'une « concentration des forces impérieuses de la nature et des raffinements intellectuels les plus aiguisés366 ». Mais la cérébralité de cette écriture n'est intéressante que dans la mesure où elle participe à cette étrange équation qui constitue la perversité de Rachilde. Étant une femme écrivant comme un homme, son style ne pouvait qu'être le reflet de cette « déviance ». Le premier à employer ce terme fut Maurice Barrès, dans son article « Mademoiselle Baudelaire » ; il écrira au sujet de Monsieur Vénus que « la perversité de ce livre » est d'avoir été écrit par « une jeune fille de vingt ans367 ». Cette notion de perversité, même si les littérateurs sont unanimes sur sa réelle existence, peu en ont donné une véritable définition. Seul Louis Dumur, en 1905, tenta d'expliquer ce qui est déviation dans l'écriture de Rachilde :

« Être pervers en littérature [...] consiste à faire des impressions une source illicite de plaisir ou de souffrance [...]. Perverties, les impressions deviennent étranges et malades ; [...] l'âme qui les reçoit ne peut être que le jouet d'une intarissable illusion. [...] Il n'y a plus ni vérité réelle, ni vérité idéale : il ne reste que le capricieux relatif368 ».

De ce fait, l'œuvre de Rachilde se présente comme le théâtre et l'écriture d'une succession d'âmes malades, une conception déformée du réel, à mi-chemin par conséquent entre le désir d'objectivité de la littérature masculine et la subjectivité centralisatrice de la littérature féminine. On comprend mieux pourquoi cette notion de perversité revient continuellement chez les critiques qui trouvent là la juste qualification de « cette œuvre touffue, complexe, perverse de ces peintures de l'étrange et de l'irréel369 », et qui confirment ainsi cette cérébralité qui constitue l'originalité de Rachilde. En 1924, John Charpentier soulignait encore au sujet de l'ensemble de son œuvre « l'aptitude de son génie à combiner, dans une atmosphère étrange, des sensations empruntées à tous les sens à la fois, ou reliées par de subtiles correspondances à tous les souvenirs et à tous les pressentiments ou à toutes les appréhensions370 ».

363 J. Larnac, op. cit., p. 238.

364 Camille Mauclair, Éloge de la luxure, p. 49.

365 Ernest Gaubert, op. cit., p. 32.

366 Noël Santon, La Poésie de Rachilde, p. 14.

367 Maurice Barrès, « Mademoiselle Baudelaire », Le Voltaire, 24 juin 1886.

368 Louis Dumur, article de La Plume cité in Ernest Gaubert, Rachilde, p. 53-55.

369 Ernest Gaubert, op. cit., p. 24.

Si les essais qui furent consacrés à Rachilde de son vivant -à citer Rachilde d'Ernest en 1907, la biographie d'André David, Rachilde, homme de lettres, en 1924 et La Poésie de Rachilde de Noël Santon en 1928- s'accordent à reconnaître la virilité et la perversité de son style, sa filiation littéraire, quant à elle, ne connaît pas cette unanimité. Soutenant la comparaison avec les romanciers de son époque, Rachilde ne pouvait échapper à une recherche de paternité. Le premier à avoir voulu apparenter Rachilde à quelque grand nom, fut Maurice Barrès qui, en 1887 dans ses

Chroniques, affirmait que « cette psychologie maladive, infiniment intéressante, ces cas

d'exception sont dans la fine tradition qui va de Joseph Delorme aux Fleurs du Mal... Elle est dans le véritable esprit de Baudelaire qui voulait réagir contre le matérialisme de Gautier371 ». Ce que contestera Jean de Bonnefon qui n'hésitera pas à écrire en 1909 :

« Rachilde est le maître lyrique du roman. [...] Cette imagination a l'infini du rêve additionné de toutes les réalités. Elle est Mme Balzac et non Mme Baudelaire quoi qu'en ait dit le mourant Barrès. [...] Mais Rachilde écrit plus noblement que Balzac. Elle a [...] la poésie de l'image qui manque au plus grand des romanciers372 ».

En 1920, c'est au tour du Symbolisme de se voir désigner Rachilde comme digne héritière. Dans le long article que Marcel Coulon consacre à la romancière, il voit « en Rachilde l'écrivain de beaucoup le plus imaginatif que le Symbolisme ait révélé373 ». Il justifiera cette affirmation par le fait que Rachilde « fait des symboles, des signes, un moyen [...] des idées qu'(elle) ne veut pas, pour des raisons esthétiques ou morales, exprimer de façon franche ». Il citera en exemple

Monsieur Vénus où tous les personnages sont « des pensées, des sentiments, des rêves, des désirs,

des hontes, des remords374 » de Raoule de Vénérande. À noter que cette critique rédigée fin 1920, s'intéresse presque exclusivement à un roman écrit cinquante ans auparavant. Quant aux trente autres titres que Rachilde a fait paraître jusque-là, il les répartit suivant cinq étapes qui représentent l'évolution symboliste de Rachilde. Ses dernières œuvres appartiennent à « une période classique de ce romantique exalté375 » avec Le Meneur de louves (1905) et Son

Printemps (1914). Cette approche ne paraît pas plus convaincre que les autres. André David

proposera à son tour une autre filiation :

« Madame Rachilde appartient plus au Romantisme qu'au Symbolisme [...] il convient de dire à son sujet qu'elle est une romantique fantasque et fantastique. Maurice Barrès la surnomma Mademoiselle Baudelaire, n'est-elle pas plus exactement Madame Edgar Poe ? Sans cesse tragique, elle s'apparente aux romantiques anglais par son goût de l'étrange, du surnaturel, et sa surprenante fantaisie376 ».

371 Maurice Barrès, « Mademoiselle Baudelaire », Le Voltaire, 24 juin 1886. En 1887 étaient déjà parus, outre

Monsieur Vénus, des titres aussi fameux que Nono, La Marquise de Sade, La Virginité de Diane...

372 Jean de Bonnefon, La Corbeille de roses ou les Dames de lettres, p. 143.

373 Marcel Coulon, « L'Imagination de Rachilde », Le Mercure de France, 15-IX-1920, p. 547.

374 Ibid., p. 552.

375 Ibid., p. 556.

Le dernier article qui paraîtra du vivant de Rachilde, en 1953, élargira l'éventail de ces filiations potentielles : « encore que nous ayons invoqué Baudelaire et que nous pourrions invoquer Barbey d'Aurevilly, Villiers de L'Isle-Adam377 ».

Cette position particulière qu'occupe Rachilde dans la littérature, ne l'exempte pas pour autant d'essuyer des attaques. Paradoxalement, c'est contre son style que s'emportent les plus nombreuses critiques qui trouvent que cette virilité procède de trop d'effort et manque vraiment de spontanéité. Ainsi en 1893, Pierre Quillard relève les insuffisances du talent de Rachilde :

« Il fallait pour les noter (les sensations) une rare perspicacité des sens, [...] et aussi d'indispensables et précieux dons d'écrivain. Encore ces dons sont-ils, pour Madame Rachilde précaires et comme gratuits : il advient qu'elle en soit privée tout à coup et que de surprenantes maladresses montrent clairement combien son talent est peu artificiel, mais primitif et loyal378 ».

Pour appuyer cette affirmation, il cite un passage des Vendanges de Sodome, une nouvelle de Rachilde, dont la dissonance au milieu d'une prose qu'il estime parfaite, le choque : « les secrets dessous de la terre379 ». Autre attaque qui met encore l'accent sur l'artificialité de son écriture, cette réflexion de Han Ryner dans Le Massacre des Amazones. Pour lui, l'œuvre de Rachilde hésite entre

« perversité réelle et pose de perversité ; imagination amusante parfois, souvent absurde ; romantisme fougueux dans le mot, dans la phrase, dans la composition [...]. L'expression, chez Rachilde, est souvent évocatrice. Elle excelle à certains tableaux moitié de réalité, moitié de cauchemar et telles de ses pages sont des puissances frissonnantes, quoique l'artifice toujours soit visible380 ».

Mais cette excellence qu'il lui reconnaît ne l'empêche pas pour autant de souligner la fragilité de son œuvre : « Je crois que, sans l'affolement d'un large édifice à construire, Rachilde éviterait plusieurs de ces sottises. [...] L'œuvre énorme de Rachilde s'effrite d'elle-même en fragments, dont quelques-uns restent debout dans notre esprit381 ». Une obsolescence que reconnaît volontiers Gustave Kahn qui n'hésite pas à écrire que « après quelques romans et nouvelles médiocres, elle (Rachilde) s'est relevée d'un vigoureux effort à des fictions très romantiquement développées sur un fond de réalité exceptionnelle ou de vraisemblance rare382 ».

Les critiques féminines ne s'intéressèrent que tardivement à l'œuvre de Rachilde. C'est sans doute pour cette raison que le portrait littéraire qu'elles donnent est sensiblement différent de celui brossé par leurs homologues masculins. Les premières analyses littéraires féminines apparaissent après 1920, au moment où la littérature féminine commence à se renouveler. Et ce n'est pas à son œuvre qu'elles s'intéressent mais seulement à la femme qu'elle est. Nombre de femmes de lettres et de critiques se sont plues au fil des années à croquer son portrait, comme Huguette Champy dans La Française. Ainsi en 1928, sous prétexte d'aller interviewer Rachilde

377 Gaston Picard, « Rachilde », Larousse Mensuel n°467, juillet 1953, p. 302.

378 Pierre Quillard, « Rachilde », Mercure de France, XII-1893, p. 326.

379 Ibid., p. 326.

380 Han Ryner, op. cit., p. 18.

381 Ibid., p. 20.

au lendemain de la parution du Théâtre des bêtes, elle décrit une femme misanthrope et protectrice des souris et des rats. Certaines de ses amies se complurent, comme Natalie Clifford- Barney dans son recueil de souvenirs Aventures de l'esprit (1929), à consigner les impressions que la romancière leur laissa :

« Rachilde, qui taillade une foule de ses sarcasmes, est douce envers les chauves-

souris et les souris blanches, les soigne et les décrit avec un sens maternel qu'elle doit dérober à sa famille apparente. Sa vraie famille est un monde sous terre et sous eau dont elle émerge pour, avant d'en suffoquer, crier à tue-tête sa rage contre les humains383 ».

De tels portraits n'aident en rien à la compréhension de l'œuvre de Rachilde, mais ils renseignent sur les centres d'intérêt de la critique féminine. Les comptes rendus littéraires viendront plus tard, en 1920 avec Rachilde et la femme que donna Louise Martial à la revue Point et Virgule. La même année Henriette Charasson consacrait une page entière à celle qu'elle avait secondée à la rubrique littéraire du Mercure de France. En 1934, Corymbe fait paraître une critique de Anna Denis-Dagieu intitulée Rachilde et le Merveilleux. La liste n'est pas exhaustive mais elle fait état des analyses les plus intéressantes. Il faudrait cependant mentionner l'article de Colette, celle-ci en 1904, tentait timidement de définir ce qui, chez Rachilde, lui plaisait et notamment dans « ce beau cauchemar de La Tour d'Amour ». Elle tentera de définir l'univers de la romancière par ces mots : « Toute cette horreur de solitude, d'épouvante, d'ivrognerie désolée, de folie, c'est pourtant Rachilde qui l'a rêvée384 ».

Si les critiques masculins se sont complus à insister sur cette virilité qui faisait l'originalité du style de Rachilde, les littératrices vont, au contraire, interpréter son écriture comme l'expression même de la féminité. Une féminité qui se différencie de celles des autres femmes de lettres par son fort accent de sincérité : « Sans faiblesse, sans souci de propagande, elle a, tout au long de son œuvre, exposé ses croyances, comme ses négations, sans autre

préoccupation que de rester vraie, c'est-à-dire elle-même. [...] Rachilde est une libérée. C'est

l'affranchie qui, hors de ses chaînes, se sent maîtresse de sa destinée385 ». Remy de Gourmont ne consignait pas autre chose dans son Livre des Masques : « Des pages comme La Panthère ou Les

Vendanges de Sodome montrent qu'une femme peut avoir des phases de virilité, écrire [...] sans le

souci des coquetteries obligées ou des attitudes coutumières, faire de l'art avec rien qu'une idée et des mots, créer386 ». On le voit, quel que soit le sexe des critiques, Rachilde est toujours distinguée du bataillon des femmes de lettres. Certaines n'hésiteront pas à écrire que « l'œuvre de Rachilde se détache, originale, et (est) d'une réelle valeur intrinsèque387 ». Anna Denis-Dagieu parlera de « la grande Rachilde » et de « son clair génie388 » dans son article consacré au

383 Natalie Clifford-Barney, Aventures de l'esprit, p. 167

384 Colette, « À propos de Rachilde », La Revue Périgourdine n°9, sept. 1904. p. 49.

385 Louise Martial, « Rachilde et la femme », Point et Virgule, 1920. p. 4-5.

386 Remy de Gourmont, Livre des Masques T.1, 1898, Mercure de France cité in E. Gaubert, Rachilde, p. 44.

387 Louise Martial, op. cit., 1920. p. 4.

merveilleux dans ses romans. En concevant le style de Rachilde comme la pure expression de sa féminité, il va de soi que ces critiques ne pouvaient lui reprocher aucune perversité. Et l'on pourrait reprendre cette réflexion de Francis de Miomandre qui définit bien la position des critiques féminines : « On préfère éperdument se suspendre aux hypothèses de perversité, de sadisme, de bizarrerie, d'étrangeté plutôt que d'y voir, tout simplement de l'intuition389 ». Intuition, ce mot revient également souvent sous la plume de ces femmes de lettres, et notamment chez Anna Denis-Dagieu qui en fait la base même du merveilleux rachildien : « Avec sa seule intuition, Rachilde découvre des mondes cachés, elle entend les voix innombrables du silence390 ». Et n'est-ce pas à cette même intuition que fait référence Colette lorsqu'elle écrit que Rachilde « entend la langue sacrée des bêtes, (et que) elle se souvient du temps [...] où la royale toison moirée couvrait [...] son corps391 »? Seule Louise Martial n'emploiera pas ce vocable, même si, en récusant certains propos de M. Barrès, elle en donne la définition exacte. Alors que pour M. Barrès l'œuvre de Rachilde se limite « à une pornographie, à une série de tableaux risqués », Louise Martial voit au contraire que Rachilde, dans ces mêmes peintures de l'existence « les ayant captés, les tourne,[...], et les renvoie sur l'écran392 ».

On retrouve là, à travers cette féminité, cette sincérité et cette intuition, la même définition que les critiques donnaient de la littérature féminine. Rachilde femme de lettres exceptionnelle certes, mais femme avant tout. La tentation fut grande pour nombre de ses consœurs de faire de cette championne de la féminité un précurseur du féminisme. C'est cette conclusion qu'en vient à formuler Louise Martial : Rachilde étant une femme bien consciente, elle n'a nullement besoin d'intuition ou même d'instinct pour restituer les tâtonnements de « l'embryon de la femme des temps nouveaux » qui, de ce fait, « avance en hésitant et se fourvoie393 ». Elle suppose que la romancière « a une philosophie féminine raisonnée ou instinctive394 », et n'hésite pas à prêter à celle-ci l'ambition d'avoir voulu faire « l'apologie de la volonté chez le sexe dit faible. [...] Car, qui dit volonté dit vaillance et femme forte est femme vraie. C'est à Rachilde que revient l'honneur d'avoir pressenti la femme en chemin395 ». Si les critiques féminines insistèrent tant sur cette filiation, c'est qu'elles trouvaient de solides preuves dans son œuvre. Louise Martial, pour illustrer ses propos, citera bien sûr Raoule de Vénérande de

Monsieur Vénus (1884) qui est à ses yeux « la pierre de touche des futures héroïnes fortes de

Rachilde396 », qui sont Éliante Donalger, figure centrale de La Jongleuse (1900), Basine, la princesse du Meneur de louves (1905), Magui des Rageac (1921) ou encore Marie Faneau dans

Le Grand Saigneur (1922). Elle en arrivera à la conclusion que « l'œuvre de Rachilde est le

389 Francis de Miomandre, L'Art Moderne,9 mars 1903.

390 Anna Denis-Dagieu, op. cit., p. 16.

391 Colette, « À propos de Rachilde », La Revue Périgourdine n° 9, sept. 1904, p. 50.

392 Louise Martial, « Rachilde et la femme », Point et Virgule, 1920, p. 5.

393 Ibid., p. 6.

394 Ibid., p. 6.

395 Ibid., p. 6.

symbole de cette Ève future [...], de cette femme rampant d'abord aux pieds de l'homme, puis mesurant sa force, qui se lève et l'essaye397 ».Cette idée n'est pas nouvelle : déjà en 1909, dans son essai intitulé Voici la femme, Aurel faisait fréquemment référence à Monsieur Vénus et

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